Portrait au panier d’épicerie

François Blais, la Classe de madame Valérie, 2013, couverture

«Et qu’aurait-on pu apprendre sur Andréanne Gélinas en analysant le contenu de son chariot ? La citrouille, le pot de Nutella, les jujubes en vrac et les biscuits Pirate pouvaient induire en erreur en donnant à croire qu’elle était mère de famille — mauvaise mère, par surcroît, gavant sa marmaille de cochonneries —, alors qu’elle était simplement un peu immature et aimait le sucre. Le fait qu’elle achetât du détergent de marque Artic Power, du papier hygiénique Cashmere et que, d’une manière générale, elle eût tendance à snober les produits maison, prouvait qu’elle appartenait à la classe moyenne, ou du moins à cette catégorie de gens n’ayant jamais à choisir entre se nourrir correctement ou porter des vêtements propres. Poitrines de poulets surgelées à la Kiev, stir-fry à la sichuanaise en sac, potages Le Commensal, saumon Wellington Irresistible : gourmet mais paresseuse. Veut bouffer le mieux possible sans toutefois que cela implique d’autres opérations que “Mettre au four à 450º pendant trente-cinq minutes” ou “Chauffez en remuant, laissez reposer, servir”. Aucun produit en provenance de la section bio/équitable : conscience sociale à zéro. Oui, c’est vrai, mais il faut dire que les légumes bio ne payent pas de mine. Et puis, hein, avant l’arrivée du transgénique les melons d’eau et les raisins étaient bourrés de pépins. Qui veut en revenir là ? Pour résumer : gourmande, paresseuse, frivole, immature, pas pauvre. Il fallait convenir que le portrait était assez juste. Presque exhaustif, en fait.»

François Blais, la Classe de madame Valérie. Roman, Québec, L’instant même, 2013, 400 p. Édition numérique.

Belle, malgré

Tristan Saule, Et puis on aura vu la mer, 2024, couverture

«Olga est d’un blond surnaturel, presque blanc. Ses lèvres sont épaisses, gonflées par la chimie, peintes de vieux rose. Sa peau tirée et bronzée fait l’effet d’un cuir mal tendu, lâche par endroits. Malgré les agressions de la chirurgie, elle est belle, d’une beauté qu’on devine derrière les tentatives de la préserver.»

Tristan Saule [pseudonyme de Grégoire Courtois], Et puis on aura vu la mer. Roman. Chroniques de la place carrée. IV, Montréal, Le Quartanier, coll. «Parallèle», 05, 2024, 341 p., p. 10.

 

P.-S.—L’Oreille tendue apprécie fort le travail de cet auteur. Voir ceci, par exemple.

Portrait coloré du jour

Colson Whitehead, Crook Manifesto, 2023, couverture

«The flamboyant quotient in Harlem was at a record high these days [au début des années 1970], thanks to manufacturing innovations in the synthetic-material sector, new liberal opinions vis-à-vis the hues question, and the courageousness of the younger generation. The line between the stylish and pimpified was unstable, ill-defined, but everybody was having too much fun to complain. The men on the corner were pimps, no doubt, given the warm night and the superfluous layers. The taller one wore a purple suit with silver piping, and a white, spangled broad-brimmed hat. His companion’s long black leather trench coat draped on his shoulders like a cape. The tiger-fur pattern on his shirt and red, white, and blue cowboy hat created a macabre circus effect.»

Colson Whitehead, Crook Manifesto. A Novel, New York, Doubleday, 2023, 319 p., p. 73.

Portrait cruel du jour

Hernan Diaz, Trust, éd. de 2023, couverture

«A few stagnant years went by, during which he made halfhearted attempts at starting different collections (coins, china, friends), dabbled in hypochondria, tried to develop an enthusiasm for horses, and failed to become a dandy.»

Hernan Diaz, Trust, New York, Riverhead Books, 2023, 402 p., p. 12. Édition originale : 2022.

 

P.-S.—En effet : «pièces, porcelaine, amis», ça sonne un peu comme un zeugme.