Ne pas visualiser svp

Patrick Nicol, Vox populi, 2016, couverture

Hier, dans la section des sports du quotidien la Presse : «Je comprends Dawson d’avoir une crotte sur le cœur» (28 janvier 2010, p. 2).

Avoir une crotte sur le cœur ? Garder rancune.

Il vaut probablement mieux ne pas se représenter la chose.

 

[Complément du 10 décembre 2015]

Autre définition : «Avoir de la rancœur, du ressentiment» (Trésor des expressions populaires, p. 105).

Existe en différents formats :

 

[Complément du 13 décembre 2015]

Jeu de mots, en titre, dans le quotidien le Devoir daté du 26 janvier 2013 : «Yucatán – Une grotte sur le cœur

 

[Complément du 23 janvier 2016]

Variation du jour : «En attendant, Parenteau va se concentrer sur le match de ce soir contre son ancienne équipe et son ancien entraîneur-chef. On devine qu’il jouera avec la proverbiale fiente sur le cœur» (la Presse+, 23 janvier 2016).

 

[Complément du 26 août 2024]

Des exemples romanesques, au singulier comme au pluriel ? Bien sûr.

«Marc aurait pu en rester là. Il n’avait pas envie de recoucher avec Suzanne ni d’ailleurs d’en reparler infiniment, mais Suzanne continuait, insistait, pour s’assurer que personne ne reste “avec des crottes sur le cœur”» (Vox populi, p. 83).

«Il se le niait à lui-même, mais il avait une crotte sur le cœur» (la Bête creuse, p. 378).

 

Références

Bernard, Christophe, la Bête creuse. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 14, 2017, 716 p.

DesRuisseaux, Pierre, Trésor des expressions populaires. Petit dictionnaire de la langue imagée dans la littérature et les écrits québécois, Montréal, Fides, coll. «Biblio • Fides», 2015, 380 p. Nouvelle édition revue et augmentée.

Nicol, Patrick, Vox populi. Roman, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 98, 2016, 89 p.

Jeu de main

Le Secrétaire des amoureux, 1917, couverture

Lu ceci dans un manuel épistolaire québécois de 1917 :

«Monsieur,

Je ne puis être que fort honorée de la lettre par laquelle vous m’offrez votre main, mais à mon âge j’ai dû la communiquer à ma tante qui est toute ma famille» (p. 17).

On se demande ce que la tante a bien pu faire de cette main.

 

Référence

Le Secrétaire des amoureux et des gens du monde contenant des modèles de correspondance[,] des conseils pour faire un bon mariage et un guide pour toutes les formalités et cérémonies, Montréal, Librairie Beauchemin limitée, 1917, 69 p.

Une image vaut 2000 mots

Acheté récemment, à la Librairie O Vieux Bouquins Librairie Michel Villeneuve, 2000 mots bilingues par l’image, ouvrage publié en 1920, par l’abbé Étienne Blanchard, à Montréal. En page de droite, des illustrations; en page de gauche, les mots qui les désignent, en anglais et en français. Le tout accompagné de remarques sur l’étymologie, la prononciation, les fautes courantes, etc.

Exemples :

Étienne Blanchard, 2000 mots bilingues par l’image, p. 27

Étienne Blanchard, 2000 mots bilingues par l’image, p. 26

 

Ah ! l’heureux temps où les crosses (fig. 24), les cages d’écureuil (fig. 25 et 26), les truelles (fig. 27 et 28), les jeux de tennis (fig. 29) et, surtout, les lampes à souder (fig. 30) faisaient partie des «garnitures de maison» !

On apprend des choses étonnantes et néanmoins utiles dans ce livre.

Il existe des formes fautives, faciles à corriger. «[Au] lieu de dire : J’ai mis mon suit case à la parcel office, disons : — J’ai consigné mon porte-habit» (p. 8).

Il fut un temps où le popcorn s’appelait crispettes (p. 16).

Qu’est-ce que la conscience ? «La conscience est la plaque sur laquelle on appuie la poitrine pour percer» («Perceuse à conscience», p. 82 et «Vilbrequin d’angle», p. 84).

L’epigona ? «Assouplisseur pour les doigts. Ce petit appareil à [sic] cinq touches à ressort de même largeur que celles du piano. Il permet aux pianistes, violonistes et tous instrumentistes d’acquérir la souplesse et l’écartement réguliers et progressifs des doigts» (p. 48). Ce serait un des «Accessoires de bureau».

