N’exagérons rien

Dans le français populaire du Québec, on trouve des conseils. «Pousse, mais pousse égal», par exemple, suppose une forme d’exagération, mais limitée : «Mets-en, mais pas trop.»

Cela peut même s’appliquer dans le domaine agricole. Des exemples ?

«Pousse mais pousse local», suggère W communication pour l’Union des producteurs agricoles du Québec.

«Pousse mais pousse local. -Réalisé au Québec pour l'Union des Producteurs Agricoles», t-shirtr

«Pouce vert mais pousse égal», chante Québec Redneck Bluegrass Project (p. 67).

Vive la culture !

P.-S.—Les cinéphiles, façon de parler, se souviendront du film Pousse mais pousse égal (1975), de Denis Héroux.

 

Référence

Québec Redneck Bluegrass Project, J’ai bu, Spectacles Bonzaï et Québec Redneck Bluegrass Project, 2020, 239 p. Ill. Avec un cédérom audio.

Fonçons !

«Ça roule au toast chez St-Méthode», la Presse+, 4 août 2025, titre

Soit le titre de presse suivant : «Ça roule au toast chez St-Méthode.» Traduction libre : dans cette boulangerie, on ne traînasse pas.

Un fidèle lecteur de l’Oreille tendue s’étonne : «toast» au singulier ? Il aurait spontanément mis le mot au pluriel. L’Oreille itou, de même que Pierre DesRuisseaux (y aller aux toasts, p. 301).

Son sens dans le français populaire du Québec ? Foncer, attaquer de plein fouet, filer, ne pas perdre de temps.

À votre service.

 

Référence

DesRuisseaux, Pierre, Trésor des expressions populaires. Petit dictionnaire de la langue imagée dans la littérature et les écrits québécois, Montréal, Fides, coll. «Biblio • Fides», 2015, 380 p. Nouvelle édition revue et augmentée.

S’en aller, volontairement ou pas

Extrait du quotidien la Presse+, 14 février 2023

On peut quitter un emploi ou une fonction de son propre chef : cela s’appelle démissionner (de).

On peut se faire montrer la porte, de façon plus ou moins amène : dans le français populaire du Québec, on voit démissionner sur le cas de quelqu’un. Pour ce quelqu’un, ce n’est pas agréable, du moins on l’imagine.

À votre service.

Protégez-vous !

Une brique et un fanal, collage

Dans la Presse+ d’hier : «Je sais que cette chronique sera accueillie avec une brique et un fanal.»

Brique et fanal seraient donc des objets potentiellement contondants ?

Explication du dictionnaire numérique Usito : «Québec. Familier. Attendre qqn avec une brique et un fanal, de pied ferme sous l’effet de la colère, du mécontentement.»

À votre service.

Le point sur la guidoune

André Belleau, Y a-t-il un intellectuel dans la salle ?, 1984, couverture

Nous avons plusieurs fois croisé la guidoune.

Le mot fait partie d’un large ensemble de mots du français populaire du Québec se terminant en -oune. Définition :

La guidoune est une personne aux mœurs légères, femme (surtout) ou homme. Il lui arrive donc de guidouner, parfois contre rétribution.

L’ange tutélaire de l’Oreille tendue, André Belleau, aimait ce mot :

«La langue française aussi est à tout le monde. C’est une guidoune que personne n’a réussi à maquer» (1981, p. 35);

«La vérité, c’est que les langues sont des guidounes et non des reines» (1983, p. 4);

«Je dérivais jusqu’à l’aube de boîte en boîte, de bar en bar, un livre sous le bras, mêlé à la foule des noctambules, des guidounes, des musiciens, heureux, euphorique même, comme soulevé par une vaste promesse indéfinie» (1984, p. 86).

Y a-t-il quelque chose à ajouter ?

