L’adolescence d’Ella

Fiche d’Ella Fitzgerald à son arrivée à la New York State Training School for Girls en avril 1933

Quand on l’interrogeait sur son adolescence, Ella Fitzgerald a souvent eu recours à une ellipse. Elle racontait que sa mère était morte quand elle avait quinze ans, puis qu’elle avait commencé à participer à des concours d’amateurs au Apollo Theater d’Harlem; c’est là qu’on l’a découverte.

Dans ces entretiens, il semblait y avoir une continuité nette entre deux évènements : la mort de sa mère; son entrée dans le monde de la musique. Ce n’est pas tout à fait le cas, ainsi que le rappelle «Acting Out», l’épisode du 7 juillet 2023 du podcast Revisionist History, de Malcolm Gladwell. Entre les deux, Ella Fitzgerald a passé plusieurs mois dans ce qu’on appellerait au Québec une école de réforme.

Ben Naddaff-Hafrey raconte à Gladwell comment la future star a vécu à la New York State Training School for Girls, à Hudson (New York), à partir d’avril 1933, avant de s’en évader, quand cet établissement est géré par Fannie French Morse. Le racisme y était évident. Ces informations ne sont pas nouvelles : Nina Bernstein avait déjà écrit sur le sujet en 1996 dans le New York Times.

Comme toujours, chez Gladwell, cet épisode biographique s’inscrit cependant dans un cadre bien plus large, celui de l’apparition de la théorie des réseaux (social network theory) en sciences sociales, et des expériences de Jacob Levy Moreno (1889-1974) et de Helen Hall Jennings (1905-1966).

À écouter.

Autopromotion 347

Les Indians de Cleveland — c’est du baseball — viennent d’annoncer que le logo de l’équipe, jugé offensant voire raciste par plusieurs, sera remplacé par un nouveau à compter de 2019.

L’Oreille tendue, dans le Devoir du jour, répond aux questions de Stéphane Baillargeon à ce sujet.

Suggestion de lecture pour un journaliste du Devoir

En première page du Devoir de cette fin de semaine, une entrevue de Serge Truffaut avec l’écrivain états-unien Russell Banks, qui est de passage à Montréal, sous le titre «Tour de table avec un écrivain pessimiste».

Le texte s’ouvre sur le fait qu’un récent recueil de nouvelles de Banks (A Permanent Member of the Family / Un membre permanent de la famille) porte sur un personnage «occulté, ignoré» de la littérature américaine publiée par des «Blancs», «le Noir».

Suit une énumération :

Cherchez-le chez Philip Roth, Raymond Carver, Richard Ford, John Updike, Paul Auster, Don DeLillo, Truman Capote, John Fante, J. D. Salinger, Jim Thompson ou encore Thomas Pynchon, tous écrivains, soyons clair, dont on aime la fréquentation, et alors ? Le Noir est secondaire. En fait, il n’est pas là.

Le journaliste du Devoir ne connaît manifestement pas The Human Stain (2000; la Tache en français) de Philip Roth, le premier auteur de sa liste.

Il devrait.

 

Référence

Roth, Philip, The Human Stain, New York, Vintage International, 2001, 361 p. Paru en français sous le titre la Tache, Paris, Gallimard, coll. «Du monde entier», 2002, 441 p. Traduction de Josée Kamoun. Édition originale : 2000.

Ce que peuvent parfois cacher les mots

Couverture de l’édition canadienne de Sports Illustrated, décembre 2014

P.K. Subban est un défenseur des Canadiens de Montréal — c’est du hockey. À la suite d’un match récent qu’il a aidé son équipe à remporter, il a été l’objet de commentaires racistes sur les médias sociaux. P.K. Subban est noir. Plusieurs, à juste titre, ont publiquement dénoncé ces comportements.

Sur un plan légèrement différent, mais en lien avec ce qui précède, Yves Boisvert écrit ce qui suit dans la Presse du 7 mai (cahier Sports, p. 4) :

Dans tous les autres sports majeurs, les Noirs sont rois et maîtres ou très, très nombreux dans l’élite. Le hockey ? Il est blanc comme le dos de Lars Eller. J’ai toujours pensé qu’un fond de racisme plus ou moins inconscient teintait les commentaires au sujet de Subban. Ça sourd ici et là dans les critiques excessives. Et même chez ceux qui le louangent. En as-tu assez comme moi d’entendre dire «P.K., c’est un pur sang !» Dit-on ça des joueurs blancs au talent brut pas tout à fait poli ? Le racisme renvoie l’homme de l’autre race à une forme d’animalité, soit pour l’abaisser, soit pour le glorifier.

Les propos de Boisvert rappellent ceux de George F. Will, s’agissant d’un joueur de baseball noir, dans Men at Work (éd. de 1991).

[Willie] Mays received much praise for his baserunning «instincts». But again, such praise often is veiled — and not very well veiled — condescension. Mays’s «instincts» were actually the result of meticulous work (p. 227).

Will parle de «condescendance», pas de racisme, mais on voit bien qu’on est devant un phénomène semblable : associer à un groupe minoritaire des caractéristiques réputées «naturelles».

La langue classe.

P.-S. — Sur Twitter, @cestepatent répond à Yves Boisvert qu’on a déjà utilisé la même expression, mais en anglais (thoroughbred), pour désigner un autre joueur des Canadiens, le gardien de but Carey Price. Il est vrai que Price n’est pas noir. Il est amérindien…

 

[Complément du 9 mai 2014]

Sur Twitter, @DoCharron attire l’attention de l’Oreille tendue sur un article du Guardian : une revue australienne a dû s’excuser récemment d’avoir parlé du «apeish face» (visage simiesque) d’un surfer… autochtone.

 

Référence

Will, George F., Men at Work. The Craft of Baseball, New York, HarperPerennial, 1991, ix/353 p. Ill. Édition originale : 1990.