Du tintinologue

Hergé au Québec, 1965, affiche

 

[Lecteur, si Tintin t’ennuie, passe ton chemin.]

«J’ai lu Coke en stock
Au motel Jenny Rock»
Lucien Francoeur

L’année dernière, l’Oreille tendue a recueilli quelques-uns de ses textes sur la lettre, dont un «Tintin (non-)épistolier», sous le titre Écrire au pape et au Père Noël. Cabinet de curiosités épistolaires (Del Busso éditeur). Rendant compte du livre, Christian Vandendorpe dit de l’Oreille qu’elle est un «tintinologue averti». C’est lui faire trop d’honneur.

Cela l’a néanmoins entraînée à se poser la question suivante : qui, parmi les auteurs qu’elle connaît, classerait-elle dans la catégorie des «tintinologues» ? Voici quelques noms, par ordre alphabétique de prénom, Tintin oblige. (Tristan Demers étant dans une classe à part, il est exclu de l’énumération ci-dessous.)

Bertrand Laverdure : «Ce n’est pas très long avant que je n’entende une longue plainte grinçante qui me fige sur place. Une espèce de son de yéti comme dans Tintin au Tibet, une onomatopée interminable» (Bureau universel des copyrights. Roman, Chicoutimi, La peuplade, 2011, 142 p., p. 114).

Didier Daeninckx : «Une jeune femme promenait son chien, une sorte de Milou manucuré dont le collier tintinnabulait avec le même son agaçant qu’une clochette d’épicier» (À louer sans commission, édition numérique, Saint-Cyr sur Loire, publie.net, coll. «Mauvais genres», 2011 [1991], ch. 4).

Douglas Coupland : «E-mail from Abe : Im re-reading all my old TinTin books, and I’m noticing that there are all of these things absent in the Boy Detective’s life…religion, parents, politics, relationship, communion with nature, class, love, death, birth…it’s a long list. And I find that while I still love TinTin, I’m getting currious about all of its invisible content» (Microserfs, Toronto, HarperPerennial, 1996 [1995], 371 p., p. 191).

Éric Chevillard : «Fuyons, mon vieux Milou !» (Oreille rouge, Paris, Éditions de Minuit, coll. «Double», 44, 2007 [2005], 158 p., p. 97).

Éric Plamondon : «Tintin et Milou» («34. Symboles», dans Hongrie-Hollywood Express. Roman. 1984 — Volume I, Montréal, Le Quartanier, série «QR», 44, 2011, 164 p., p. 69).

François Hébert : «Elle ramassa le cartable du petit et alla le ranger dans sa chambre. Quel désordre ici. Au mur, décollée à l’un des angles, la photo d’un gardien de but, s’élançant devant un ballon qui n’arrivait pas. Une chaussette sur un Tintin, tiens, c’est On a marché sur la lune» (le Rendez-vous. Roman, Montréal, Quinze, coll. «Prose entière», 1980, 234 p., p. 218); «tu as bu tous les livres / Mallarmé Malcolm Lowry ô Tryphon Tournesol» («Mai 68», dans comment serrer la main de ce mort-là, Montréal, l’Hexagone, coll. «L’appel des mots», 2007, 92 p., p. 45); «Jaime lit les bédés, il a connu Tintin, Babar, / Superman, Spiderman. Les bandits de Cinar, j’ignore» («Chant vingt-septième», dans Toute l’œuvre incomplète, Montréal, l’Hexagone, coll. «Écritures», 2010, 154 p., p. 45-46, p. 45).

Gilles Marcotte : «Mais il y eut, bloquant la sortie, ce personnage un peu bizarre, très correct, exagérément correct, comme déguisé, vêtu d’un complet noir comme il convenait, mais que sa moustache faisait ressembler, au choix, à Adolf Hitler, au philosophe Heidegger ou à l’un des frères Dupont» (le Manuscrit Phaneuf. Roman, Montréal, Boréal, 2005, 216 p., p. 46).

