Paré à répondre

Sylvain Hotte, Panache. 1. Léthargie, 2009, couverture

Il arrive à l’Oreille tendue de répondre à ses lecteurs. Exemple.

Le 23 juin dernier, @Bixi0u, manchette de la Presse à l’appui («Être paré pour le “D”»), tweetait ceci : «“Paré” pour prêt, c’est répandu ?»

Réponse : oui, depuis longtemps, et pas seulement au Québec.

Il y a paré à.

«Ils sont parés à payer le prix, ça, y est pas question» (le Libraire, éd. de 1977, p. 109).

«Surpris, j’ai dévalé les marches, prêt à partir au pas de course, imaginant Robert Pinchault, surgissant tel un maniaque, avec une pelle en acier au-dessus de sa tête, paré à me décapiter» (Panache, p. 17).

«10e numéro, paré à venir» (le Tiers Livre, 9 août 2013).

Il y a paré pour.

«paré pour expérience demain aux aubes» (@fbon, 24 août 2013).

«Parés pour le décollage ?» (la Presse+, 8 août 2013).

Remarque historique

Dans la Vie quotidienne en Nouvelle-France, Raymond Douville et Jacques-Donat Casanova citent Jean-Baptiste d’Aleyrac, probablement ses Aventures militaires au XVIIIe siècle : les Canadiens du Siècle des lumières disent «paré à pour prêt à» (p. 249).

Yapadkoi.

 

Références

Bessette, Gérard, le Libraire. Roman, Montréal, Pierre Tisseyre, coll. «CLF poche canadien», 17, 1977, 153 p. Édition originale : 1960.

Douville, Raymond et Jacques-Donat Casanova, la Vie quotidienne en Nouvelle-France. Le Canada, de Champlain à Montcalm, Paris, Hachette, 1964, 268 p.

Hotte, Sylvain, Panache. 1. Léthargie, Montréal, Les Intouchables, coll. «Aréna», 1, 2009, 230 p.

Qu’on nous explique

Casquette des Kings de Los Angeles

«Devant un bar, un jeune rappeur avec une casquette des Kings lui demande s’il veut de l’herbe» (Pomme S, p. 181).

«Bien sûr, je pourrais demander à la caissière qui me relève : connais-tu le gars tranquille au jacket bleu et à la casquette des Kings ?» (Dans le noir jamais noir, p. 34).

Pourquoi, en septembre 2013, les Kings ? (C’est du hockey, à Los Angeles.)

 

Références

Major, Françoise, Dans le noir jamais noir. Nouvelles, Montréal, La mèche, 2013, 127 p.

Plamondon, Éric, Pomme S. Roman. 1984 — Volume III, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 63, 2013, 232 p. Ill.

11111000000

Éric Plamondon, Pomme S, 2013

«Qu’est-ce qu’une trilogie ?
C’est la preuve par quatre que jamais deux sans trois» (p. 47).

 

L’Oreille tendue n’avait pas caché son enthousiasme à la lecture des deux premiers titres de la trilogie romanesque 1984 d’Éric Plamondon, Hongrie-Hollywood Express (2011) et Mayonnaise (2012). Le troisième, Pomme S, vient de paraître. Son enthousiasme est moins grand. Pourquoi ?

Le mode d’arrangement est le même que dans les deux premiers volumes. Le livre est composé de 113 textes, la plupart brefs, finement unis les uns aux autres par une série de correspondances. La linéarité n’a pas sa place ici, et c’est un choix esthétique qui se tient parfaitement.

Le point de vue narratif est toujours aussi éclaté, entre je et il, le personnage-narrateur de Gabriel Rivages et un narrateur omniscient (ou plusieurs).

Au cœur d’Hongrie-Hollywood Express, il y avait une figure, celle de Johnny Weissmuller, mort en 1984. Dans Mayonnaise, il s’agissait de Richard Brautigan, qui s’est tué la même année. C’est Steve Jobs qui est le pivot de Pomme S, lui qui a mis sur le marché un nouvel ordinateur il y a 29 ans. C’est résumé en un chapitre, le quatorzième, «1984» : «En 1984, Johnny Weissmuller meurt de vieillesse. Richard Brautigan se tire une balle dans la tête et Gabriel Rivages perd sa virginité. C’est aussi l’année où Apple lance le Macintosh» (p. 39).

L’érudition — cinématographique, littéraire, musicale, scientifique, informatique, etc. — ne se dément pas, de même que le sens de la formule — Isaac Newton ? «une pomme, un homme, la lune» (p. 81).

Ce roman si conscient de lui-même est une démonstration, tout à fait convaincante, de la nécessité et du pouvoir des histoires : «Je raconte, donc je suis» (p. 173). Les derniers mots du livre (et donc de la trilogie) sont «Il était une fois…» (p. 233).

Pourquoi, alors, cet intérêt tempéré de la part de l’Oreille ?

Cela tient peut-être à deux des lignes de force du roman et, surtout, à l’insistance du romancier à ne jamais les perdre de vue.

