Langue de balle. Troisième manche

Jacques Poulin, Chat sauvage, 1998, couverture

(En 2013, l’Oreille tendue a proposé ici un «Dictionnaire des séries»; elle en a par la suite tiré un livre, Langue de puck. Abécédaire du hockey. Elle a aussi réfléchi à la langue du football américain, et donc canadien, et vice versa; c’est là. Qu’en est-il du vocabulaire du baseball, de la langue de balle ? Troisième texte d’une série.)

 

«Une vingtaine de pages plus loin, toutefois, il fut de nouveau question de baseball. Une petite phrase me fit sursauter :

C’était la prise quatre.

J’étais atterré. Comme des millions d’amateurs de sport en Amérique, je savais très bien que le nombre de prises, au baseball, était limité à trois. Je refermai le roman, éteignis la veilleuse et me remis à la fenêtre. Le regard perdu dans la nuit, je me mis à penser aux nombreux traducteurs qui vivaient en France, de l’autre côté de l’Atlantique, et qui traduisaient des romans américains. Ils avaient toute ma sympathie, car je savais à quel point leur métier était difficile, et l’envie me vint de leur écrire une lettre.

Je voulais leur dire qu’il y avait au Québec, depuis peut-être un siècle, un grand nombre de gens qui pratiquaient le baseball et le football américain, et qu’ils le faisaient en français. Un français qui avec les années était devenu élégant et précis, grâce au travail de traduction accompli par les commentateurs sportifs de la radio et de la télé. C’est pourquoi je leur donnais un conseil, à titre de collègue : lorsqu’ils devaient traduire un roman américain contenant des passages sur le baseball ou le football, ils avaient intérêt à consulter un des nombreux Québécois qui vivaient à Paris ou ailleurs en France. Si cette démarche ne leur convenait pas, ils n’avaient qu’à donner un coup de fil à la Délégation du Québec : même la téléphoniste était en mesure de leur indiquer les traductions exactes. Pour ma part, j’étais disposé à réviser leurs textes tout à fait gratuitement, pour être enfin débarrassé des inepties qui encombraient la version française des romans américains.»

Jacques Poulin, Chat sauvage. Roman, Montréal et Arles, Leméac et Actes Sud, 1998, 188 p., p. 115-116.

Langue de balle. Deuxième manche

Serge Bouchard, les Yeux tristes de mon camion, éd. de 2017, couverture

(En 2013, l’Oreille tendue a proposé ici un «Dictionnaire des séries»; elle en a par la suite tiré un livre, Langue de puck. Abécédaire du hockey. Elle a aussi réfléchi à la langue du football américain, et donc canadien, et vice versa; c’est là. Qu’en est-il du vocabulaire du baseball, de la langue de balle ? Deuxième texte d’une série.)

 

«J’aime le baseball depuis toujours, comme on aime l’idée de courir sur les sentiers, de se tenir debout dans le champ ou de rentrer sain et sauf à la maison. Les expressions françaises qui décrivent le jeu sont franchement belles. Il arrive que les sentiers sont déserts, que le voltigeur fasse une longue course qui l’oblige à reculer, dos à la clôture, qu’il regarde aller la balle du simple fait qu’elle est partie; il arrive que le frappeur frappe une chandelle dans le champ intérieur ou une flèche dans le champ droit, que la défensive soit mystifiée par une balle qui a des yeux, par une balle qui tombe, par une autre qui voyage, que le frappeur fende l’air, s’élance dans le vide, qu’il soit supris par un bâton fracassé, qu’il soit menotté par un lanceur dominant, retiré par un gant doré, avant de sombrer dans une longue léthargie qu’il devra un jour ou l’autre secouer.»

Serge Bouchard, les Yeux tristes de mon camion. Essai, Montréal, Boréal, coll. «Boréal compact», 303, 2017, 212 p., p. 46. Édition originale : 2016.

Langue de balle. Première manche

Jackie Robinson tentant de voler le marbre, 18 mai 1952 (Photographie par Nat Fein)

(En 2013, l’Oreille tendue a proposé ici un «Dictionnaire des séries»; elle en a par la suite tiré un livre, Langue de puck. Abécédaire du hockey. Elle a aussi réfléchi à la langue du football américain, et donc canadien, et vice versa; c’est là. Qu’en est-il du vocabulaire du baseball, de la langue de balle ? Premier texte d’une série.)

 

«La langue des sports est une langue vivante.
Dans le Québec, c’est une langue véritablement française.»
Michel Normandin, 1957

Le terrain de baseball est parfois appelé losange. Au champ intérieur, on trouve trois buts (bases, en France), le premier, le deuxième et le troisième; il n’y a pas de quatrième. Le frappeur (le batteur, en Hexagonie) part en effet du marbre et souhaite y revenir, histoire de marquer un point. Sa mission est d’atteindre les sentiers, de les parcourir, puis de croiser le marbre.

