L’oreille tendue de… la Bible

La Sainte Bible traduite en français sous la direction de l’École biblique de Jérusalem, 1961, couverture«Depuis la treizième année de Josias, fils d’Amon et roi de Juda, jusqu’à aujourd’hui, voilà vingt-trois ans que la parole de Yahvé m’a été adressée et que, sans me lasser, je vous ai parlé (mais vous n’avez pas écouté. De plus Yahvé, sans se lasser, vous a envoyé tous ses serviteurs les prophètes, mais vous n’avez pas écouté, ni tendu l’oreille pour entendre)» (Jérémie 25.3-4).

La Sainte Bible traduite en français sous la direction de l’École biblique de Jérusalem, Paris, Éditions du Cerf, 1961, xv/1669 p. Ill.

Accouplements 67

Gustave Flaubert, l’Éducation sentimentale, éd. de 1961, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Au Québec, aujourd’hui, à part quelques-uns, l’ignorance religieuse des gens qui vont rarement à l’église est si profonde que le maître des cérémonies, de temps à autre, doit leur faire signe de se lever, de s’agenouiller, de se rasseoir.

Gustave Flaubert, l’Éducation sentimentale, 1869 : «À part quelques-uns, l’ignorance religieuse de tous était si profonde que le maître des cérémonies, de temps à autre, leur faisait signe de se lever, de s’agenouiller, de se rasseoir» (éd. de 1961, p. 381).

 

Référence

Flaubert, Gustave, l’Éducation sentimentale. Histoire d’un jeune homme, Paris, Classiques Garnier, 1961, xii/473 p. Ill. Introduction, notes et relevé de variantes par Édouard Maynial. Édition originale : 1869.

Ali et Richard, bis

Hier, il était question ici même des rapprochements possibles entre le boxeur Mohamed Ali (né Cassius Clay, 1942-2016) et le hockeyeur québécois Maurice Richard (1921-2000). Ci-dessous, un complément iconographique.

Le magazine américain Sport d’avril 1955 comporte une photo de Maurice Richard fort différente de celles qu’on voit habituellement. Une épaule le tirant vers le sol et l’autre vers le ciel, les yeux tournés vers ce ciel, son bâton le protégeant et pointant lui aussi vers le ciel, le visage couvert d’une légère couche de sueur, ce Richard-là a tout du saint Sébastien de Luca Giordano, le peintre baroque du XVIIe siècle. Entre le Richard de Sport et «Le martyre de saint Sébastien», on peut multiplier les points communs : la position des épaules est la même, le cou est en extension dans les deux cas, les yeux sont également à la limite de la révulsion, les deux corps se détachent d’un fond noir, là où l’un a une flèche au flanc, l’autre tient son bâton.

Maurice Richard et saint Sébastien

Treize ans plus, en avril 1968, Ali fait la une du magazine Esquire. Cette photo, prise par Carl Fischer (historique ici), sur une idée de George Lois (explication ), évoque également saint Sébastien, à un moment où Ali est interdit de boxer à cause de son refus de participer à la guerre du Viêt-Nam. Sous la photo, une légende : «The Passion of Muhammad Ali.» La photo est inspirée d’un tableau de Francesco Botticini, «Saint Sébastien», qui se trouve au Metropolitan Museum de New York.

Saint Sébastient et Mohamed Ali, collage

Sébastien aurait été un soldat de l’armée romaine et il aurait vécu à la fin du IIIe siècle; il aurait été transpercé de flèches sur les ordres de l’empereur Dioclétien parce qu’il était chrétien. Comme lui, (le bon catholique) Maurice Richard et (le musulman) Mohamed Ali auraient été des martyrs.

[Ce texte reprend une analyse publiée dans les Yeux de Maurice Richard (2006).]

 

Références

Melançon, Benoît, les Yeux de Maurice Richard. Une histoire culturelle, Montréal, Fides, 2006, 279 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Nouvelle édition, revue et augmentée : Montréal, Fides, 2008, 312 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Préface d’Antoine Del Busso. Traduction : The Rocket. A Cultural History of Maurice Richard, Vancouver, Toronto et Berkeley, Greystone Books, D&M Publishers Inc., 2009, 304 p. 26 illustrations en couleurs; 27 illustrations en noir et blanc. Traduction de Fred A. Reed. Préface de Roy MacGregor. Postface de Jean Béliveau. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2012, 312 p. 42 illustrations en noir et blanc. Préface de Guylaine Girard.