Hugo Roy : «Le jeune reporter représentait pour moi l’accès à des mondes mystérieux, remplis de guet-apens, de complots, de brownings et de passages secrets, des mondes d’où l’on ne pouvait espérer sortir sans la vivacité du fidèle ami de Tchang. J’enviais cette qualité à Tintin, l’insolence de Robin des Bois, la ténacité d’Edmond Dantès et la perspicace assurance d’Arsène Lupin» (l’Envie, Montréal, Boréal, 2000, 204 p., p. 55).

Julien Blanc-Gras : «Mais je ne suis pas vraiment à l’aise avec l’idée de faire porter mon barda par des femmes et des enfants. Tintin au Congo, pas terrible» (Touriste, Vauvert, Au diable vauvert, 2011, 259 p., p. 219).

Laurent-Michel Vacher : «Universaux : terme emprunté à la scolastique médiévale et désignant les concepts généraux — correspondant non pas à un individu (Milou), mais à des classes, des genres ou des espèces (chien, animal)» (Découvrons la philosophie avec François Hertel, Montréal, Liber, 1995, 194 p., p. 78 n.).

Marc Robitaille : «Il n’y avait rien à faire alors j’ai relu Tintin au Tibet» (Des histoires d’hiver, avec des rues, des écoles et du hockey. Récit, Montréal, VLB éditeur, 1987, 142, p. 140; voir aussi p. 136-137).

Michel Lefebvre : «Quand je me demande pourquoi j’aime tant lire, […] je me souviens avoir reçu en prime un porte-clés Tintin et Milou à l’achat du tout premier numéro de l’hebdomadaire Tintin distribué régulièrement au Québec; je me souviens que c’était aux environs de Pâques» (Je suis né en 53… Je me souviens, Montréal, Hurtubise HMH, coll. «amÉrica», 2005, 132 p., p. 127).

Michel Michaud : «Et puis la seule image que je connaissais de ce ruminant à tête de chameau [le lama], c’était son côté cracheur d’eau à la barbe du capitaine Haddock dans Tintin et le Temple du Soleil» (Coyote, Montréal, VLB éditeur, 1988, 288 p., p. 267).

Michel Tremblay : «Aujourd’hui, cet album me ferait frémir, mais le petit garçon qui lit les aventures de Tintin et de Milou, le chien parlant, sur le balcon de l’appartement de la rue Fabre ne connaît ni la Belgique ni le Congo belge, il n’a encore aucune notion du colonialisme, même s’il en est une victime culturelle depuis sa naissance en tant que Québécois, et il dévore sa première bande dessinée sans arrière-pensée, tout heureux de découvrir que Tintin n’est pas si plate que ça, en fin de compte» («Tintin au Congo», dans Un ange cornu avec des ailes de tôle. Récits, Montréal et Arles, Leméac et Actes Sud, 1994, 245 p., p. 48-64, p. 61).

Nicholson Baker : «The pictures were very important to the story, because Hergé was such a good drawer, especially of mountains and people climbing mountains wearing backpacks» («39. Reading Tintin to Her Babies», dans The Everlasting Story of Nory. A Novel, New York, Random House, 1998, 226 p., p. 155-158, p. 156); «“Guano” was one of my favorite words back then—I’d learned it from Tintin» (The Anthologist. A Novel, New York, Simon & Schuster, 2009, 243 p., p. 75).

Nicolas Ancion : «Voilà. Tout était compris dans ces trois mots. Fabriqué en Chine. Et Tom avait décidé de retrouver sa vraie mère, sa maman de Chine. Une gentille Chinoise avec des yeux bridés et des souliers minuscules, comme dans Le lotus bleu, qui serrerait Tom dans ses bras avec autant d’amour qu’au jour où elle l’avait cousu. Et le seul moyen de la retrouver, sa mère, c’était de remonter la filière» (Les ours n’ont pas de problème de parking, édition numérique, Saint-Cyr sur Loire, publie.net, coll. «Fiction 17», 2011 [2001], ch. «Le chien brun et la fleur jaune de Chine»).

Nicolas Dickner : «Dès le premier regard, par exemple, on tombe sur trois guides de voyage raisonnablement récents (Indonésie, Islande, Hawaï), un exemplaire à peine égratigné d’un album de Tintin (Coke en stock), le Ashley Book of Knots (en bon état mais sans couverture) et une édition spéciale de la Vie mode d’emploi (finement reliée)» (Nikolski, Québec, Alto, 2006, 325 p., p. 318-319; voir aussi p. 266).