Parmi les nombreuses façons de passer d’un but à l’autre, sauf pour aller du marbre au premier, il y a le vol de but : le coureur essaie de passer d’un but à l’autre tout seul, comme un grand, sans attendre qu’un de ses coéquipiers frappe la balle ou que l’équipe adverse fasse une erreur. Les meilleurs voleurs de but, ces marchands de vitesse, n’attendent pas qu’on leur demande de commettre un larcin; maîtres de leur destinée, ils ont le feu vert; à eux d’être en course et de s’élancer vers le but quand bon leur semble. Certains ne sont pas doués dans les autres phases du jeu; on ne les utilise que comme coureurs suppléants.

Qui vole debout accomplit un petit miracle : il n’y a pas eu de relai pour tenter de le retirer; il est sauf sans effort particulier. Le plus souvent, le coureur glisse au but; certains préfèrent y aller d’un plongeon, tête première.

On l’imagine facilement : ni les lanceurs ni les receveurs n’apprécient qu’on vole contre eux. Ils ont des stratégies pour se défendre.

Le lanceur peut, plutôt que de lancer au marbre, lancer vers les coussins (oui, ce sont les buts) : dans le meilleur des cas, le coureur sera surpris, pris à contrepied et retiré; dans les autres, ça l’obligera à être plus prudent, par exemple en prenant un plus petit écart avec le but. Si l’artilleur abuse de ces lancers ou s’il multiplie les feintes, il sera hué : c’est un chicken. S’il merde, on parle de geste illégal ou de feinte illégale : ce crime fait avancer le coureur, voire les coureurs; on a obtenu ce qu’on voulait à peu de frais.

Le receveur, surtout s’il a un bras puissant, essaie d’épingler le coureur. Histoire de se donner un avantage, il peut commander un tir à l’extérieur : n’étant pas embêté par le frappeur, il pourra dégainer plus rapidement et décocher son lancer plus efficacement.

Tout n’est pas noir ou blanc au baseball. On peut être retiré en tentative de vol. On peut réussir. Mais il arrive que le coureur se retrouve pris en souricière : ni sauf, ni retiré, il se démène pour retourner au but où il se trouvait ou pour avancer au suivant, pendant que l’équipe adverse veut l’en empêcher. Cela peut être assez excitant.

L’est aussi le double vol, quand deux larcins ont lieu en même temps. Un triple vol ? Ce n’est pas impossible, mais il ne faut pas exagérer non plus.

Le plus beau jeu au baseball, et un des plus rares ? Voler le marbre. Jackie Robinson, représenté ci-dessus, y excellait. Ce n’est qu’une raison parmi d’autres de l’admirer.

P.-S.—Pour une approche historique, on va par là.

P.-P.-S.—Saisissons l’occasion pour la créer : une rubrique «Langue de balle» existe désormais.

 

Références

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.

Normandin, Michel, «La langue des sports», Vie française, 12, 1-2, septembre-octobre 1957, p. 34-46.

Saga, encore

Stade olympique, Montréal, photographie de Bernard Brault

On l’a appris la semaine dernière : le Stade olympique de Montréal vient de se découvrir de nouveaux problèmes.

Rien là de bien neuf, comme l’avait vu Monique Proulx, en 1996, dans les Aurores montréales :

Et maintenant, dehors dans l’obscurité fraîche, Pierrot admire le Stade olympique, que les admirables Montréalais paient depuis des lustres sans rechigner. Cet édifice qui ressemble à un spoutnik périmé le remplit d’une joie aiguë, cet édifice est la ville dans laquelle il se glissera tel un rat expérimental, il ira voir des matches, il examinera de près le toit qui a donné naissance à cette saga dans les journaux — modeste et pitoyable saga sans doute, à la mesure des drames collectifs d’ici (p. 27).

«Modeste», «pitoyable» — mais coûteuse.

 

Référence

Proulx, Monique, les Aurores montréales. Nouvelles, Montréal, Boréal, coll. «Boréal compact», 85, 2016, 238 p. Édition originale : 1996.

De mort violente

Orignal mort, dans un camion

Soit les phrases suivantes, tirées d’œuvres québécoises récentes :

«Ce soir-là, j’ai dormi sans Thomas. Où était-il ? Avait-il tué » (Kukum, p. 54)

«T’as-tu tué ?» (Québec Redneck Bluegrass Projet)

«C’est exactement ce qui est arrivé lorsque j’ai tué pour la première fois» (le Temps des récoltes, p. 31).

«Le père de Max avait tué à l’automne, ça l’avait mis de bonne humeur, la première fois qu’il allait à la chasse depuis deux ans» (le Chemin d’en haut, p. 59).

Qu’on se rassure : comme l’indique la dernière phrase, les Québécois ne sont pas particulièrement portés sur l’assassinat, sauf quand ils vont à la chasse. S’il ont tué, c’est un animal. Ouf.

 

Références

Cardin, Élisabeth, le Temps des récoltes. Cultiver le territoire, Montréal, Atelier 10, coll. «Documents», 19, 2021, 73 p. Ill.

Chabot, J. P., le Chemin d’en haut. Roman, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 171, 2022, 224 p.

Jean, Michel, Kukum, Montréal, Libre expression 2019, 222 p.

Québec Redneck Bluegrass Project, J’ai bu, Spectacles Bonzaï et Québec Redneck Bluegrass Project, 2020, 239 p. Ill. Avec un cédérom audio.