Accouplements 247

Canadiens de Montréal, Club 1909, «Unissons les fidèles», publicité

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Dans le dix-septième chapitre de son livre le CH et le peuple, Brendan Kelly se demande «Qui se souvient des Glorieux ?» (Les Glorieux est une des nombreuses façons de surnommer les Canadiens de Montréal — c’est du hockey et de la langue de puck.) Réponse : de moins en moins de gens.

Au même moment, la RBC, qui commandite les chandails des Canadiens, diffuse une publicité dans laquelle on peut entendre ceci, dans un bar : «Parce que faire du bruit en encourageant ton équipe, ça c’est glorieux.»

On est glorieux là où l’on peut.

 

Références

Kelly, Brendan, le CH et son peuple. Une province, une équipe, une histoire commune, Montréal, Éditions de l’Homme, 2024, 211 p. Ill. Préface de Claude Legault.

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey. Édition revue et augmentée, Montréal, Del Busso éditeur, 2024, 159 p. Préface d’Olivier Niquet. Illustrations de Julien Del Busso.

Melançon, Benoît, Langue de puck, édition revue et augmentée de 2024, couverture

Une société bilingue ?

Deux messages de la STM sur Twitter, 25 mai 2024

Depuis quelques décennies, un métro roule à Montréal. L’Oreille tendue l’utilise fréquemment.

Il arrive que des pannes nuisent au service. Comment connaître leur existence ? En suivant la Société de transport de Montréal (la STM) sur Twitter (que certains appellent X). Cela peut être utile.

Pourtant, il y a un problème, et de taille. La STM envoie tous ses messages en double, l’un en français, l’autre en anglais. Cette pratique contrevient évidemment à l’esprit de la Charte de la langue française, dont le premier article est clair : «Le français est la langue officielle du Québec. Seule cette langue a ce statut.»

La STM n’a que faire de l’esprit de la loi. C’est ennuyeux, pour le dire poliment.

P.-S.—Oui : l’Oreille continue à taper sur le même clou depuis plus de dix ans.

Le fumeur musical expérimenté

Publicité des cigarettes Buckingham avec le joueur de hockey Pit Lépine, la Presse, 11 février 1928

Dans la Presse+ d’hier, cette phrase : «Vivre avec une étiquette. Jonathan Sénécal connaît le tabac.» (Sénécal joue au football pour les Carabins de l’Université de Montréal.)

Au Québec, qui connaît le tabac est réputé avoir de l’expérience et tirer des leçons de celle-ci.

Autre exemple, chez Michel Tremblay : «C’est alors que Santuzza fit son entrée. Vêtue, elle, de noir, des pieds à la tête. La special guest connaissait le tabac !» (p. 84)

On l’aura compris : ce tabac est de même nature que la musique dans connaître la musique.

 

Référence

Tremblay, Michel, Offrandes musicales. Récits, Montréal et Arles, Leméac et Actes Sud, 2021, 165 p.

Hasards linguistiques

Tweet de Jean-François Roberge, 15 mars 2023

Le hasard fait (malheureusement) bien les choses.

La semaine prochaine, l’Oreille tendue sera à Halifax pour y présenter une conférence intitulée «Le français : une langue menacée ?» Parmi les menaces (supposées) qu’elle commentera, il devrait y avoir les nouvelles technologies, l’écriture inclusive, la domination mondiale de l’anglais et l’insécurité linguistique. Il sera aussi question du franglais. (Sur cette question, voir ici et .)

Hier, le ministre québécois de la Langue française, Jean-François Roberge, a mis en ligne une vidéo de trente secondes, accompagnée du texte suivant :

Au Québec, le français est en déclin. Ensemble, renversons la tendance.

Voici la nouvelle publicité du Ministère de la Langue française pour susciter une prise de conscience des Québécois au déclin du français au Québec.

L’objectif de la vidéo — qui associe la langue française à un oiseau de proie vulnérable — est clairement de s’en prendre à l’utilisation par les jeunes de mots anglais quand ils parlent français. En linguistique, on parlerait d’alternance codique (code-switching), mais, depuis un pauvre livre d’Étiemble, on utilise souvent le mot franglais pour désigner ce phénomène. Exemple : «Mais malgré que ses skills de chasse soient insane, l’avenir du faucon pèlerin demeure sketch

Il y aurait beaucoup de choses à dire de cette campagne publicitaire. Retenons-en trois.

Postuler que «le français est en déclin» au Québec est un discours alarmiste. L’est-il sur tous les plans ? Partout au Québec ? Pour toutes les tranches d’âge ? Dans toutes les situations de la vie privée et publique ? Le ministre ne pèche pas par excès de nuance. (Il n’est pas le seul.)

Laisser entendre que les phrases (évidemment inventées) de la publicité ne sont pas du français, ou sont du mauvais français, bute sur un écueil : ce sont des phrases en français — mais d’un registre tout à fait particulier. L’Oreille tendue a longtemps enseigné; elle n’a jamais lu de phrases semblables dans une copie d’étudiant. Autour d’une table, dans un repas familial, au stade ? C’est autre chose.

Penser que les jeunes Québécois vont changer leurs pratiques linguistiques parce que leur gouvernement s’attaque à celles-ci ne paraît pas être la stratégie la plus sûre pour qu’ils les transforment, si tant est qu’il soit impératif qu’ils le fassent.

 

P.-S.—Cela vous rappelle une publicité électorale du Parti québécois en 2022 ? Vous n’avez pas tort.

P.-P.-S.—Autre hasard : l’Oreille découvre cette vidéo au moment où elle lit un ouvrage d’Annette Boudreau, Dire le silence (2021). L’autrice y cite notamment deux extraits de chroniques rédigées pour le journal acadien l’Évangéline par Alain Gheerbrant en… 1967 et 1968 : «si personne ne se réveille, dans quinze ou vingt ans on ne parlera plus de l’Acadie comme d’une région de langue française» (20 novembre 1967, p. 164); «Personne ne peut nier de bonne foi que l’anglicisation ne galope — surtout dans certains secteurs comme les écoles — et c’est dans ce cas-là la faute des élèves» (10 septembre 1968, p. 165). Plus ça change…

 

Référence

Boudreau, Annette, Dire le silence. Insécurité linguistique en Acadie 1867-1970, Sudbury, Prise de parole, coll. «Agora», 2021, 228 p.