Effets de lames

Patiner — chacun le sait — est un des grands plaisirs de la vie. L’Oreille tendue pense bien sûr au patinage décontracté, et non au patinage «extrême» (la Presse, 28 janvier 2007, p. S8; le Devoir, 3-4 mars 2007, p. A6; le Devoir, 12 janvier 2010, p. A4).

Les sceptiques n’ont qu’à revoir la scène d’ouverture du film Mystery, Alaska (1999) : il faudrait avoir un cœur de glace pour ne pas être convaincu.

À Montréal, on peut patiner à l’intérieur — c’est toujours un brin compliqué — ou à l’extérieur. Dans la Presse du 22 janvier, Daniel Lemay, sous le titre «Sur les ronds de Montréal» (p. A18-A19), dresse un utile état des lieux. (Un reproche, cependant : il faudrait dire, et déplorer, que le patinage en silence est de plus en plus difficile, sinon carrément impossible, aujourd’hui, à Montréal, où la musique paraît être de rigueur sur beaucoup des plus belles patinoires, celle du lac aux Castors, par exemple.) On peut aussi cliquer ici pour une carte.

Pourquoi parler de «ronds» ? Parce que le mot désigne, au Québec, une patinoire extérieure, quelle qu’en soit la forme.

Le vocabulaire de la glace a aussi donné naissance à l’expression (ne pas) être vite sur ses patins. On imagine aisément qu’il vaut mieux l’être, que pas.

Si ne pas être vite sur ses patins existe au figuré, c’est que cela existe au sens propre. L’Oreille, en plein air et en pleine action, le démontre clairement ici. Âmes sensibles s’abstenir.

La vie après l’extrême

Écoutons Diderot dans le Neveu de Rameau : «si tout ici-bas était excellent, il n’y aurait rien d’excellent» (p. 25).

Paraphrasons-le : si tout ici-bas était extrême, il n’y aurait rien d’extrême.

On a tant et tant abusé du mot extrême qu’il est dorénavant nécessaire de trouver autre chose d’aussi fort pour mettre à la place. Une solution possible : passons à l’ultime.

Cela donne ultime.tv, un «ultime biscuit» (voir ci-dessous) ou «Le concours de chaussures ultime, du 1er au 19 septembre» chez Holt Renfrew à Montréal (la Presse, 4 septembre 2010, p 4, publicité).

On n’arrête pas le progrès.

Biscuit «ultime», étiquette

 

Référence

Diderot, Denis, le Neveu de Rameau. Satires, contes et entretiens, Paris, Librairie générale française, coll. «Le livre de poche», 5925, 1984, 414 p. Édition établie et commentée par Jacques et Anne-Marie Chouillet.

Vocabulaire non agricole

Marie-Pascale Huglo, Montréal-Mirabel, 2017, couverture

Titre dans le Devoir de la semaine dernière : «Émissions des vaches et des puits de gaz. La ministre serait dans le champ» (19 janvier 2011, p. A4).

Si elle est dans le champ, ce n’est pas que la ministre des Richesses naturelles et de la Faune du Québec, Nathalie Normandeau, se promène à la campagne. Qui est dans le champ se trompe, et complètement.

Quand elle affirme ceci : «Écoutez, une vache émet plus de CO2 dans l’atmosphère qu’un puits. Je veux dire que c’est factuellement prouvé», donc, elle se trompe.

 

[Complément du 25 août 2024]

Les exemples littéraires ne manquent pas.

«Pourrais-tu lire ce que j’ai écrit et me dire si je suis dans le champ ?» (l’Amour des maîtres, p. 106)

«qui suis-je, pauvre romancier généraliste, pour dire aux lecteurs qu’ils sont dans le champ ?» (le Romancier portatif, p. 139)

«L’écriture déplace, elle tire sa force de ce qui nous jette à côté de nous-même. Nous sommes dans le champ tout le temps, nous écrivons pour ça, avec ça. Je le crois depuis le début» (Montréal-Mirabel, p. 100).

 

Références

Dickner, Nicolas, le Romancier portatif. 52 chroniques à emporter, Québec, Alto, 2011, 215 p.

Grégoire, Mélissa, l’Amour des maîtres, Montréal, Leméac, 2011, 245 p.

Huglo, Marie-Pascale, Montréal-Mirabel. Lignes de séparation. Récit, Montréal, Leméac, 2017, 152 p.