Citation touristico-gatinoise du jour

Fred Vargas, Sous les vents de Neptune, 2004, couverture

Le commissaire Adamsberg et son fidèle Danglard débarquent au Québec, près de Hull (avant que la ville ne devienne Gatineau).

— C’est l’usage, de tutoyer tout le monde ?
— Oui, ils le font très naturellement.
— On doit faire pareil ?
— On fait comme on veut et comme on peut. On s’adapte.

Fred Vargas, Sous les vents de Neptune, Paris, Viviane Hamy, coll. «Chemins nocturnes», 2004, 441 p., p. 132.

On appréciera le «naturellement».

 

[Complément du 13 janvier 2021]

La linguiste Nadine Vincent, en 2104 et en 2020, a étudié la façon dont Fred Vargas a représenté le français parlé au Québec, tant dans son roman que dans le téléfilm qui en a été tiré. À juste titre, elle n’est pas tendre.

 

Références

Vincent, Nadine, «Écrire dans la variante de l’autre : le cas de Sous les vents de Neptune de Fred Vargas», article électronique, Continents manuscrits. Génétique des textes littéraires — Afrique, Caraïbes, diaspora, 2, 2014. https://doi.org/10.4000/coma.317

Vincent, Nadine, «Qu’est-ce que la lexicographie parasite ? Typologie d’une pratique qui influence la représentation du français québécois», article électronique, Circula. Revue d’idéologies linguistiques, 11, printemps 2020. https://doi.org/10.17118/11143/17843

Les enfants de la pub

Un lecteur du Devoir s’insurge contre l’emploi généralisé du tutoiement dans les publicités pour le nouveau vélo en libre-service de Montréal, le Bixi : «Change ta ville», «Pédale avec ta tête», «Change l’indice de smog», etc. Il considère que cela infantilise les utilisateurs potentiels de ces bicyclettes (14 juin 2009, p. C4). Il a raison.

En revanche, la publicité de l’Insectarium de Montréal, elle, a recours à juste titre au tutoiement : «Viens jouer dehors. Nouvel espace de découvertes. La Cour aux insectes.» Pourquoi ? Parce qu’elle s’adresse, elle, vraiment à des enfants, ceux qui iront courir dans la nouvelle aire de jeu du Jardin botanique.

Il est rassurant de savoir que quelqu’un, dans l’administration municipale, peut distinguer les vrais enfants des autres.

Ne quittez pas, ter

Le 18 juin, l’Oreille tendue notait qu’à l’Université de Montréal elle n’était pas la seule à regretter l’emploi intransitif du verbe quitter. Un usager de la Bibliothèque des lettres et sciences humaines — ce n’est pas l’Oreille, elle le jure — avait écrit «faute !» sur une affichette qui comportait les mots «quitter pour l’été».

L’Oreille repasse hier devant la même affichette. Celle-ci porte les traces d’un dialogue :

Université de Montréal, 6 juillet 2009

À côté de «faute !», quelqu’un a ajouté «Non !», puis quelqu’un d’autre a mis son grain de sel, mais avec pédagogie : «Oui. Quitter est un verbe transitif (demande COD)».

La guerre fait rage. Pour d’autres informations du front, ne quittez pas.

La ville, c’est urbain

L’urbain a la cote.

Un spa, c’est bien; un «spa urbain», c’est mieux. Vous songez à déménager à la campagne ? «Optez pour un naturel urbain» (Salaberry-de-Valleyfield, juillet 2005).

Mais il y a plus fort : le résolument urbain.

À Québec — qui, jusqu’à preuve du contraire, est une ville —, on peut fréquenter le Urba Resto Lounge. C’est, dit le Devoir de ce samedi, «un restaurant résolument urbain, aux allures branchées et décontractées» (3 juillet 2009, p. B7). Qu’y mange-t-on ? Une cuisine «dite urbaine d’inspiration internationale». Qu’y écoute-t-on ? De la musique «à saveur urbaine», voire «à saveur lounge et urbaine».

Peut-on être plus urbain que cela ? C’est résolument difficile à imaginer.