Les Yeux de Maurice Richard, édition de 2012, couverture

Accouplements 32

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux textes d’horizons éloignés.)

Sur Twitter, le magazine The New Yorker fait circuler une caricature de David Sipress. Dans un cadre domestique, un homme explique à un enfant ce qu’est l’argent et ce que cela représentera pour le reste de sa vie :

Caricature de David Sipress, The New Yorker, 2 septembre 2015

Pour un lecteur du Neveu de Rameau de Diderot, cela ne peut manquer d’évoquer la scène où ledit Neveu explique comment il révèle à son fils la valeur d’une pièce de monnaie et, par là, de l’argent :

De l’or, de l’or. L’or est tout; et le reste, sans or, n’est rien. Aussi, au lieu de lui farcir la tête de belles maximes qu’il faudrait qu’il oubliât, sous peine de n’être qu’un gueux; lorsque je possède un louis, ce qui ne m’arrive pas souvent, je me plante devant lui. Je tire le louis de ma poche. Je le lui montre avec admiration. J’élève les yeux au ciel. Je baise le louis devant lui. Et pour lui faire entendre mieux encore l’importance de la pièce sacrée, je lui bégaye de la voix; je lui désigne du doigt tout ce qu’on en peut acquérir, un beau fourreau, un beau toquet, un bon biscuit. Ensuite je mets le louis dans ma poche. Je me promène avec fierté; je relève la basque de ma veste; je frappe de la main sur mon gousset; et c’est ainsi que je lui fais concevoir que c’est du louis qui est là, que naît l’assurance qu’il me voit (éd. de 1984, p. 94-95).

Il est vrai que le Neveu est un brin plus cynique que le dessinateur du New Yorker.

P.-S. — Qui lirait une parodie de l’Eucharistie dans la scène diderotienne ne se tromperait pas.

 

Référence

Diderot, Denis, le Neveu de Rameau. Satires, contes et entretiens, Paris, Librairie générale française, coll. «Le livre de poche», 5925, 1984, 414 p. Édition établie et commentée par Jacques Chouillet et Anne-Marie Chouillet.

Le fantôme de Jean Béliveau

Denis Coderre et le fantôme de Jean Béliveau

 

Jean Béliveau vient de mourir à l’âge de 83 ans. L’ancien joueur de centre des Canadiens — c’est du hockey — aurait pourtant été un fantôme depuis plusieurs années. Cela demande explication.

L’Oreille tendue l’a déjà expliqué ici : les fantômes du Forum seraient les esprits des anciens joueurs des Canadiens de Montréal, le Forum étant l’aréna où l’équipe a joué pendant plusieurs décennies. Ils aideraient, dans l’ombre, les joueurs venus après eux. Leur intervention expliquerait certaines victoires tout à fait imprévisibles de l’équipe de Montréal. Jean Béliveau aurait fait partie de ces fantômes du Forum, qui seraient passés en 1996 de cet aréna au Centre Molson, devenu depuis le Centre Bell.

Tous ne s’entendent pas sur l’identité des anciens joueurs réunis sous l’appellation fantômes du Forum. Certains nomment des joueurs morts, d’autres des joueurs morts et des joueurs vivants.

C’est le cas du théologien Olivier Bauer dans son ouvrage Une théologie du Canadien de Montréal (2011) : «Les fantômes du Forum sont les 15 joueurs exceptionnels dont les numéros ont été retirés de l’équipe en signe de reconnaissance» (p. 196 n. 74).

Dans le court métrage d’animation Alex et les fantômes (2009), Éric Warin mêle lui aussi des morts (Howie Morenz, Maurice Richard) et des vivants (Jean Béliveau, Guy Lafleur).

Jean Dion ne disait pas autre chose dans le Devoir d’hier (p. A8) :

Il était aussi l’un des fantômes du Forum, et même fantôme en chef depuis le décès de Maurice Richard [en 2000]. Ces joueurs d’un autre âge qui se chargeaient d’intervenir de manière surnaturelle pour permettre au Canadien de se sauver in extremis avec les honneurs de la Coupe Stanley. Eux savaient comment procéder, à commencer par Béliveau qui possédait une bague pour chaque doigt.

Des fantômes vivants ? L’Oreille ne s’y fait pas.

 

Référence

Bauer, Olivier, Une théologie du Canadien de Montréal, Montréal, Bayard Canada, coll. «Religions et société», 2011, 214 p. Ill.