Yves Pagès : «Au loin, la carcasse d’un zinc échoué dans la neige. Milou y déniche un poulet congelé de longue date. Tintin, lui, déchiffre le nom de son petit protégé gravé sur la paroi d’une grotte. Aujourd’hui, le Yéti est au chômage technique» («Figuration libre», dans Petites natures mortes au travail. Récits, Paris, Verticales et Seuil, 2000, 122 p., p. 37-44, p. 43).

La compagnie n’est pas trop mauvaise.

Cela étant, je serais Tintin, je m’inquiéterais. Sur 21 citations, six portent sur Milou, une sur les Dupont, une sur le professeur Tournesol, une sur Tchang, une sur le capitaine Haddock. Ce n’est pas un peu beaucoup pour les seconds couteaux ?

P.-S. — L’Oreille doit bien le confesser : il y a un peu de tintinologue en elle. Surtout si on ajoute ceci et cela à ce qui précède.

 

[Complément du 7 avril 2013]

Préparant du matériel pour ses Curiosités voltairiennes, l’Oreille tombe sur un texte de Michel David paru dans le Devoir du 28 septembre 2007, «Comme disait Voltaire». Il y est question de la résidence somptueuse de Pauline Marois, qui n’était pas encore première ministre du Québec. Comment David appelle-t-il ce «château» ? «Moulinsart-en-l’Île-Bizard» (p. A10).

 

[Complément du 14 avril 2013]

Du nouveau sur cette résidence : «“La Closerie”, domaine inspiré du Château de Moulinsart des aventures de Tintin, est située à l’Île-Bizard» (la Presse, 13 avril 2013, p. A8). «Inspiré» : vraiment ?

 

[Complément du 26 août 2013]

Le premier mot du sous-titre de Téléthons de la Grande Surface (inventaire catégorique), le livre que publiait Marc-Antoine K. Phaneuf en 2008 (Montréal, Le Quartanier, 188 p.), indique clairement sa nature formelle : Listes, poésie, name-dropping. L’ouvrage est en effet constitué uniquement de listes, regroupées en huit sections : «Listes de gens», «Listes alimentaires», «Listes d’objets», «Listes géographiques», «Listes scientifiques», «Listes sportives», «Listes culturelles», «Listes musicales». Elles sont faites de mots tirés de la vie courante, de la musique, du cinéma, du sport, de la télévision, de la chanson, de la culture populaire et de la culture savante. Et de la bande dessinée.

La série Astérix n’est nommée qu’une fois, pour les Douze Travaux d’Astérix (p. 127). Les Tintin, en revanche, sont très souvent cités. Parfois, il est question de personnages : Tintin et Milou (p. 16), les Dupont/d (p. 22), Rackham le Rouge (p. 37), le capitaine Haddock (p. 90), le professeur Tournesol (p. 135). Parfois, d’albums : l’Oreille cassée (p. 46), le Crabe aux pinces d’or (p. 91), l’Affaire Tournesol (p. 119), Vol 714 pour Sidney (p. 126). Moulinsart est là (p. 101), comme «des mèches dans le toupet Tintin» (p. 179).

Une fois cette liste dressée, un esprit chagrin pourrait déplorer l’absence de Milou dans «Au pet shop» (p. 88-89) et celle de Tintin au Tibet dans «Le péril jaune» (p. 104-105). Ne soyons pas des esprits chagrins.

 

[Complément du 27 janvier 2014]

Nicholson Baker précise sa lecture de Tintin dans «Thorin Son of Thráin» (1996) :

Two Tintin books — The Secret of the Unicorn and Red Rackham’s Treasure — were the first things I truly liked reading by myself. Golden Books was the publisher of a few Tintin titles then, and they had Americanized the text slightly : Haddock’s ancestral home was called Hudson Manor rather than the Marlinspike Hall of other Tintins that we ordered later on from England like jars of marmalade. I loved the shark-shaped one-man submarine, and Tintin’s shameless habit of talking to himself in his diving helmet while he was being stalked by the real shark, and the scene in which Thomson and Thompson, tired out, forget to keep cranking the air pump that leads below (éd. de 2013, p. 44).

