Portraits d’hommes

L’abbé Étienne Blanchard (1883-1952), «Lauréat de l’Académie française» et «Officier d’Académie», a été un très prolifique lexicographe, en mots et en images. Il a été cité ici à propos des garnitures de maison, de la varlope, du baseball et du hockey. L’Oreille tendue s’est même mise à collectionner — raisonnablement, il va sans dire — ses ouvrages.

Voilà pourquoi le Vocabulaire bilingue par l’image. Leçons de choses et rédaction de l’abbé (1931) est passé de la Librairie O Vieux Bouquins aux rayons de la bibliothèque de l’Oreille.

Ci-dessous, un exemple de son contenu (p. 59) :

Étienne Blanchard, Vocabulaire bilingue par l’image, 1931, p. 59

De quoi s’agit-il ? De la vie «Dans un bureau—III» (chapitre 28, p. 58-59). Puisque l’auteur offre des «Leçons de choses et rédaction», les illustrations de la page de droite sont accompagnées, en page de gauche, de légendes (bilingues) et de questions.

Étienne Blanchard, Vocabulaire bilingue par l’image, 1931, exemples

Pour l’abbé Blanchard, la langue est (aussi) affaire de morale (commerciale).

 

Référence

Blanchard, abbé Étienne, Vocabulaire bilingue par l’image. Leçons de choses et rédaction. Observons mieux — Parlons mieux, Montréal, Les frères des écoles chrétiennes, coll. «Parlons mieux», 1931, 111 p. Ill. Deuxième édition.

Le poids du monde

Parmi les obstacles qui obstruent la route de la «vie bonne» dont parlent les philosophes, il y a les gens qui sont infoutus de construire une énumération. Ils mêlent tout, les substantifs avec les adjectifs, les verbes conjugués avec ceux qui ne le sont pas, etc.

Exemple, encore tiré d’une publicité des Southam Lofts (Lofts Southam ferait trop plouc) : «Contacter notre bureau des ventes pour plus de détails. / Ne manquez pas cette opportunité fantastique» (le Devoir, 17-18 septembre 2011, p. G2).

Ce mélange d’infinitif («Contacter») et d’impératif («manquez») rend le bonheur bien difficile à atteindre.

P.-S. — On pourrait aussi râler contre «opportunité», mais à chaque jour suffit sa peine.

Subtil distinguo, bis

Soit ceci, tiré du compte Twitter d’un fidèle de l’Oreille tendue, Clarence L’inspecteur : «Ok, dudes et dudettes: Annie Clark aka #StVincent = la plus intéressante guitariste en ce moment. Son dernier album est débile.»

«Débile», dit-il ?

Évidemment pas comme dans «Qui manque de force physique, d’une manière permanente», ni dans «Sans aucune vigueur», ni dans «Imbécile, idiot» (le Petit Robert, édition numérique de 2010).

Plutôt comme dans «Très très bien» (Dictionnaire québécois instantané, p. 61). Des synonymes ? Bon à l’os ou pas à peu près.

Bref, le mot est mélioratif. C’est un peu débile, mais c’est comme ça.

 

[Complément du 10 juillet 2016]

La variante en débile paraît conserver la connotation de quantité (très très), mais sans la dimension méliorative. Exemple : «De toute façon, tu peux pas aller avec lui, t’es avec moi ! Tu me tromperais en débile si tu faisais ça» (Whitehorse, p. 40).

 

[Complément du 3 décembre 2016]

Il en est de malade comme de débile : il peut dire le très bien de la même façon que son contraire. Rafaële Germain le note dans un essai qui vient de paraître, Un présent infini :

J’ai écrit l’adjectif phénoménal, mais j’étais très tentée par formidable, qui a longtemps voulu dire terrifiant avant de devenir synonyme de extraordinaire-dans-le-sens-positif (un peu comme malade, qui semble connaitre depuis quelques années une étonnante dérive d’autant plus pernicieuse qu’il y a plusieurs gens malades qui ne doivent pas trouver ça «malade». Je m’entends souvent dire «ma-la-de» à propos d’une anecdote, d’une blague, d’un cocktail) (p. 27).

P.-S. — Ne simplifions pas les choses et pensons au cas de malade mental.

 

[Complément du 30 mars 2018]

Oui, c’est toujours bien d’être «débiles», selon ce tweet de 2018.

 

[Complément du 13 avril 2018]

Dans le Devoir du jour, dans la bouche d’Élise Gravel : «On est vraiment chanceux au Québec, nos livres jeunesse sont débiles» (p. B5).

 

Références

Cantin, Samuel, Whitehorse. Première partie, Montréal, Éditions Pow Pow, 2015, 211 p.

Germain, Rafaële, Un présent infini. Notes sur la mémoire et l’oubli, Montréal, Atelier 10, coll. «Documents», 10, 2016, 90 p. Ill.

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2004, couverture

Rappel géographique

Il est bon, périodiquement, de rappeler que la ville est urbaine.

Le Devoir du 10 septembre (p. A4) s’en charge. Une publicité nous y apprend que «Seulement 10 lofts authentiques entre 960 pi.ca. et 2000 pi.ca. restent disponibles» dans le projet montréalais Southam Lofts. Faites vite si vous voulez soigner «votre style de vie urbaine».

L’Oreille, elle, hésite encore (et se demande ce que serait un loft non authentique).

Ça, c’est du sérieux

Vous pouvez tout bonnement décider de faire ceci ou cela. Vous pouvez même — l’Oreille tendue vous le souhaite — choisir de vivre. Il est vrai que cela fait un peu plouc.

Marie-Lise Labonté, dans une publicité du Devoir du samedi 10 septembre, vous propose mieux : «Nous pouvons quitter l’état de victime et nous positionner dans le choix de vivre» (p. A2).

«Se positionner dans le choix de vivre» : voilà qui inspire confiance, non ?