L’oreille tendue de… Jacques Poulin

Jacques Poulin, le Cœur de la baleine bleue, 1970, couverture

«Je tournai la clef dans la serrure; la porte s’entrouvrit et se bloqua : la chaînette de sécurité. La petite maison barricadée au fond du jardin. Il était quatre heures et quelque chose et j’étais content qu’Élise fût rentrée plus tôt que d’habitude.
Elle avait sûrement entendu.
Aucun bruit à l’intérieur.
Je sonnai.
Elle ne venait pas. Elle devait être dans le bain. Je sonnai encore deux petits coups. Toute nue, elle se levait, s’épongeait vivement avec la grande serviette bleue, glissait ses pieds dans ses pantoufles, enfilait sa robe de chambre, nouait sa ceinture, s’en venait, ouvrait… Mais non, elle n’avait pas entendu. J’approchai la tête de l’embrasure de la porte et sifflai doucement, deux fois. Je tendis l’oreille : rien. Je voulais m’asseoir, me reposer, je commençais à m’impatienter. J’appuyai sur le bouton de la sonnette en comptant jusqu’à dix. Toute la maison avait dû entendre ça ! Ensuite je m’assis sur la première marche de l’escalier, ma boîte de rieurs à côté, et j’allumai une cigarette» (p. 66-67).

«— On m’appelle aussi Baleine bleue, dit-elle comme si elle cherchait à me consoler.
— Pourquoi ?
— À cause de ma respiration. Je respire très fort, il paraît.
— Je ne trouve pas, dis-je en tendant l’oreille.
— C’est seulement quand je suis couchée. C’est une vieille histoire et je ne peux pas te la raconter maintenant» (p. 74-75).

Jacques Poulin, le Cœur de la baleine bleue. Roman, Montréal, Éditions du jour, coll. «Les romanciers du jour», 66, 1970, 200 p.

L’oreille tendue de… Simenon

Illustration de Madrazo pour Touriste de bananes

«Et voilà que soudain, Donadieu ricanait, tout haut, au point que Hina, dans son lit, tendit l’oreille et pensa qu’il rêvait. Il ricanait parce qu’il évoquait à nouveau les œillets du presbytère, qui étaient peut-être la cause initiale de sa fugue à Tahiti…»

Simenon, Touriste de bananes ou Les dimanches de Tahiti, dans Tout Simenon 21, Paris et Montréal, Presses de la Cité et Libre expression, coll. «Omnibus», 1992, p. 273-381, p. 378. Édition originale : 1938.

L’oreille tendue de… Médéric Gasquet-Cyrus et Christophe Rey

Médéric Gasquet-Cyrus et Christophe Rey, Va voir dans le dico si j’y suis !, 2024, couverture

«Achevons cette petite escapade en “barbarie” en évoquant des mots qui désignent simplement celle ou celui qui n’appartient pas à une région géographique (un vrai touriste, quoi), illustrant une nouvelle fois ce besoin de faire communauté à tout prix. Ainsi, si vous allez en Corse, en Normandie, ou encore en Charente, tendez l’oreille et si vous entendez respectivement les mots pinzutu / pinzut, horsain ou baignassou lorsque vous passez, ne vous méprenez pas, on ne vous souhaite pas la bienvenue ! Mais consolez-vous, on aurait très bien pu vous traiter de “Parigot”…»

Médéric Gasquet-Cyrus et Christophe Rey, Va voir dans le dico si j’y suis ! Ce que les dictionnaires racontent de nos sociétés, Ivry-sur-Seine, Éditions de l’Atelier, 2024, 242 p., p. 99.

 

P.-S.—L’Oreille tendue a présenté ce texte le 28 février 2025.

L’oreille tendue de… Stéphane Despatie

Stéphane Despatie, Fretless, 2023, couverture

«C’était comme ça que les mottons passaient chez moi; en me faisant sucer les oreilles. Bien sûr, ça n’arrivait pas assez souvent, mais ça arrivait. Et pendant que j’entendais le bruit de succion, l’oreille, pourtant bien tendue, ne laissait plus entrer d’information et mes yeux, perdus dans un brouillard de malaises, confondaient alors toutes les lèvres et toutes les langues, y compris celle qui s’attardait sur le tubercule de Darwin

Stéphane Despatie, Fretless, Montréal, Mains libres, 2023, 302 p., p. 152.