 

Référence

Baker, Nicholson, «Thorin Son of Thráin», dans Michael Dorris et Emilie Buchwald (édit.), The Most Wonderful Books : Writers on Discovering the Pleasures of Reading, Minneapolis, Milkweed Editions, 1997; repris dans Nicholson Baker, The Way the World Works. Essays, New York, Simon & Schuster, 2013, p. 43-45.

 

[Complément du 1er août 2016]

Lisant ceci chez San-Antonio dans Salut mon pope ! : «Elle nous emporte dans sa cabine comme une vieille pie emporte des boucles d’oreilles dans son nid» (éd. de 1974, p. 239), comment ne pas penser aux Bijoux de la Castafiore ?

San-Antonio, Salut, mon pope ! Roman spécial-police, Paris, Fleuve noir, coll. «S.A.», 25, 1974, 254 p. Édition originale : 1966.

 

[Complément du 3 mars 2017]

Collecte du jour.

Hervé Bouchard : «Je possède de ça des images de moi dans un autobus, dans un avion, dans un campeur monté sur un F-150 de mil neuf sans que ça paraisse, où je suis couché comme Tintin dans sa fusée, pendant que le véhicule fait l’ascension circulaire de la montagne Baker» (Numéro six. Passages du numéro six dans le hockey mineur, dans les catégories atome, moustique, pee-wee, bantam et midget; avec aussi quelques petites aventures s’y rattachant, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 80, 2014, 170 p., p. 148).

Simon Brousseau : «Tu as huit ans, c’est le soir de Noël, et tu repères tout de suite, sous le beau sapin que tu as décoré la veille avec tes grands-parents, le cadeau qu’ils vont t’offrir et dont la forme laisse deviner l’album de Tintin que tu désires et qui manque à ta collection, Le Lotus bleu, avec sa rutilante couverture où un dragon tracé à l’encre de chine zigzague et semble sur le point de jaillir hors du livre, et lorsqu’à minuit tu peux enfin déballer ce cadeau, tu le fais avec un tel empressement que tu t’arraches l’ongle de l’index gauche, et même si tout le monde se rue sur toi, tu ne résistes pas à la tentation de tourner les premières pages» (Synapses. Fictions, Montréal, Le Cheval d’août, 2016, 107 p., p. 82-83).

Michael Delisle : «Il était beau comme Tintin : pâle, lèvres roses, yeux bleus, un peu blond» (le Feu de mon père. Récit, Montréal, Boréal, 2014, 121 p., p. 24).

Jonathan Franzen : «The most widely loved (and profitable) faces in the modern world tend to be exceptionally basic and abstract cartoons : Mickey Mouse, the Simpsons, Tintin, and — simplest of all, barely more than a circle, two dots, and a horizontal line — Charlie Brown» (The Discomfort Zone. A Personal History, New York, Picador, Farrar, Straus and Giroux, 2006, 195 p., p. 40).

Nicolas Guay : «Les aventures de Tintin et Ubu — l’oneille cassée» (l’Insoutenable Gravité de l’être (ou ne pas être), 2015 [deuxième édition], 100 p., p. 57. Édition numérique.).

François Hébert : «Dans le programme, on nous annonce que le professeur François-Xavier Nève de Mévergnies, de Liège, va nous parler de Tintin au Tibet. / Ce doit être un yéti, ce prof, avec un nom pareil» (De Mumbai à Madurai. L’énigme de l’arrivée et de l’après-midi. Récit, Montréal, XYZ éditeur, coll. «Romanichels», 2013, 127 p., p. 40); «Ne tournerais-tu pas en rond comme un Dupont d’Au pays de l’or noir ?» (p. 97); «Et voici le capitaine Haddock qui caracole sur une vache sacrée et enragée dans la communication de Swati Dasgupta : L’image de l’Inde dans la bande dessinée francophone : de Tintin à India Dreams» (p. 108).

