«Et le prisonnier tâtait le mur, s’arrêtait parce qu’il avait heurté un caillou, tendait l’oreille, tellement blême, tellement saugrenu, avec ses bras interminables qui battaient le vide, que partout ailleurs on l’eût pris pour un ivrogne.»
Georges Simenon, la Tête d’un homme, dans les Essentiels de Maigret, présentation de Benoît Denis, Paris, Omnibus, coll. «Tout Simenon», 2011, p. 99-200, p. 104. Édition originale : 1931.
«Musique dans le sang propose de surprenantes variations sur les thèmes connus de la vie, de la mort, de la justice et du remords. Une musique étonnante chante dans ce polar mené comme un astucieux contrepoint.
Tendez l’oreille !»
«Au moment où Maigret lui parlait, elle ne le regardait pas et elle sembla ne pas l’avoir entendu. Il répéta sa question, d’une voix plus forte. Cette fois, elle pencha la tête, tendant sa bonne oreille.»
Georges Simenon, Maigret et les vieillards, dans les Essentiels de Maigret, présentation de Benoît Denis, Paris, Omnibus, coll. «Tout Simenon», 2011, p. 733-832, p. 743. Édition originale : 1960.
«Tout le monde dormait. Il pensa à Mlle Isabelle qui se retournait dans son lit et dont le corps de blonde devait déjà être tout moite. Les Saft, dans l’autre chambre, étaient couchés dans le même lit. Il avait visité leur chambre. Le lit était si étroit qu’il se demandait comment ils y tenaient tous les deux.
Il s’assit sur son lit à lui. Plus exactement, il se retrouva assis sur son lit sans avoir eu conscience de bouger et, tout de suite, il tendit l’oreille. Il était sûr d’avoir entendu un bruit anormal, probablement un heurt de faïence ou de porcelaine.»
Georges Simenon, Maigret en meublé, dans les Essentiels de Maigret, présentation de Benoît Denis, Paris, Omnibus, coll. «Tout Simenon», 2011, p. 507-617, p. 540. Édition originale : 1951.
«Je me rappelle mon premier réveil en Chine populaire. C’était l’été et j’avais beau tendre l’oreille, quelque chose manquait. Il me fut difficile d’identifier la nature de cette carence. Il s’agissait du chant des oiseaux.»
«Lorsque les températures deviennent par trop négatives, certains oiseaux émettent un chant d’une beauté déchirante. Il n’y a pas d’explication biologique à cette splendeur. La seule que les ornithologues ont donnée est celle-ci : la révélation de la beauté diminue l’angoisse due au froid. En cas de canicule, on peut tendre l’oreille : aucun oiseau ne chante.»
«Je ne tardai pas à élucider une vérité merveilleuse, à savoir que les oiseaux sont des individus. Affirmer que le rouge-gorge chante bien équivaut en sottise à déclarer que l’homme chante bien. En tendant l’oreille, je décelais quel rouge-gorge avait du talent. Ce n’était pas uniquement une question de spécimen. De même que les plus grands chanteurs d’opéra peuvent ne pas être au sommet de leur forme pour mille raisons différentes, un seul rouge-gorge pouvait manquer de talent tel jour ou à telle heure.»
«J’essentiel, c’est l’émetteur. Certains défunts émettent et d’autres pas. J’espère que c’est uniquement fonction de leur désir et non d’autres facteurs moins sympathiques. Je le répète : le silence n’est pas mauvais signe. Nous l’avons tous remarqué, il y a des silences heureux. Certains morts trouvent aussitôt, si j’ose dire, l’équilibre.
À nous de tendre l’oreille, la seule qui fonctionne, celle du désir, pour le cas où le défunt a quelque chose à ajouter. Avec mon père, ce fut clair comme de l’eau de roche. Parfois, ça peut être autrement ambigu. Si un mort détesté tente d’entrer en communication avec vous, raccrochez. On a le droit de refuser. Si l’importun insiste, répétez comme un mantra : “Je n’ai rien à vous dire.” Il finira par se lasser. Ce genre de défunt recourt presque toujours à la culpabilité en guise de levier. Ne tombez pas dans le piège. Vous le détestiez de son vivant, n’imaginez surtout pas que le décès l’ait changé.»