La dame et le bonhomme

Le Québec ne manque pas de «grandes dames». En ville : «“Une grande dame de Montréal.” Hélène Desmarais fréquente les conseils» (le Devoir, 17 novembre 2010, p. C3). À l’école : «Elle était la grande dame de la laïcité scolaire […]» (le Devoir, 9 janvier 2013, p. A2). Dans la danse : «Décès d’une grande dame de la danse d’ici» (le Devoir, 1er novembre 2011, p. B8). Sur la scène : «Céline Dion, une grande dame» (la Presse, 5 décembre 2003).

Un fidèle lecteur de l’Oreille tendue, @GPinsonM19, lui fait remarquer que le commentateur sportif Richard Garneau, mort dimanche dernier, est souvent présenté dans les médias ces jours-ci comme un «bonhomme» ou un «grand bonhomme» (l’homme était en effet de grande taille). Exemples : «Un grand bonhomme que j’ai déjà eu sur mon plateau» (Josée Blanchette); «ce grand bonhomme à la figure angélique» (rds.ca); «Richard était un grand bonhomme» (François Godbout).

Interrogation : le bonhomme serait-il à l’homme ce qu’est la dame à la femme ?

L’arroseur arrosé ?

Citation bien vilaine dans le Devoir des 22-23 décembre 2012 : «L’introduction au numéro parle […] de “chercheur.es” et aussi de “professeur.es” et d’“étudiant.es”, dans une pure novlangue uqamiennne, pour inclure dans la même faute le masculin et le féminin» (p. E2).

Étrange arithmétique du même journal une dizaine de jours plus tôt au sujet de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue : «Les efforts ont néanmoins porté leurs fruits. Le taux de diplomation universitaire s’est amélioré. Fait à noter : les trois quarts des étudiantes sont des femmes» (p. A2). Commentaire de @MADandurand (merci pour la citation) : «L’autre 1/4 des étudiantes est de quel sexe ?».

La novlangue serait-elle partagée ?

Requiem pour un pronom relatif

L’ex-collègue de l’Oreille tendue qui lui disait un jour que le pronom relatif était une des choses les plus difficiles à expliquer en classe semble avoir raison.

C’est du moins ce que l’on peut penser à la lecture de ceci : «On aimait dont l’haïr» (la Presse, 21 décembre 2012, cahier Arts, p. 10).

Dont ? Non. Don’ pour donc ? Oui.

Citation culinaire et sibylline du jour

Joseph Chung et Pierre Fortin sont professeurs d’économie à l’Université du Québec à Montréal. Dans le Devoir du 23 novembre, ils signent un texte d’opinion : «Intégration des immigrants. La francisation seule ne suffit pas» (p. A9).

Cela se termine ainsi : «La seule politique d’intégration qui va québéciser véritablement l’immigrant à long terme, c’est celle qui va susciter chez lui l’amour du Québec. L’argent aide, mais c’est l’amour qui est déterminant. Kimchi si tu veux, mais kimchi du Québec.»

Kimchi ? Selon Wikipédia, il s’agirait d’un plat coréen. Or il n’a été question ni de la Corée ni de sa cuisine dans le texte. Pourquoi alors ce mot ?

Si peu de jours, tant de questions.

A trasher ou pas ?

Son utilisation en français n’est pas nouvelle : on en trouve des exemples depuis plus de dix ans.

«Avec ses scènes de sexe explicites et ses meurtres carabinés, cette espèce de Thelma & Louise version hardcore, qui se situe entre road movie sanguinolent et film de cul trash-qui-fesse-dans-le-dash, est à déconseiller aux âmes sensibles» (la Presse, 15 septembre 2000).

«Trad, néo-trad, trash-trad et trad trad» (le Devoir, 29 décembre 2003).

«album trash extrême» (le Devoir, 20-21 novembre 2004, p. E5).

«Bougon, colon ou trash. Nous sommes tous affreux, bêtes, sales et méchants» (le Devoir, 26 mars 2004, p. B8).

Cette utilisation n’est pas propre au français du Québec. Allez sur le site du magazine français les Inrocks et tapez «trash» dans le moteur de recherche; vous aurez des heures de lecture. Téléchargez la huitième livraison du Bulletin de la coopérative d’édition publie.net et vous lirez ceci, sous la plume de François Bon : «Allez, je laisse ça tout à trash comme je l’ai reçu !»

Pourquoi alors écrire sur un mot si banal ? Simplement parce que sa popularité ne se dément pas. Cinq exemples, repérés au cours des dernières semaines :

«Trash dramaturgie» (le Devoir, 17 octobre 2012, p. B9).

«Une autofiction trash qui rentre dedans, qui secoue le lecteur» (la Presse, 20 octobre 2012, cahier Arts, p. 3).

«“Portrait intime de la chanteuse folk trash Lisa LeBlanc”, propose MusiMax» (le Devoir, 20-21 octobre 2012, p. E7).

«Yeah! J’ai reçu mon catalogue de Noël 2012 du Rossy !!! #NoelTrash http://t.co/PaHUi5tt» (@mcgilles).

«Un couple de jeunes (20 ans environ) gothiques-trash s’approche de moi […]» (la Presse, 16 novembre 2012, cahier Arts, p. 5).

Le trash ne se démode pas. À cet égard, il est comme son antonyme, le vintage.