Normand Lalonde : «Ce n’est tout de même pas ma faute si Les bijoux de la Castafiore sont un des sommets de l’art du vingtième siècle» (Autoportrait aux yeux crevés. Petites méchancetés et autres gentillesses, Montréal, L’Oie de Cravan, 2016, 60 p., p. 28); «Si je n’étais Tintin, je voudrais être Diogène» (p. 30).

Jean-Pierre Minaudier : «Ke mahal onerdecos s’ch proporos rabarokh !» est la traduction, en arumbaya, d’une célèbre phrase du capitaine Haddock : «Moules à gaufres ! Marchand de tapis !» (Poésie du gérondif. Vagabondages linguistiques d’un passionné de peuples et de mots, Le Rayol Canadel, Le Tripode, 2014, 157 p., p. 17 et p. 137)

Patrick Nicol : «Il y a quarante ans, quand son oncle lui parlait de Chypre — Marc le revoit, tel qu’il l’a vu alors, marchant entre les lignes ennemies, opposant la solidité de son casque bleu au cône mou des Turcs et à la calotte à pompons des Grecs (souvenir erroné de Tintin) —, les Russes n’avaient même pas le droit d’épargner» (Vox populi. Roman, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 98, 2016, 89 p., p. 35); «Le mot “aventure” lui fait penser également à Tintin, qui a beaucoup voyagé comme les souliers de la chanson (Marc s’amuse de la vivacité de son esprit)» (p. 62).

Patrick Roy : «Elle vivait seule avec deux chats qui aboutissaient toujours devant sa porte-fenêtre à lui, deux bâtards, un roux et un crème, Tintin et Milou, fallait-il être assez stupide» (L’homme qui a vu l’ours. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 09, 2015, 459 p., p. 56); «L’un d’eux, Maverick, préposé au terrain dans un stade de rugby, ressemblait au capitaine Haddock avec des cheveux roux et il était tout aussi gueulard» (p. 285); «Fitzpatrick avait l’impression de traverser le désert depuis des heures tant sa gorge était sèche. Il était pris dans un remake du Crabe aux pinces d’or. Il se retint de s’éponger le front» (p. 396).

 

Écrire au pape et au Père Noël, 2011, couverture

Il ne manquait que lui

François Bon, l’Incendie du Hilton, 2009, couverture

En 2004, l’Oreille tendue signait un Dictionnaire québécois instantané avec son collègue Pierre Popovic.

S’agissant de la langue médiatique, elle avait dû se pencher sur un des mots les plus à la mode au Québec : salon.

Variante toujours commerciale et souvent non estivale des audiences, du carrefour, du chantier, du comité, de la commission, de la consultation, des états généraux, du forum, du groupe-conseil, du groupe de discussion, du groupe de travail, de la rencontre, du sommet, de la table d’aménagement, de la table de concertation, de la table de convergence, de la table de prévention, de la table de suivi et de la table ronde. «Les salons et foires se portent bien au Québec» (la Presse, 5 décembre 2001). Agroalimentaire du Suroît, de l’aménagement extérieur, de l’emploi-formation, de l’épargne, de l’érotisme, de la féminité, de la maternité et de la paternité, de l’automobile, des aînés de Montréal, des métiers d’art du Québec, des organisateurs d’événements, Domicilia, du livre anarchiste, du printemps des artistes des Cantons-de-l’Est, Informatique / Affaires de Québec, international de l’ésotérisme de Montréal, Marions-nous, national de l’habitation, Pepsi-Jeunesse. Voir coalition, concertation, consensus, festival, partenaires sociaux et suivi.

La liste s’est allongée depuis : des tendances ameublement, des vins et spiritueux de Montréal, de la passion médiévale.

Dans l’Incendie du Hilton (2009, p. 181-182), François Bon recensait, pour la seule place Bonaventure de Montréal, douze salons, dont celui du livre.

Il ne manquait, au Québec, qu’un événement de ce type. Ce sera incessamment réglé : «Le Salon Plan Nord débute ce week-end» (le Devoir, 16 avril 2012, p. A4). Si le Plan Nord promu par le gouvernement provincial de Jean Charest est bel et bien la panacée promise, la moindre des choses est qu’il ait, lui aussi, son salon. Sinon, on aurait dû s’inquiéter.

