Parler avec ses poings

Ruban, Olympiques Juniors, Banque royale, Canada, 1974

En sa tendre jeunesse — c’était au siècle dernier —, l’Oreille tendue a tâté du noble art. Pour cause de flux sanguin indomptable, sa carrière fut de courte durée et elle s’est terminée sur une fiche éloquente de 0 – 1 – 0.

L’Oreille tendue — ce qui en jette moins, il est vrai, que «L’ange du ring» ou que «The Italian Stallion» — ne s’est pourtant pas complètement désintéressée de la boxe pour autant, mais elle a préféré l’approcher culturellement (cinéma, littérature, arts plastiques) et linguistiquement.

Il y a en effet un vocabulaire de la boxe. Son lexique propre est facile à repérer : jab, uppercut, direct, swing, crochet, ring, round (ou ronde), reprise. Plus intéressantes sont les expressions idiomatiques liées à cette forme de pugilat.

Deux exemples.

Les boxeurs n’ont pas d’entourage, pas d’équipe. Ils ont un clan. Exemple : Robert Frosi, le Clan Hilton. Autopsie d’un gâchis (Montréal, Logiques, 2003, 176 p. Préface de Gilles Proulx).

On ne pèse pas les boxeurs en kilos, mais en livres. Mieux : cette unité permet de mesurer les athlètes — X fait la limite de 168 livres — et de les comparer entre eux au-delà des catégories établies — «Les deux hommes, considérés comme les meilleurs pugilistes livre pour livre au monde, ont tenté à de nombreuses reprises d’en arriver à une entente pour présenter le combat de plus lucratif de l’histoire de la boxe professionnelle, en vain» (la Presse, 17 juin 2011, cahier Sports, p. 6).

Livre pour livre ? On s’étonne que cet étalon ne serve pas en littérature : Y et Z sont les deux meilleurs écrivains du monde, livre pour livre.

 

[Complément du 26 juillet 2024]

L’image ci-dessus ? L’Oreille a fini en troisième place au tournoi Olympiques Juniors de la Banque royale du Canada en 1974 (sur trois concurrents).

Le temps ne suspend pas son vol, bis

Dans le Devoir du 24 mai, Stéphane Baillargeon se pose une question : «Les journaux vont-ils réussir le virage vers les tablettes ?» (p. B8). Pour répondre à sa question, il donne quelques statistiques, dont celles-ci :

Seulement, le monde des tablettes et des téléphones dits intelligents s’affirme de plus en plus. Le mouvement de bascule a germé il y a une décennie et s’est accéléré il y a une décade. Environ 80 millions d’Américains possèdent maintenant au moins trois appareils du genre et 4,5 millions en ont plus de neuf !

L’Oreille tendue est un brin troublée par la chronologie.

Soit, comme une décade dure dix jours, ni plus ni moins, quelque chose de révolutionnaire se serait passé entre le 14 et le 23 mai. (Une chose est sûre : ça a échappé à l’Oreille.)

Soit l’auteur a cédé à ce que le Petit Robert (édition numérique de 2010) appelle un «Anglic. critiqué» : le fait de penser qu’une décade dure dix ans et de la confondre avec une décennie. Mais alors, ce qui a «germé il y a une décennie» se serait «accéléré il y a une [décennie]» ?

Quoi qu’il en soit, tout ça n’est pas de la première clarté.

Locomotion Québec 201

Les Québécois ont parfois des rapports tendus avec le féminin et le masculin. Un jour, l’Oreille tendue s’est même demandé si cela ne touchait pas particulièrement les moyens de locomotion.

Nouveau cas à ajouter à la liste : semi-remorque.

En France, le mot est féminin : «Un camion tournait lentement là-bas où la route s’éloignait de l’usine, et la semi-remorque blanche, par effet de perspective, remplaçait un instant le signe bleu de l’usine» (François Bon, 2011).

Au Québec, on le trouve parfois au masculin, malgré les recommandations de l’Office québécois de la langue française : «Un semi-remorque se renverse sur la route 348» (le Nouvelliste, 8 juin 2011); «Un semi-remorque emboutit un autre poids lourd» (le Journal de Québec, 4 juin 2009).

Y aurait-il une parenté cachée entre un semi-remorque et un ambulance ?

P.-S. — Le Petit Robert (édition numérique de 2010) réconcilie par avance tout le monde : «nom féminin et masculin». Ce et laisse rêveur.

 

Référence

Bon, François, Daewoo. Roman, Saint-Cyr-sur-Loire, publie.net, coll. «Temps réel», 2011. Édition numérique. Édition originale : 2004.

Le mal-aimé

Soit deux titres récents du journal la Presse : «Tasse-toi, mononc’ !» (François Cardinal, 13 juin 2011); «C’est peut-être moi le mononcle» (Marc Cassivi, 14 juin 2011). Dans le premier cas, il est question de politique (provinciale); dans le second, d’humour (ou, plutôt, de ce qui en tient lieu au Québec).

Mais pourquoi cet oncle bien à soi (mononc’, mononcle) ?

C’est qu’au Québec, depuis longtemps, mon oncle est devenu mononcle — comme ma tante et devenu matante — et que cela se retrouve dans l’expression «Tasse-toi mononcle». Qui l’utilise est pressé et veut que s’enlève de son chemin qui y lambine. Volkswagen avait transformé cette expression en slogan il y a quelques années. Sa publicité avait été diversement reçue : un soir, au Téléjournal de Radio-Canada, on l’avait diffusée («Tasse-toi mononcle !») immédiatement à la suite d’un reportage sur les morts causées par la vitesse au volant chez les jeunes conducteurs («Tasse-toi mononcle» ?).

Voilà qui explique «Tasse-toi», mais on en revient à la question initiale : pourquoi l’oncle ?

Le personnage n’a pas bonne presse dans la Belle Province. On l’imagine racontant des blagues grivoises en buvant de la crème de menthe (bien vu, Marc Cassivi). Rejeté à la périphérie familiale, il n’est que toléré par ses proches, les neveux comme les autres. Tant pis pour lui. (Et donc tant pis pour soi.)

P.-S. — On entend parfois mon mononc’, ce qui donne à réfléchir à la morphologie du français parlé au Québec.

Cachez ce pronom relatif que je ne saurais voir

Un ex-collègue de l’Oreille tendue, grammairien de son état, lui disait un jour que le pronom relatif était une des choses les plus difficiles à expliquer en classe.

Confirmation publicitaire en p. A10 du Devoir du 3 juin.

Publicité fautive de Georges Laoun opticien

Ce «La raison que notre pub est en couleur !» l’aurait sûrement conforté dans sa position.