Commençons avec Montréal-Mirabel (2017) de Marie-Pascale Huglo, une collègue de l’Oreille tendue :
Tiges en aluminium, planches, pots de peinture, tuyaux d’arrosage, pistolets à eau, carpettes jetées en tas sur le bord du trottoir : la maison familiale enfin était vendue, il fallait vider. Toujours d’autres rebuts surgissaient du sous-sol, étonnantes carcasses qu’on ne voyait pas jamais avant : les bouteilles, les produits de jardinage, les piments oiseaux mis à sécher au clou de la porte de planches, les briques que je gardais (pour quoi faire ?), des bâtons de marche ramassés sur les sentiers, la grosse poutre de bois sur laquelle j’ai collé des écorces de bouleau dans la première année, des vis, de la scrap (p. 123).
De la scrap : rebuts, donc, choses qui ne valent (plus) rien.
Ces choses qui se retrouvent à la scrap ont été préalablement scrappées (le verbe est commun au Québec dans le registre populaire). On voit parfois rendu scrap, comme dans le roman L’homme qui a vu l’ours de Patrick Roy (2015) : «Dans ce temps-là, oui, dans les années après qu’il soit devenu champion, avant que j’en vienne à la conclusion que notre couple était tellement rendu scrap que je faisais rien que tourner le fer dans la plaie» (p. 67). Marie-Éva de Villers, dans son Multidictionnaire de la langue française (cinquième édition, édition numérique), indique comme fautive la forme mettre à la scrap (mettre à la ferraille).
Quand la scrap est rassemblée en cour (cour à scrap), elle est automobile : c’est, dirait-on ailleurs dans la francophonie, la casse. Hervé Bouchard se régale à en décrire une dans Parents et amis sont invités à y assister (2014) :
Après sa déclaration d’invalidité, il passa tout son temps presque dans son arrière-cour laquelle devint vite une arrière-cour à scrap. Y pourrissaient les carcasses de machines à tondre le gazon, à broyer la neige, à retourner la terre; il y avait des empilades de dormants de chemin de fer, des monticules de pneus, des colonnes de jantes, des avirons en bouquets dans des barils d’acier, des ventres de brouettes retournés çà et là, des cadres de vélos plus loin en tas près du ruisseau qui limitait le terrain à l’ouest; il y avait des enjoliveurs de roues disposés comme des bijoux sur des grandes feuilles de contreplaqué appuyées au squelette d’une serre, des cuves d’essoreuses alignées en long rouleau traversé par une tige de métal mou courbée aux bouts, des couronnes de fil barbelé accrochées à un treillis métallique tout contre la haie mitoyenne limitant le terrain au sud; il y avait partout des tubes et des bouts de tuyaux et des poutrelles et des poteaux, partout des têtes de pioches, de pelles, de massues, de râteaux; et, surplombant tout cet étalage, entre un talus de terre battue et l’entrée bétonnée où se trouvait son Parisienne, une balançoire en bois montée sur d’anciennes roues de charrette qui grinçaient quand on s’y berçait. C’était la caverne ouverte des quarante voleurs cette arrière-cour, mon père y régnait en maître détesté […] (p. 156-157).
Le scrapbooking, lui, est ce «Loisir créatif qui consiste à personnaliser, notamment par collage, un album de photos, de souvenirs, un journal intime» (le Petit Robert, édition numérique de 2014). Sauf pour marquer un jugement de valeur — «Ton scrapbooking, c’est de la scrap» —, les mots scrap et scrapbooking ne sont généralement pas rapprochés.
Références
Bouchard, Hervé, Parents et amis sont invités à y assister. Drame en quatre tableaux avec six récits au centre, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 14, 2014, 238 p.
Huglo, Marie-Pascale, Montréal-Mirabel. Lignes de séparation. Récit, Montréal, Leméac, 2017, 152 p.
Roy, Patrick, L’homme qui a vu l’ours. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 09, 2015, 459 p.