P.-S. — Aucune des listes qu’on vient de lire n’est bien sûr exhaustive.

 

Références

Bon, François, l’Incendie du Hilton. Roman, Paris, Albin Michel, 2009, 182 p.

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2004, couverture

Pour Jean-François Vilar

Jean-François Vilar, Bastille tango, 1986, couverture

Dans sa jeunesse, l’Oreille tendue a eu plusieurs fois l’occasion de rédiger des comptes rendus pour dire du bien des romans de Jean-François Vilar : Passage des singes (Spirale, 47, novembre 1984, p. 10), Djemila (Spirale, 85, février 1989, p. 15), les Exagérés (Spirale, 89, été 1989, p. 14).

Son texte sur Bastille tango n’avait pas été retenu par la revue à laquelle il l’avait proposé. Pourquoi ? Trop enthousiaste. Le lecteur jugera sur pièce.

Bastille tango est un fabuleux bazar. S’y côtoient : un flic nommé Villon, ressemblant «de plus en plus à une chanson de Tom Waits» (p. 227), qui sombrera dans la folie par «autodéglingage systématique» (p. 262); une femme «considérable» (p. 222), «très remarquablement belle» (p. 167), un peu fêlée comme tous les personnages de Vilar, qui, avec un «extraordinaire goût de la souffrance» (p. 189), accepte toujours de regarder l’horreur en face, même si elle en est la victime; son frère, militant de gauche, projectionniste, cinéaste expérimental et vendeur clandestin de films pornos; une clocharde abandonnant son vieil ami vendeur d’affriolants dessous féminins pour un peintre macho qui trace les plans d’une ville imaginaire où se rencontrent Paris et Buenos Aires; divers jeunes qui, seuls ou en bande, s’amusent à couvrir les murs de Paris de graffitis revendiqués comme éphémères; un directeur de journal de gauche passionné de bourbon, d’armes à feu, de scoops sanglants et de tout ce qui est branché; une jeune fille tenant le «cahier de bord» de la destruction d’une partie du quartier de la Bastille dans un livre en braille, trouvé dans une cave, pour fondre son histoire «dans une autre histoire» (p. 266); un opérateur de grue, un peu gêné de détruire un si beau quartier, qui en recueille des vestiges, mais seulement quand c’est «pour une histoire d’amour» (p. 265); une Japonaise élevée en Argentine et convaincue de l’origine japonaise du tango; trois chats baptisés d’après des membres du Parti bolchevik (Kamenev, Radek, Zinoviev); la junte argentine et ses tortionnaires; un colleur d’affiches mythomane et dangereux; et surtout Victor Blainville, protagoniste fatigué des romans de Vilar, dilettante, flâneur émérite, cycliste, photographe, mémoire vivante de Paris, de ses objets, de ses rues, de ses gestes, de ses histoires superposées ou accolées, personnage en plein désarroi, vivant une minutieuse dérive, «pas toujours très net dans [s]es rapports avec les gens» (p. 205), un peu dingue, empêtré dans les «traces» de ses histoires qu’il ne parvient pas à «classer» (p. 245). Le décor (Paris, rive droite) est admirablement planté : une partie du quartier de la Bastille dont on suit au jour le jour la disparition («Il me fallait tenir les minutes de la destruction. Sans arrière-pensée dénonciatrice. Comme on tient un journal intime», écrit Blainville p. 117); le canal Saint-Martin et son prolongement sous la Colonne de Juillet; la rue de la Roquette, ses passages, ses cours; une boîte de tango; des édifices en ruine; l’appartement de Blainville, antre de collectionneur maniaque («On fait les mêmes trucs. On ramasse. Mais moi je suis une clodo, et toi : un collectionneur», p. 79). Les intrigues se croisent, précipitent le lecteur, comme les personnages, sur un nombre sans cesse grandissant de fausses pistes : des réfugiés argentins à Paris se croient menacés par des escadrons de la mort à la veille du procès des généraux à Buenos Aires; des crimes atroces restent inexpliqués; des meurtres passionnels sont suivis, parfois, de suicides qui ne le sont pas moins; des bagarres opposent loubards fascistes («le feeling croix gammée, sans deuxième degré», p. 258) et jeunes artistes («look punkie mais avec un je ne sais quoi de calme», p. 49); violence, torture, horreur se mêlent à d’insolites histoires d’amour. Si le terme de sophistication n’avait trop souvent une valeur péjorative, il pourrait fort bien s’appliquer à la prose de Vilar, cette prose rapide, fulgurante, qui bouscule le récit et l’entraîne à la limite du rêve, plus souvent du cauchemar, sans jamais abandonner tout à fait la stricte narration propre au roman noir. Elle joue sur les relations entre le vrai et le faux, la nostalgie (sélective) et la fuite en avant. De plus, Bastille tango révèle une nouvelle facette de l’érudition de Victor Blainville : après la vie et l’œuvre de Marcel Duchamp (C’est toujours les autres qui meurent, 1982), les bordels de luxe à Paris (Passage des singes, 1984) ou la vie vénitienne (État d’urgence, 1985), voici les mannequins d’étalage, Buenos Aires, le tango et, comme toujours, Paris. Inscrite dans la plus stricte actualité, l’œuvre de Vilar plonge le lecteur à la fois dans un monde connu, quotidien (la ville, une certaine culture, un genre maîtrisé : le roman noir) et dans l’extrême violence (politique, sociale), le laisse hésitant entre l’amour que porte l’auteur à Paris et l’horreur sanglante de l’intrigue. La meilleure chose qui soit arrivée depuis quelques années au roman noir français s’appelle Jean-François Vilar.