Michel Tremblay emploie très fréquemment le mot. Dans la Traversée du continent (2007), on en explique le sens à une enfant :

«Quel âge que t’as, Rhéauna ?
— J’vas avoir onze ans la semaine prochaine…
— Tu dois t’être assez vieille pour comprendre ça… As-tu déjà entendu le mot guidoune ?»
Rhéauna l’a entendu. À de nombreuses reprises. Surtout au sujet de madame Cantin qui habite une maison isolée à la sortie de Maria et dont on dit qu’elle gagne sa vie juste après le coucher du soleil. Et sur le dos. Mais ses grands-parents ont toujours refusé de lui en expliquer la signification. Et elle ne peut pas imaginer comment on peut gagner sa vie le soir tombé. Et étendue dans son lit.
«Oui, je l’ai déjà entendu. Y en a une, une guidoune, à Maria. Mais je sais pas ce qu’a’ fait dans la vie, au juste…»
Cette fois, Ti-Lou ne rit pas. Elle pose sa main sur celle de Rhéauna, la presse avec une grande douceur.
«Une guidoune, Rhéauna, c’est une femme indépendante.»
Rhéauna ne voit pas du tout ce que ça peut bien vouloir dire, mais hoche quand même la tête pour que sa cousine ne la trouve pas trop niaiseuse.
«Pis une femme indépendante, c’est jamais très bien vu… Tu comprends pas plus, hein ?»
À quoi bon le cacher ? Rhéauna secoue la tête.
Ti-Lou lance un soupir, regarde la petite rivière qui coule sur leur gauche et qui semble couper la ville en deux.
«Ben, c’est pas à moi à t’expliquer ça. Surtout pas à soir. Un jour, tu vas comprendre, pis tu pourras te vanter d’en avoir rencontré une dans ta vie, une des meilleures, une des plus professionnelles, une des plus consciencieuses, la grande Ti-Lou, la louve d’Ottawa» (éd. de 2017, p. 166).

La Maison Corbeil avançait, en 2013, que la guidoune se reconnaîtrait à sa façon de se vêtir : «Personne habillée de façon provocante.»

L’adverbe guidounement est attesté dans le quotidien montréalais la Presse+ (9 janvier 2021; 15 juillet 2025).

Certains, en politique québécoise, pratiqueraient le «guidounage électoral» (le Journal de Montréal, 18 juin 2024) ou la «guidounerie» (la Presse+, 10 octobre 2023).

Le dictionnaire numérique Usito considère le mot «vulgaire» et «péjoratif» : «Prostituée; femme facile, dévergondée, de mœurs légère.»

À votre service.

P.-S.—Un synonyme ? Guedaille.

 

Références

Belleau, André, «Parle (r)(z) la France», Liberté, 138 (23, 6), novembre-décembre 1981, p. 29-34; repris, sous le titre «Parle(r)(z) la France», dans Y a-t-il un intellectuel dans la salle ? Essais, Montréal, Primeur, coll. «L’échiquier», 1984, p. 45-47; repris, sous le titre «Parle(r)(z) de la France», dans Surprendre les voix. Essais, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 1986, p. 33-38; repris, sous le titre «Parle(r)(z) de la France», dans Surprendre les voix. Essais, Montréal, Boréal, coll. «Boréal compact», 286, 2016, p. 33-38. https://id.erudit.org/iderudit/60322ac

Belleau, André, «Langue et nationalisme», Liberté, 146 (25, 2), avril 1983, p. 2-9; repris, sous le titre «Pour un unilinguisme antinationaliste», dans Y a-t-il un intellectuel dans la salle ? Essais, Montréal, Primeur, coll. «L’échiquier», 1984, p. 88-92; repris, sous le titre «Pour un unilinguisme antinationaliste», dans Surprendre les voix. Essais, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 1986, p. 115-123; repris, sous le titre «Langue et nationalisme», dans Francis Gingras (édit.), Miroir du français. Éléments pour une histoire culturelle de la langue française, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, coll. «Espace littéraire», 2014 (troisième édition), p. 425-429; repris, sous le titre «Pour un unilinguisme antinationaliste», dans Surprendre les voix. Essais, Montréal, Boréal, coll. «Boréal compact», 286, 2016, p. 113-121. https://id.erudit.org/iderudit/30467ac

Belleau, André, «Des roses pour Candy Bar», dans André Carpentier (édit.), Dix nouvelles humoristiques par dix auteurs québécois, Montréal, Quinze, 1984, p. 79-89.

Tremblay, Michel, la Traversée du continent, dans la Diaspora des Desrosiers, Montréal et Arles, Leméac et Actes sud, coll. «Thesaurus», 2017, 1393 p., p. 11-192. Préface de Pierre Filion. Édition originale : 2007.