Deux Ferron pour le prix d’un

Jacques Ferron, Contes, éd. de 1993, couverture

Une oreille tendue et un zeugme.

«On le vit donc reparaître, le vieil Ulysse, dans le quartier des Sirènes, attaché à son mât de misaine dont le cacatois, gonflé par les vents accumulés durant quinze ans à Ithaque Corner, lui montait dans la tête, naviguant au milieu de la chaussée mal famée, l’oreille tendue vers les persiennes muettes d’où s’échappait naguère la mélopée française et érotique.»

Jacques Ferron, «Les Sirènes», dans Contes, Montréal, Bibliothèque québécoise, 1993, 298 p., p. 149. Édition intégrale. Présentation de Victor-Lévy Beaulieu.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Ne pas visualiser svp, ter

Marie-Hélène Voyer, Précieux sang, 2025, couverture

Le 23 juillet 2025, l’Oreille tendue participait à une discussion radiophonique sur les régionalismes québécois. (Deux mois plus tard, malgré des demandes répétées, elle n’a toujours pas été payée pour cette intervention de plus de vingt minutes. Ça vous paraît normal, Radio-Canada ?)

Elle connaît plusieurs expressions avec le mot marde, mais, ce jour-là, elle a entendu pour la première fois en onde avoir le cordon du cœur qui traîne dans la marde.

Elle la retrouve dans un excellent recueil de poésie de Marie-Hélène Voyer, Précieux sang (2025).

hier Flanc-Mou a menacé
de se pendre à un crochet
écœuré de se faire traiter
de pas vite-vite
de traîne-savate
de tarlais
plus capable
de se faire dire
que le cordon du cœur
lui traîne dans la marde

le boss l’a remercié

une manière polie
d’abattre un homme (p. 123)

Son sens ? Paresser.

Dans Comme des sentinelles (2012), Jean-Philippe Martel offrait autre chose, en parlant de corde au lieu de cordon : «ce qui signifie à peu près qu’une personne est assez lâche et dépourvue d’humanité pour ne pas assister aux funérailles de sa grand-mère» (p. 55).

À votre service.

P.-S.—«Ter» ? À cause de ceci et de cela.

 

Références

Martel, Jean-Philippe, Comme des sentinelles. Roman, Montréal, La mèche, 2012, 177 p.

Voyer, Marie-Hélène, Précieux sang suivi de Voir avec des yeux de chair, Saguenay, La Peuplade, coll. «Poésie», 2022, 196 p.

Chantons le hockey avec Mononc’ Serge, bis

«Pourquoi Mononc’ Serge joues-tu du rock ’n’ roll ?»

(Le hockey est partout dans la culture québécoise et canadienne. Les chansons sur ce sport ne manquent pas, plusieurs faisant usage de la langue de puck. Petite anthologie en cours. Liste d’écoute disponible sur Spotify. Suggestions bienvenues.)

 

Mononc’ Serge, «Team qui gagne», 2012

 