Pourquoi exhumer ce texte 26 ans plus tard ? Pour appuyer Martine Sonnet et dire qu’il faut visiter le site Passage Jean-François Vilar, et lire Vilar.

 

[Complément du 22 décembre 2014]

Le blogue 813 annonce aujourd’hui la mort de Jean-François Vilar. Selon d’autres sources, celle-ci remonterait à novembre.

 

Références

Vilar, Jean-François, Bastille tango. Roman, Paris, Presses de la Renaissance, 1986, 279 p.

Vilar, Jean-François, C’est toujours les autres qui meurent, Paris, J’ai lu, coll. «Romans policiers», 1979, 1986, 211 p. Édition originale : 1982.

Vilar, Jean-François, Djemila. Roman, Paris, Calmann-Lévy, 1988, 166 p.

Vilar, Jean-François, État d’urgence. Roman, Paris, Presses de la Renaissance, 1985, 272 p.

Vilar, Jean-François, les Exagérés. Roman, Paris, Seuil, coll. «Fiction & Cie», 1989, 351 p.

Vilar, Jean-François, Passage des singes. Roman, Paris, Presses de la Renaissance, 1984, 255 p.

Le numérique et la langue des écrivains : esquisse de dictionnaire

Mordecai Richler, Barney’s Version, 1997, couverture

Les écrivains qui mettent en scène des intrigues où le numérique joue un grand rôle utilisent le vocabulaire du numérique. C’est banal. N’en parlons pas.

Attachons-nous plutôt à ceux qui font appel à ce vocabulaire, en français aussi bien qu’en anglais, dans des contextes où le numérique n’est pas mis en scène. Comme tout le monde, ils ont intériorisé la langue de l’informatique.

binary : «There was a generation waiting to inherit the earth, caring nothing for old-timers’ concerns : dedicated to the pursuit of the new, speaking the future’s strange, binary, affectless speach — quite a change from our melodramatic garam-masala exclamations» (Salman Rushdie, The Moor’s Last Sigh, Toronto, Vintage Canada, 1996 [1995], 437 p., p. 343).

bogue : «J’aurais beau inventer, c’est toujours aux mêmes manques que la page me ramène, filles, frères, fantômes, du fond de ma tranchée, sous les images qui s’amoncellent, toujours aux mêmes bogues que je reviens, détails que le recul magnifie, petits mythes personnels, témoin tous ceux qui, de près ou de loin, me viennent de l’hiver» (Patrick Roy, la Ballade de Nicolas Jones. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 01, 2010, 220 p., p. 89).

