Un collègue de l’Oreille tendue, Pierre Popovic, le dit depuis des années : en études littéraires, il faudrait cesser de parler inconsidérément de posture.
Deux exemples lus ces jours-ci ?
Dans le plus récent numéro de la revue Liberté (306, hiver 2015) — par ailleurs excellent —, l’une parle de «non-posture» (p. 46), l’autre de «posture temporelle singulière» (p. 55).
On crée un moratoire ?
P.-S. — Un de ces jours, l’Oreille ajoutera le mot posture ici.
[Complément du jour]
Dès le 21 août 2011, Pierre Assouline moquait les «experts en posturologie». (Merci à @revi_redac pour le lien.)
[Complément du 29 avril 2016]
La presse généraliste commence itou à se méfier du mot, guillemets à l’appui : «Est-ce qu’on peut dire ça sans que ce soit une “posture” ?» écrit Yves Boisvert dans la Presse+ du jour.
Oui, méfions-nous.
[Complément du 14 juillet 2016]
Annonce de colloque du jour : «Féministe et étudiant.e : une posture engagée.»
[Complément du 1er décembre 2016]
L’État français s’y met. (Merci à @cgenin.)
[Complément du 12 décembre 2016]
Julien Clerc s’y met. Il vouvoie sa (jeune) compagne ? s’interroge Paris Match. Réponse : «C’est venu comme ça et c’est naturel désormais. Mais je comprends que cela soit difficile à croire, que l’on puisse y voir une posture.»
[Complément du 24 septembre 2017]
La posture serait-elle un siège ?
[Complément du 16 décembre 2017]
C’était couru : les romanciers s’y sont mis, par exemple David Turgeon, dans le Continent de plastique (2016). Parfois, posture et position sont en concurrence : «Il n’y avait bien qu’une poignée d’aigris pour lui reprocher sa posture… sa position peut-être un brin hégémonique» (éd. de 2017, p. 14). À d’autres moments, on attendrait l’un et on a l’autre : «Toute cette saison-là j’appréhendai d’entrer dans une librairie : je savais que le livre de mon rival y serait, et en bonne posture […]» (p. 50); «Il s’était placé en posture d’attente» (p. 168). Des heures de plaisir.
[Complément du 8 octobre 2018]
Extrait d’un entretien, paru en 2011, entre David Martens et Jérôme Meizoz :
«D. M. — Dans le détour par lequel tu passes avant de répondre à cette première question, tu évoques le “puissant effet agrégatif” du concept de posture “sur les recherches consacrées à la figure d’auteur”, et tu considères que cela “suscit[e] une forme d’engouement presque dérangeant”. Peux-tu nous en dire plus sur ce qui te paraît dérangeant dans cet engouement ?
J. M. — D’abord, je ne peux que me réjouir d’un engouement de pas mal de chercheurs, au Québec et en Belgique, par exemple, pour ce que permet la notion de posture d’auteur. Cela signifie pour moi que les nouvelles recherches sur l’auteur, après une éclipse au temps du structuralisme, disposent désormais de bons outils pour penser l’articulation entre un sujet biographique (une personne civile), un rôle social (un écrivain) et un énonciateur textuel. Cela est dû à la conjonction progressive de recherches d’horizons divers et donc d’un véritable effet interdisciplinaire : notamment, les travaux de Ruth Amossy sur l’ethos (2010), ceux de Dominique Maingueneau sur la scénographie (2004) et les miens sur la posture d’auteur ont permis un véritable dialogue, très fécond, entre nos points de vue de chercheurs. Ceci dit, l’engouement peut conduire à un usage tous azimuts de la notion de posture (elle-même coûteuse à distinguer d’un terme du langage courant, par exemple dans le journalisme, “la posture agressive de Sarkozy”, etc.) qui risque d’affaiblir ses usages techniques précis. Je pense aussi à la notion de “champ” chez Pierre Bourdieu, qui apparaît à la fin des années 1960. Des les années 1990, tout le monde se met à voir des “champs” partout et n’importe quel enseignant d’histoire littéraire dit aujourd’hui “le champ littéraire” là où il aurait dit, il y a trente ans, la vie littéraire ou le milieu littéraire. Or, on ne change pas une conception de la pratique littéraire avec un seul mot. Si l’ancienne conception demeure au-dessous de termes nouveaux, c’est raté. L’effet heuristique du “champ” ou de la “posture” n’est plein que lorsque toute la conception sous-tendue par la notion est investie dans l’analyse. À cause de ces effets de mode verbale, je crains que le mot “posture” ne serve bientôt à désigner tout et n’importe quoi, c’est-à-dire, d’un point de vue épistémique, rien» (p. 203).
En effet.
Références
«La fabrique d’une notion. Entretien avec Jérôme Meizoz au sujet du concept de “posture”. Propos recueillis par David Martens», Interférences littéraires / Literaire Interferenties, 6, mai 2011, p. 199-212. http://www.interferenceslitteraires.be/index.php/illi/article/view/606/474
Turgeon, David, le Continent de plastique. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Écho», 16, 2017, 298 p. Édition originale : 2016.