Annonces de Tim Hortons tout l’long d’la bande
Molson Dry à 11 et 50
Roteux à 8 piasses, que c’est qu’tu penses
J’m’en clenche 3-4 pis au yable la dépense
Les joueurs arrivent s’a glace
Ils ont la rage dans face
Leurs lames dans patinoire, ça grafigne rare
Ça fait des lignes comme dans face à Claude Blanchard
La bière rentre ben, hostie qu’j’ai soif
Mais tout à coup [bruit de sifflet] siffle le ref
Les joueurs s’alignent s’a ligne bleue
V’là un gros tocson avec un coat à queue
Y chante le Ô Canada, j’ai les larmes aux yeux
Mais déjà, c’est l’heure de la mise au jeu
L’arbitre s’penche entre les joueurs de centre
La Molson coule, les hot dogs se vendent
La tension monte, la foule scande
Nous autres c’qu’on veut c’t’un team qui gagne
Nous autres c’qu’on veut c’t’un team qui gagne
Nous autres c’qu’on veut c’t’un team qui gagne
Un team qui gagne
Wo
Team qui gagne
C’est ça qu’on veut
Un team qui gagne, ça éloigne les problèmes
Check nos jeunes qui r’gardent la game
Une main s’a Molson, une main su’un hot dog
I reste p’us d’main pour la drogue
Quand on a eu un coach qui parlait pas français
J’te dis qu’les péquistes, hostie qu’ça chialait
Mais… mieux vaut la coupe en anglais
Que pas faire les séries en français
Fuck ! On est un peuple, faut se tenir deboutte
Pis on va être deboutte mais qu’on l’aille la coupe
Nous autres c’qu’on veut c’t’un team qui gagne
Wo
Qui gagne
Les gradins sont pleins, ça boit d’la Molson Dry
Pis ça chante Nanana Heyheyhey Goodbye
Imagine comment les estrades s’raient vides
Si c’était un discours de Françoise David
La fourrure orange de Youppi
Pis toutes ces belles barbes des séries
C’est-y pas du beau poil à côté
De la moustache à Manon Massé
Wo yé
Nous autres c’qu’on veut c’t’un team qui gagne
Nous autres c’qu’on veut c’t’un team qui gagne
Un team qui gagne
Wo
Team qui gagne
C’est ça qu’on veut
Team qui gagne
Des bâtons CCM
Pas des pancartes CSN
Team qui gagne
Des millionnaires tout en muscles
Pas des BS en autobus
Team qui gagne
Des power play s’a coche
Pis des power pay dans leurs poches
Team qui gagne
What does Quebec want, c’t’évident me semble
C’qu’on veut c’t’un team qui gagne
Un team qui gagne

 

P.-S.—En effet, ce n’est pas la seule fois que Mononc’ Serge a chanté le hockey.

 

 

Références

Melançon, Benoît, «Chanter les Canadiens de Montréal», dans Jean-François Diana (édit.), Spectacles sportifs, dispositifs d’écriture, Nancy, Questions de communication, série «Actes», 19, 2013, p. 81-92. https://doi.org/1866/28751

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey. Édition revue et augmentée, Montréal, Del Busso éditeur, 2024, 159 p. Préface d’Olivier Niquet. Illustrations de Julien Del Busso. ISBN : 978-2-925079-71-2.

Melançon, Benoît, Langue de puck, édition revue et augmentée de 2024, couverture

Les zeugmes du dimanche matin et de Jacques Ferron

Jacques Ferron, le Saint-Élias, 1972, couverture

«Des États-Unis il avait rapporté en même temps que son diplôme un esprit d’indépendance qui, n’eussent été son rang et les bons services qu’il rendait, aurait pu lui causer des ennuis au début de sa carrière» (p. 28).

Monseigneur Antoniotti «relevait de Pie XII qui ne pouvait pas concevoir de politique sans coups bas, bien fourrés, bénissant les crimes et les petits oiseaux» (p. 155).

Jacques Ferron, le Saint-Élias. Roman, Montréal, Éditions du Jour, coll. «Les romanciers du jour», R-85, 1972, 186 p.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

L’oreille tendue de… Philippe Manevy

Philippe Manevy, La colline qui travaille, 2024, couverture

«L’un des cabots tend l’oreille, hume l’air. Elle est repérée. Les trois bêtes interrompent leur querelle, se tournent vers elle, la regardent fixement. Elle remarque alors l’absence de collier à leur cou, leur pelage abîmé, leurs cicatrices, leur extrême maigreur et quelque chose comme une tristesse au fond de leurs gros yeux noirs. À peine leurs regards se sont-ils croisés que les trois chiens s’enfuient, disparaissent entre deux bâtiments.»

Philippe Manevy, La colline qui travaille, Montréal, Leméac, 2024, 288 p. Édition numérique.