Insulte(s)

Un directeur de théâtre montréalais, associé au festival Juste pour rire, se montre grossier envers des internautes qui se sont plaints du fait qu’un de ses courriels publicitaires était écrit uniquement en anglais. Ce cas de «dérapage linguistique» a soulevé des vagues ces jours derniers; le Devoir résumait l’affaire vendredi dernier.

Hier, les Jeunes Patriotes du Québec appelaient à une manifestation pour dénoncer le signataire du courriel, sous le titre «Go Fuck Yourself». Extrait de leur invitation : «La situation du français à Montréal est précaire. La situation devient intenable et la population ne doit plus se taire. Nous devons exprimer haut et fort notre mécontentement sur toutes les tribunes et à chaque occasion qui se présente. […] Eric Amber, propriétaire du théâtre Sainte-Catherine a été trop loin. Celui-ci a insulter de manière très cavalière une troupe de théâtre demandant de la documentation en français […].»

«Insulter» au lieu d’«insulté» ? La faute est gênante. Est-ce pour cela qu’il n’y a eu qu’une trentaine de participants à la manifestation, selon le compte rendu du Devoir de ce matin ? Cela serait compréhensible.

De l’humanité

Le Devoir des 18-19 juillet publie un compte rendu de l’ouvrage Éthique & publicité. L’auteur du livre, Claude Cossette, y parlerait de la «personne humaine» (citation, p. E5). Il est vrai que certaines personnes sont inhumaines, mais même celles-là doivent être humaines, non ? Une personne humaine, n’est-ce pas simplement une personne ?

P.-S. — Il ne faut pas confondre, semble-t-il, la personne humaine avec le capital humain — qui est «un gros “plus”» (la Presse, 11 janvier 2004, cahier Affaires, p. 2) — ni avec la ressource humaine — «Pour se différencier les unes des autres, ces grandes villes doivent dorénavant conjuguer de nombreux atouts dans différents secteurs pour assurer la présence de cette ressource irremplaçable, la ressource humaine. Voilà un terme générique et anonyme qui fait référence à du vrai monde. C’est un manuel, un créateur ou un scientifique et il porte un nom, citoyen» (Jean-Marc Fournier, ministre québécois des Affaires municipales, cité par Michèle Ouimet, «Le roi de la tautologie», la Presse, 21 novembre 2003, p. A15).

 

[Complément du 23 décembre 2014]

S’il faut en croire la Presse+ du jour, il existerait dorénavant une «personne non humaine». Ça ne va pas simplifier les choses.

La «personne non humaine»

 

[Complément du 16 janvier 2015]

Josélito Michaud serait, dit la Presse, un spécialiste de l’«entrevue humaine». Serait-ce parce qu’il interviewe des personnes humaines ? (Merci à @karineb1982 pour le lien.)

Citation de la paroisse Saint-Louis-de-France / du jour

 

Marc Robitaille, Un été sans point ni coup sûr. Récit, 2004, couverture

«Quand on est arrivés au terrain, il y avait un gars qui attendait derrière le back-stop avec sa mitte et un monsieur.

“C’est toi le coach ?” a demandé le monsieur à mon père.

Mon père a dit oui, en faisant semblant de ne pas être trop énervé par le tutoiement même si je sais qu’il trouve ça excessivement malpoli de tutoyer les inconnus, à moins d’avoir déjà trait des vaches avec eux. Ou quelque chose comme ça.»

Marc Robitaille, Un été sans point ni coup sûr. Récit, Montréal, les 400 coups, 2004, 139 p., p. 76.

Humour ?

Le festival Juste pour rire sévit actuellement à Montréal. Parmi les publicités de ses commanditaires, celle-ci, de la bière Labatt Bleue, pour sa zone BBQ : «Tu vas bouffer de rire. Viens-t’en à la Place Labatt Bleue.»

Deux choses à noter.

Encore une fois, l’inévitable tutoiement.

Surtout, cette substitution déconcertante — bouffer au lieu de pouffer —, qui rend le slogan difficile à interpréter, du moins à la première lecture. Pour qui devrait logiquement viser l’efficacité, c’est un drôle de choix.

Ami ami

Déclaration de Michel Therrien sur Jacques Demers, la Presse+, 19 octobre 2016

Être l’ami de quelqu’un, c’est bien; être son ami personnel, ce serait mieux.

Vraiment ?

La Presse du 15 octobre 2007 parlait «des amis personnels de l’ancien premier ministre» Jean Chrétien (p. A10). Ce type de superamitié paraît particulièrement actif dans le milieu politique, mais ça ne semble pas y être un avantage dans toutes les occasions. On se méfie, dirait-on, de l’ami personnel, surtout de l’ami personnel du régime, toujours suspect de vouloir abuser de sa position.

Question, en passant : est-il des amis impersonnels ? Si oui, ils ne doivent pas être très amusants.

 

[Complément du 11 novembre 2014]

Moment d’illumination de l’Oreille tendue ce matin : et si l’ami personnel était en fait l’ami intime ? Voilà qui expliquerait tout (ou presque).

 

[Complément du 22 décembre 2014]

Faisons plus simple encore : ami proche.

 

[Complément du 25 mai 2015]

Dans un manuel célèbre aux États-Unis, On Writing Well, William Zinsser s’en prend au «clutter», ce qui alourdit la prose. Vous pouvez enlever des mots d’une phrase ? Enlevez-les : «Writing improves in direct ratio to the number of things we can keep out of it that shouldn’t be there. […] Examine every word you put on paper. You’ll find a surprising number that don’t serve any purpose.» Un exemple ? «The personal friend has come into language to distinguish him or her from the business friend, thereby debasing both language and friendship.» Ne dévalorisons ni le langage ni l’amitié; ne parlons plus d’ami personnel.

 

[Complément du 22 juin 2020]

Dans un polar de 1968, Chauffé à blanc, le mal sévit deux fois plutôt qu’une : «Quand je lui demande qui pourrait confirmer l’existence de cette liaison, il me donne, plus encore à contrecœur, le nom du propriétaire d’un motel, à Chevy Chase, un ami personnel de la personne en question et, plus récemment, un ami personnel des Hogan» (p. 114).

 

[Complément du 18 décembre 2023]

L’Oreille tendue avoue avoir été fort étonnée de trouver «ami personnel» sous la plume de Jean-Philippe Toussaint dans son plus récent livre, l’Échiquier (2023, p. 222).

 

Références

Coe, Tucker, Chauffé à blanc, Paris, Gallimard, coll. «Série noire», 1176, 1968, 250 p. Traduction de M. Elfvik.

Toussaint, Jean-Philippe, l’Échiquier, Paris, Éditions de Minuit, 2023, 244 p. Ill.

Zinsser, William, On Writing Well. 30th Anniversary Edition. The Classic Guide to Writing Nonfiction, New York, Collins, 2006. Édition numérique.