Nostalgie du jour

L’Oreille tendue, dit-on, ne rajeunit pas. Elle en a vécu un nouvel exemple aujourd’hui.

Les Canadiens — c’est du hockey — jouent un match ce soir. La Société de transport de Montréal suggère aux spectateurs — 3500 dans le Centre Bell lui-même, plusieurs centaines à l’extérieur — de s’y rendre en métro.

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On doit entendre doublement «gagner la série» : le verbe désigne à la fois se rendre à et triompher.

Il y a sept (!) lustres, dans un cours de français destiné à des étudiants états-uniens, l’Oreille présentait le double sens de ce verbe avec une publicité pour du thon en boîte : «Gagnez le Sénégal.» (Vous achetiez du thon. Il y avait un concours. La récompense était un voyage.)

À la manière de Racine, l’Oreille sent parfois, et de plus en plus, «des ans l’irréparable outrage» (Athalie, acte II, sc. V).

Dégager ?

«Dégage», slogan politique

Au hockey, en règle générale, une équipe préfère jouer en zone adverse (la zone offensive) plutôt que dans sa propre zone (la zone défensive). Si elle ne peut quitter son territoire en possession du disque, elle peut choisir de le dégager. On peut lui refuser ce dégagement.

Éric Bélanger est devenu cette semaine l’entraîneur des Lions de Trois-Rivières de la East Coast Hockey League. En entrevue à la Presse+, Marc-André Bergeron, qui l’a recuté, déclare ceci : «C’est un gars qui dégage, qui a du leadership, qui fait sentir sa présence et je pense que ce sont tous des éléments importants pour un entraîneur-chef.»

On aura compris que le mot dégager peut avoir plusieurs sens. Bergeron n’a pas engagé Bélanger parce qu’il lui est déjà arrivé, à titre de joueur, de dégager la rondelle, mais parce qu’il a une aura particulière — si particulière qu’il n’est pas nécessaire de définir sa nature.

Pour résumer : dégager, ce n’est pas bien; dégager, c’est bien.

P.-S.—Oui, c’est de la langue de puck.

 

Référence

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014), couverture

Les zeugmes du dimanche matin et de François Blais

François Blais, Document 1, 2012, couverture

«Honnêtement, je crois que je n’ai aucune imagination. Petite, je me suis tirée de tous les mauvais pas (incartades, devoirs pas faits, etc.) grâce à un répertoire de trois ou quatre menteries, que j’ai resservies à toutes les sauces à mes parents, à mes professeurs et à ma conscience.»

«Le voisin brettait sur son balcon. Rien qu’à voir on voyait bien qu’il aurait donné dix ans de sa vie pour savoir ce qu’on avait tramé tout ce temps-là, mais il a eu assez d’emprise sur lui pour ne point nous interroger, alors on a juste échangé quelques banalités en se croisant (j’étais tellement ivre d’alcool et de bonne humeur que je lui ai adressé la parole moi aussi).»

François Blais, Document 1. Roman, Québec, L’instant même, 2012, 179 p. Édition numérique.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Non-vœu

Maxime Raymond Bock, les Noyades secondaires, 2017, couverture

Dans le français populaire du Québec, le mot flat(t)(e) peut désigner plusieurs choses.

Venu de l’anglais, il est synonyme de crevaison : J’ai eu un flat.

En matière d’imbibition, il indique qu’une boisson houblonnée a perdu son effervescence :

Il se lève et finit la grosse bière
flatte sur sa table de travail (Poèmes anglais, p. 170).

Un plongeur ratant son entrée dans l’eau fait aussi un flatte :

un flatte en pleine face après une ouverture aléatoire, qu’il ne fallait jamais perdre le décompte quand alternaient l’eau et le plafond à toute vitesse (les Noyades secondaires, p. 27).

Dans la Presse+ du 4 juin, on apprend que la Québécoise Lysanne Richard entend plonger du haut d’une montgolfière «volant à une altitude de 20 à 25 mètres, l’équivalent d’un immeuble de huit étages». On ne lui souhaite pas de faire un flatte.

 

Références

Desbiens, Patrice, Poèmes anglais suivi de la Pays de personne suivi de la Fissure de la fiction, Sudbury, Prise de parole, coll. «Bibliothèque canadienne-française», 2010, 223 p. Préface de Jean Marc Larivière. Édition originales : 1988, 1995 et 1997.

Raymond Bock, Maxime, les Noyades secondaires. Histoires, Montréal, Le Cheval d’août, 2017, 369 p.