Il peut arriver à l’Oreille tendue de s’intéresser au sport, notamment au hockey. Ces jours-ci, elle doit fréquenter le réseau de télévision TVA sports, puisque c’est lui qui diffuse tous les matchs des séries éliminatoires de la Ligue nationale de hockey.
Elle a beau être amatrice, l’Oreille n’en est pas moins oreille : elle reste tendue devant le poste, d’où les quatre remarques qui suivent.
Un tic de prononciation est commun chez les commentateurs des matchs : minute s’y prononce meunute. Cette façon de faire n’étonne pas une oreille québécoise dans la vie de tous les jours; à l’antenne, c’est autre chose. Pour le dire avec Anne-Marie Beaudoin-Bégin (la Langue rapaillée, 2015), c’est comme si lesdits commentateurs portaient leur cravate de traviole. Ça fait désordre.
Dans un ouvrage récent, Parler plusieurs langues (2015), le linguiste François Grosjean, insiste sur la difficulté du travail des interprètes : «en plus de leurs compétences de traduction, ils doivent apprendre à percevoir et à comprendre ce qui est dit, à un débit normal et en temps réel, mémoriser le sens du message, formuler une traduction et l’articuler […]» (p. 189-190). Le préposé à l’entretien avec les joueurs chez TVA sports, Renaud Lavoie, a trouvé une façon habile de contourner ces difficultés. Il pose à un joueur, le plus souvent en anglais, une question qui est en fait un résumé de ce que lui-même pense. Le joueur répond en anglais. Renaud Lavoie redit en français ce qu’il a dit dans sa question, généralement sans tenir compte de ce que le joueur lui a répondu. C’est économique.
On a beaucoup déploré, dans les médias traditionnels et sur les réseaux sociaux, la faiblesse linguistique supposée des commentateurs de TVA sports. Cela demande quelques précisions. D’une part, certains (Michel Bergeron, Paul Houde, Louis Jean) font moins de fautes que d’autres (Patrice Brisebois, José Théodore). D’autre part, le contexte dans lequel ils travaillent les pousse à l’enflure, et cela a des effets sur leur façon de parler. Distinguons, pour aller vite, trois phases dans la télédiffusion du hockey. Du temps de Radio-Canada, sous l’influence de René Lecavalier, on jouait la carte de la distinction : on était, après tout, à la télévision d’État. Quand le Réseau des sports (RDS) a succédé à Radio-Canada, il a voulu moderniser l’image du hockey à la télévision, mais cela n’a guère eu d’effets sur la description des matchs (merci à Pierre Houde) — pour les commentateurs, il est vrai, cela a parfois été moins heureux. Maintenant que TVA sports a l’exclusivité des matchs des séries éliminatoires, on assiste à une surenchère : plus de bruit, plus de couleurs, plus de chiffres, plus d’intensité (voir les sourires et sparages de l’ex-matamore Dave Morissette) — mais, paradoxalement, des vêtements de plus en plus étriqués. Cette surenchère touche aussi les discours : on semble avoir demandé aux commentateurs de parler vite, imagé, fort. Ce n’est pas donné à tout le monde de pouvoir faire cela et de manier correctement la langue.
Comme les autres médias, TVA sports fait largement appel à des joueurnalistes, ces retraités du sport : joueurs (Brisebois, Théodore, Morissette, Patrick Lalime, Mike Bossy, Enrico Ciccone, Jean-Sébastien Giguère), entraîneur (Bergeron), arbitre (Stéphane Auger). Il est toutefois plus étonnant d’entendre, à plusieurs reprises, le descripteur des matchs (Félix Séguin) chanter en ondes les louanges des gens avec qui il travaille. Les spectateurs ont même eu droit, pendant un match de la série entre les Canadiens de Montréal et les Sénateurs d’Ottawa, à un montage des hauts faits d’armes de Patrick Lalime quand il jouait pour cette dernière équipe. Quel sens donner à cette entreprise de congratulations croisées ? Cela permet au réseau de mettre en valeur ses employés, en faisant ressortir implicitement leur compétence : on nous laisse entendre qu’on les a engagés parce qu’ils étaient bons du temps où ils étaient joueurs. Mais qui a dit que les succès sur la glace suffisaient pour devenir analyste ? Ne peut-on pas imaginer que d’excellents anciens joueurs soient mauvais commentateurs ou, inversement, que des analystes puissent être excellents sans avoir été joueurs de haut niveau, voire sans avoir été joueurs du tout ?
Assis devant le poste, on a beau être pris par le jeu, on ne s’en pose pas moins des questions, foi d’Oreille.
Références
Beaudoin-Bégin, Anne-Marie, la Langue rapaillée. Combattre l’insécurité linguistique des Québécois, Montréal, Somme toute, coll. «Identité», 2015, 115 p. Ill. Préface de Samuel Archibald. Postface de Ianik Marcil.
Grosjean, François, Parler plusieurs langues. Le monde des bilingues, Paris, Albin Michel, 2015, 228 p. Ill.