Accouplements 05

Michael Delisle, le Feu de mon père, 2014, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux textes d’horizons éloignés.)

Que fait le chef mafieux Tony Soprano dans la vie ? C’est la question que lui pose sa psychiatre, Jennifer Melfi, dans le premier épisode de la série télévisée The Sopranos, quand elle ignore encore qui il est. Sa réponse : «Waste management consultant» (consultant en gestion des ordures).

Que fait le père de Michael Delisle dans la vie (avant de rencontrer Dieu) ? La réponse se trouve dans le Feu de mon père (2014) :

Quand il était question de mon père pour les Sœurs de la Providence, ou les Sœurs de Sainte-Anne, ou les Sœurs grises, ma réponse était toute faite. Je ne me souviens plus qui de mes parents m’a appris le mot éboueur, mais il était important que je le retienne. Si on me demandait de nommer le métier de mon père, je ne devais pas dire passeur de Chinois aux lignes, ma sœur, ni fraudeur d’élections, voleur, arnaqueur, braqueur ou propriétaire d’alambic, je disais :
— Éboueur, ma sœur, mon père est éboueur.
Le mot était plus français que vidangeur. Je me souviens maintenant, c’est ma mère qui m’a appris le mot. Il n’y avait qu’elle pour me dire :
— Ton père est vidangeur. En français, on dit éboueur.
Le français a toujours été pour elle non seulement une réalité étrangère, mais une réalité parallèle (p. 54-55).

Voilà ce qui se cacherait derrière les ordures.

 

Référence

Delisle, Michael, le Feu de mon père. Récit, Montréal, Boréal, 2014, 121 p.

Tout est affaire d’équipement

En 2004, dans son Dictionnaire québécois instantané (p. 80-81), l’Oreille tendue codéfinissait ainsi l’expression équipé pour veiller tard :

À l’origine, évoquait une poitrine généreuse.

1. Il eut été plus juste alors de dire Équipée pour faire veiller tard.

2. Au sens strict, ne s’emploie qu’au féminin, sauf dans les régions. On ne peut pas dire Robert était équipé pour veiller tard.

3. Expression dorénavant apprêtée à toutes les sauces. «Maax équipée pour surfer tard» (la Presse, 6 juillet 2000). «Sampras était équipé pour veiller tard» (la Presse, 20 janvier 2002). «Financièrement, Guy A. Lepage est équipé pour chômer longtemps» (la Presse, 6 septembre 2002).

4. A contrario : «Équipés pour veiller de bonne heure» (la Presse, 19 septembre 2000).

Pourquoi parler de cela aujourd’hui ? À cause de ce titre dans le Devoir du 29 janvier 2014 : «Patrick Norman, équipé pour durer» (p. B9). Le équipé pour a attiré l’oreille de l’Oreille. C’est comme ça.

P.-S. — Cela dit, elle reconnaît sans mal que toutes les occurrences de équipé pour n’ont pas équipé pour veiller tard comme substrat.

 

[Complément du 22 juin 2016]

Le sport vous intéresse ? «Équipé pour courir tard», titre la Presse+ du jour.

 

[Complément du 19 juin 2017]

L’expression est commune. La preuve ? Les publicitaires s’en servent.

«Équipés pour veiller tard», publicité des librairies Archambault

 

[Complément du 12 juin 2020]

Glanes plus ou moins récentes :

«Équipez-vous pour confiner fort» (publicité, la Presse+, 5 juin 2020).

«Équipé pour veiller dehors» (publicité de la compagnie Trévi, juin 2020).

«SaguenayLacSaintJean.ca / équipé pour jouer dehors !» (la Presse, 21 janvier 2009, p. A19).

 

[Complément du 15 novembre 2021]

Greyé peut être synonyme d’équipé, comme chez le Michel Tremblay d’Offrandes musicales : «En montrant l’entre-jambe de Luis [Mariano] : “En tout cas, y a l’air greyé pour veiller tard…”» (p. 68)

 

Référence

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Tremblay, Michel, Offrandes musicales. Récits, Montréal et Arles, Leméac et Actes Sud, 2021, 165 p.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2004, couverture

Dictionnaire des séries 42

Bâton et ruban gommé

Un passe bien réussie doit se retrouver sur la palette du bâton de celui qui la reçoit.

Osti qu’c’est beau passe su’a palette
(Les Dales Hawerchuk, «Dale Hawerchuk», chanson, 2005).

Mieux encore : drette sur la palette.

Un gardien alerte
Des bonnes mises en échec
Des passes drette sur la palette
Pis des lancers précis et secs
(Loco Locass, «Le but», chanson, 2008)

 

[Complément du 20 décembre 2022]

L’expression peut être utilisée métaphoriquement : «Ma mère n’a jamais attendu que la vie lui fasse une passe sur la palette. Elle s’est toujours créé l’opportunité de scorer sans bâton ni rondelle» (Montréal-Nord, p. 139).

 

[Complément du 5 février 2014]

Les 57 textes du «Dictionnaire des séries» — repris et réorganisés —, auxquels s’ajoutent des inédits et quelques autres textes tirés de l’Oreille tendue, ont été rassemblés dans le livre Langue de puck. Abécédaire du hockey (Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p., illustrations de Julien Del Busso, préface de Jean Dion, 978-2-923792-42-2, 16,95 $).

En librairie le 5 mars 2014.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014)

 

Référence

Mazza, Mariana, Montréal-Nord, Montréal, Québec Amérique, coll. «QA récit», 2022, 204 p.

Vocabulaire non agricole

Marie-Pascale Huglo, Montréal-Mirabel, 2017, couverture

Titre dans le Devoir de la semaine dernière : «Émissions des vaches et des puits de gaz. La ministre serait dans le champ» (19 janvier 2011, p. A4).

Si elle est dans le champ, ce n’est pas que la ministre des Richesses naturelles et de la Faune du Québec, Nathalie Normandeau, se promène à la campagne. Qui est dans le champ se trompe, et complètement.

Quand elle affirme ceci : «Écoutez, une vache émet plus de CO2 dans l’atmosphère qu’un puits. Je veux dire que c’est factuellement prouvé», donc, elle se trompe.

 

[Complément du 25 août 2024]

Les exemples littéraires ne manquent pas.

«Pourrais-tu lire ce que j’ai écrit et me dire si je suis dans le champ ?» (l’Amour des maîtres, p. 106)

«qui suis-je, pauvre romancier généraliste, pour dire aux lecteurs qu’ils sont dans le champ ?» (le Romancier portatif, p. 139)

«L’écriture déplace, elle tire sa force de ce qui nous jette à côté de nous-même. Nous sommes dans le champ tout le temps, nous écrivons pour ça, avec ça. Je le crois depuis le début» (Montréal-Mirabel, p. 100).

 

Références

Dickner, Nicolas, le Romancier portatif. 52 chroniques à emporter, Québec, Alto, 2011, 215 p.

Grégoire, Mélissa, l’Amour des maîtres, Montréal, Leméac, 2011, 245 p.

Huglo, Marie-Pascale, Montréal-Mirabel. Lignes de séparation. Récit, Montréal, Leméac, 2017, 152 p.