 

[Complément du 11 juillet 2009]

Déambulant hier soir rue Saint-Joseph, un lecteur québecquois de l’Oreille tendue est tombé sur la publicité suivante : «Votre boutique de chaussures urbaines bientôt ici». La ville, à Québec, ça marche.

 

[Complément du 18 juillet 2009]

Montréal n’est évidemment pas à l’abri de cette mode. Plaza Alexis-Nihon, au centre-ville, hier : «Totalement urbain.»

 

[Complément du 10 juin 2018]

«Hono Izakaya, un pub urbain à la japonaise», titre le Devoir de la fin de semaine. Dans l’article ainsi coiffé, on lit notamment ceci : «L’ambiance étonne. Pour ce resto d’une trentaine de places, les propriétaires ont voulu créer une ambiance urbaine et décontractée, voire minimaliste, avec un décor où dominent les planches nues, le mur de briques laissant deviner le tracé de l’ancien escalier et, bien sûr, l’espace bar où s’attablent amis et collègues le temps d’un verre ou deux.» Ce «pub urbain» à l’«ambiance urbaine et décontractée» se trouve dans la Vieille capitale.

Soyons rassurés : Québec reste une ville.

Trouvaille

William S. Messier, Townships, 2009, couverture

Le lecteur de Townships. Récits d’origine de William S. Messier (2009) ne peut qu’être frappé par la dimension états-unienne de ce recueil de nouvelles : décor, musique, sport, langue. Beaucoup de mots anglais (tearjerkers) y sont en italiques. La plus grande création linguistique de Messier, elle, n’est pas mise en relief : «vomir jusqu’à se fouler une amygdale» (p. 46). Elle mérite pourtant d’être soulignée.

 

[Complément du 13 mai 2015]

C’est confirmé. Il se passe des choses violentes dans la bouche des personnages de Messier. Autre exemple, tiré de Dixie, paru en 2013 : «Ses cordes vocales lui fouettent les dents, tellement elle hurle […]» (p. 137).

 

[Complément du 1er décembre 2021]

Selon Maxime Raymond Bock, on peut aussi «se disloquer l’épiglotte» (Morel, p. 127). Qu’est-ce qui fait le plus mal ?

 

[Complément du 23 août 2022]

En matière de tall tale anatomique, le romancier Christophe Bernard, dans la Bête creuse (2017), ne donne pas sa place : «Il scribouillait dans son cahier, à peu près certain qu’un morceau de son palais s’était détaché tellement il avait soif» (p. 134); «Steeve a gueulé à s’en rouvrir la fontanelle» (p. 160); «Un cri à te décrasser un tuberculeux qui fume un paquet et demi par jour» (p. 244).

 

[Complément du 26 décembre 2022]

Tousser peut aussi être dangereux, foi de Fabien Cloutier dans l’Allégorie du tiroir à ustensiles :

Mon frère a eu une grosse grippe d’homme
des sécrétions épaisses et jaunâtres
les yeux collés dans l’pus
y s’est fêlé le sternum en toussant (p. 38)

 

[Complément du 17 octobre 2024]

Oculairement ? «Elle nous oblige à laisser la porte ouverte, on roule tellement des yeux qu’on se voit un bout du cerveau» (les Sentiers de neige, p. 192).

 

Références

Bernard, Christophe, la Bête creuse. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 14, 2017, 716 p.

Cloutier, Fabien, l’Allégorie du tiroir à ustensiles. Chroniques et monologues pour se replonger dans les années 2018-2022, Montréal, Lux éditeur, 2022, 224 p. Dessins de Samuel Cantin.

Lambert, Kev, les Sentiers de neige. Conte d’hiver, Montréal, Héliotrope, 2024, 412 p.

Messier, William S., Townships. Récits d’origine, Montréal, Marchands de feuilles, 2009, 111 p.

Messier, William S., Dixie. Roman, Montréal, Marchand de feuilles, 2013, 157 p. Ill.

Raymond Bock, Maxime, Morel. Roman, Montréal, Le Cheval d’août, 2021, 325 p.