Le titre est cependant trompeur. Il n’indique pas que l’abbé Blanchard est un fervent défenseur de «la soudure des mots composés» (p. 3), qu’il offre, sur deux colonnes, une section de «Disons» ceci «Plutôt que» cela (p. 104-105) et qu’il a préparé un glossaire de la «balle au camp» (baseball) et un glossaire du «hoquet» (hockey), joliment désuets (p. 106-109). («Hoquet» ? «Le mot hockey vient de l’ancien mot français hoquet. Nous sommes de l’avis du “Droit”, proposant de substituer ce mot à gouret», p. 60.)

On trouve tout cela charmant, sauf quand il est question des «métèques de Montréal» (p. 36), qui paraissent bien moins appréciés que «nos gens».

 

Référence

Blanchard, abbé Étienne, 2000 mots bilingues par l’image, Montréal, L’Imprimerie des marchands limitée, 1920, 112 p. Ill.

Étienne Blanchard (© Université de Montréal)

Mise au point nécessaire

Le constructeur automobile Ford lance le système Sync : vous parlez à votre voiture pour contrôler votre lecteur multimédia ou pour utiliser votre téléphone.

Sync offre une commande Messages textes audibles :

Vous voulez recevoir et répondre à un message texte au volant ? Aucun problème avec Sync, il vous suffit d’appuyer sur un bouton et Sync vous le lira. Le système est assez intelligent pour traduire des expressions courantes en langage SMS comme MDR et :). Et en plus, vous pouvez répondre en mode mains libres. Dites simplement à Sync d’envoyer une de ses 15 réponses textes personnalisées.

La publicité télévisée de Ford met en vedette cette commande. On entend une voix (féminine) lire un texto : «Amène-moi une pinte de lait.»

Le système n’est encore pas tout à fait au point. La voix est un peu artificielle. Les fautes de langue, par exemple un verbe mal choisi («Amène»), ne sont pas corrigées.

Ça viendra ?

Poques poque puck

En page B7 du Devoir d’hier : «Une mosaïque de “multipoqués”».

On peut imaginer que le lecteur non averti s’interrogera plus sur multipoqués que sur mosaïque, encore que la conjonction des deux substantifs étonne également.

Multipoqués ? Une personne, généralement un enfant ou un adolescent, souffrant de problèmes (les poques) additionnés (multi). Ces problèmes peuvent être aussi bien psychologiques (affectifs, comportementaux) que physiques.

Mais encore : une poque ? Le mot désigne la trace d’un coup ou d’une blessure (un bleu), ou une marque sur un fruit (la pomme qui a des poques n’attire pas le chaland) ou, plus généralement, sur un objet («I a une grosse poque sur ta nouvelle table», dixit Léandre Bergeron en 1981, p. 137). Est poqué quelqu’un qui a subi des blessures, parfois graves, ou qui se remet lentement d’excès, par exemple d’imbibition. Il va de soi qu’un objet peut aussi être poqué. Le verbe transitif poquer est attesté. Son complément est un objet : on peut poquer une table, pas un chaland.

Le multipoqué est donc quelqu’un qui se remet difficilement, voire pas du tout, d’une situation dont il a été la victime.

La question reste cependant ouverte : comment réunir les multipoqués dans une mosaïque ?

P.-S. — On ne confondra pas la puck, cette rondelle indispensable au hockey, et la poque qui peut résulter de la pratique de ce sport.

P.-P.-S. — Augustin Turenne faisait doublement erreur en 1962 quand il affublait poque d’un accent circonflexe et lui donnait le sens d’entaille (p. 82). Par définition, la poque n’est pas ouverte : elle se manifeste juste à la surface ou elle y affleure. (Turenne a aussi éraflure comme synonyme; ça se défend.)

 

[Complément du 26 mars 2019]

En 1937, la brochure le Bon Parler français classait «Poque», mis pour «Bosse», parmi les anglicismes (p. 18).

 

[Complément du 20 juin 2021]

Un poqué qui consomme de la drogue est un toxico-poqué, dixit le Devoir de cette fin de semaine : «Le regard à la fois généreux et implacable de Nan Goldin sur les toxico-poqués qui l’entouraient compte également parmi ses références.»

 

Références

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise précédé de la Charte de la langue québécoise. Supplément 1981, Montréal, VLB éditeur, 1981, 168 p.

Le Bon Parler français, La Mennais (Laprairie), Procure des Frères de l’Instruction chrétienne, 1937, 24 p.

Turenne, Augustin, Petit dictionnaire du «joual» au français, Montréal, Éditions de l’Homme, 1962, 92 p. Avertissement de Guy Rondeau.