copie de secours : «Joyce a l’impression de vivre en marge d’un monde précieux et insaisissable. De l’autre côté de cette fenêtre, les événements se produisent par eux-mêmes, sans que l’on puisse les arrêter ou infléchir leur logique propre. Chaque seconde, chaque instant se déroule pour la première et la dernière fois. Impossible d’interrompre ce processus, de revenir en arrière ou d’enregistrer une copie de secours» (Nicolas Dickner, Nikolski, Québec, Alto, 2006, 325 p., p. 241).

deleter : «On doit se “deleter”, pour le bien de l’humanité, pour que l’humanité ait encore le droit à sa connerie» (Catherine Mavrikakis, Ça va aller. Roman, Montréal, Leméac, 2002, 155 p., p. 99); «Il faut que j’arrive à roupiller, à me coucher hébétée et à me deleter» (Catherine Mavrikakis, Fleurs de crachat, Montréal, Leméac, 2005, 198 p., p. 113).

disque dur : «“Oh !” said James, his eyes opening wide. He opened his mouth again, wordless. The language sector of his hard disk was spinning, inaccessible» (Russell Smith, Noise, Erin [Ontario], The Porcupine’s Quill, 1998, 266 p., p. 37); «Je voudrais tant apprendre à oublier, effacer tout mon disque dur» (Catherine Mavrikakis, Fleurs de crachat, Montréal, Leméac 2005, 198 p., p. 108); «le disque mou que j’ai dans ma tête» (Daniel Bourrion, 19 francs, édition numérique, Saint-Cyr sur Loire, publie.net, 2010); «Vers 14 h 10, hier, sur la Saint-Denis, j’ai croisé François Guérette (le reconnaissant après qu’il m’ait interpellé, mon disque dur de visage ayant pris du temps à trouver les correspondances baudelairiennes associées aux joues, mâchoires, yeux, barbe, sourire etc.)» (Bertrand Laverture, blogue Technicien coiffeur, 20 janvier 2011).

données : «Ce cauchemar m’a court-circuité les neurones, une décharge qui a érasé des données impossibles à stocker» (Tonino Benacquista, la Maldonne des sleepings, Paris, Gallimard, coll. «Série noire», 2167, 1989, 249 p., p. 149).

hyperlink : «my memory […] hyperlinks the two announcements» (Jaclyn Moriarty, The Year of Secret Assignments, Scholastic, 2005 [2004], 338 p., p. 195).

interface : «“Lookee,” she said, “if we’re going to go on like interfacing together, you know, and why not, it’s a free country, why don’t we grab that little table in the corner, you know, before somebody else like beats us to it ?”» (Mordecai Richler, Barney’s Version. With Footnotes and an Afterword by Michael Panofsky, Toronto, Alfred A. Knopf, 1997, 417 p., p. 235).

navigating : «His head, he realized, was like a computer game bristling with hidden lasers and fanged things; it was just a question of navigating the right path through the bad thoughts without getting zapped» (Russell Smith, Young Men. Stories, Toronto, Doubleday, 1999, 254 p., p. 119).

programming : «But twelve years, that’s something else, every programming you ever received out of jail, from birth onward, will have been erased from your mind» (John Burdett, The Godfather of Kathmandu. A Novel, New York, Alfred A. Knopf, 2010, 295 p., p. 120).

ram : «He slid the key in and turned over the engine. The random access memory of his mind produced the image of the pizza delivery car he had seen earlier. A reminder that he was hungry» (Michael Connelly, Chasing the Dime, Boston, New York et Londres, Little, Brown and Company,  2002, 371 p., p. 323).

réinitialisation : «Une expérience propice à la réinitialisation des valeurs, à l’introspection solitaire sous le regard des étoiles» (Julien Blanc-Gras, Touriste, Vauvert, Au diable vauvert, 2011, 259 p., p. 81).

software : «I think the question is so far out of her range of knowledge she assumes I’m just another local whose mental software differs so far from the Australian that no understanding between us is possible» (John Burdett, The Godfather of Kathmandu. A Novel, New York, Alfred A. Knopf, 2010, 295 p., p. 93).