Il y a la question des origines. Celles de Steve Jobs, enfant adopté («La piste des origines est parfois une fausse piste», p. 41). Celles de l’informatique, puis de l’ordinateur personnel, qui rassemblent, dans un beau désordre, Jobs, Steve Wozniak, Ron Wayne, Alan Turing, Norbert Wiener, Ada Lovelace, Fou-hi, Thomas Edison, Joseph Marie Jacquard, Jacques de Vaucanson, Charles Babbage, Doug Engelbart, Vannevar Bush, Pascal, Einstein, d’autres encore. Celles du monde, avec Adam, Ève et une pomme. Et, surtout, celles de la famille nucléaire (lui, elle, leur enfant) : un des narrateurs raconte ses joies de père, de la naissance à la préadolescence de son fils; ces pages, exemptes d’ironie, ne sont pas les plus convaincantes du livre, du moins sur le plan de l’écriture.

La deuxième ligne de force du roman, titre oblige, est la pomme. Comme dans Apple Computer («Apple, Pomme, ça ne pouvait pas être plus simple», p. 79) et son logo. Comme dans la commande de sauvegarde informatique, pomme + s. Comme dans la pomme d’Adam. Comme, on l’a vu, dans le jardin d’Éden. Comme dans la pomme empoisonnée avec laquelle Alan Turing se serait suicidé. Comme dans celle qui serait tombée, ou pas, sur la tête d’Isaac Newton. Comme dans l’œuvre de Magritte. Comme dans le jus de pomme que la mère de Jobs lui fait boire.

Devant cette insistance à faire tenir ensemble les fils du récit, on en vient à se demander si l’écriture, en exposant aussi systématiquement son mode de fonctionnement, n’est pas en train de se retourner contre elle-même. Est-ce pour cela que le mot jubilatoire n’apparaît pas le meilleur pour parler de Pomme S ?

P.-S. — Pourquoi ce titre («11111000000») ? Parce qu’il représente 1984 en binaire (p. 108).

P.-P.-S. — L’Oreille — plus précisément : le pion en elle — est triste. Au Quartanier — au Quartanier ! —, on confond «dispendieux» et «cher» (p. 98), on appelle un quart, au football, un «quart-temps» (p. 102), on parle de «connexion Fire Wire» au lieu de «connexion USB» (p. 106), on met deux «n» à Mona Lisa (p. 131 et p. 152) et on oublie un «ne» (p. 133).

 

Références

Plamondon, Éric, Hongrie-Hollywood Express. Roman. 1984 — Volume I, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 44, 2011, 164 p.

Plamondon, Éric, Mayonnaise. Roman. 1984 — Volume II, Montréal, Le quartanier, «série QR», 49, 2012, 200 p.

Plamondon, Éric, Pomme S. Roman. 1984 — Volume III, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 63, 2013, 232 p. Ill.

Fortune de la tchén’ssâ, ter

William S. Messier, Twitter

Le 19 mai 2012, l’Oreille tendue donnait naissance, en quelque sorte, à l’École de la tchén’ssâ. Depuis, cette école littéraire québécoise a connu une étonnante fortune (il en a été question ici et ).

Six ajouts à ce rayonnement inattendu.

Dans la revue Liberté, sous la plume de Jonathan Livernois («Un shack à soi. De la permanence tranquille ou pourquoi craindre la disparition», numéro 300, été 2013, p. 18).

Jonathan Livernois, Liberté, 300

 

Dans un tweet de @david_turgeon le 6 juin 2013.

David Turgeon, Twitter

Dans l’hebdomadaire Voir, chez Dominic Tardif («8 raisons de marcher jusque chez le libraire», 5 septembre 2013).

Dominic Tardif, Voir

 

Dans le quotidien le Devoir, quand Christian Desmeules rend compte de Dixie de William S. Messier («William S. Messier, maître brasseur», 7-8 septembre 2013, p. F2).

Le Devoir, Christian Desmeules

Dans un modeste Tumblr lancé par un ami de l’Oreille, Chicks With Chainsaws.

Chicks with Chainsaws

Sur le blogue Ils sont partout, le 25 septembre 2013.

Blogue Ils sont partout

Jusqu’où cela s’arrêtera-t-il ?

De la crinque

Sylvain Hotte, Panache. 1. Léthargie, 2009, couverture

Le 5 juin dernier, l’Oreille tendue participait à l’émission radiophonique de Catherine Perrin sur les ondes de Radio-Canada. Il y était question des mots de la langue du Québec qu’il faudrait ajouter aux dictionnaires du français de référence.

L’ami Antoine Robitaille, qui participait à l’émission, a livré ce jour-là un vibrant plaidoyer pour crinquer. On le comprend : à son club de sport, on le surnommerait «Le Crinqué».

Quel est le sens de crinquer (nom, verbe, adjectif) ?

S’appuyant sur le Dictionnaire québécois français. Mieux se comprendre entre francophones de Lionel Meney (Montréal, Guérin, 2003, deuxième édition revue et corrigée, xxxiv/1884 p.), Robitaille relevait d’abord le sens être remonté, être gonflé à bloc, avoir le ressort au max. On pourrait parler d’un «sportif crinqué» ou d’un «politicien crinqué».

Exemple : «C’était pas la bonne affaire à dire, visiblement. Ça l’a encore plus crinqué» (Et au pire, on se mariera, p. 104).

Il est même concevable d’être plus crinqué que crinqué : on est alors crinqué au boutte.

On peut se crinquer soi-même; on peut aussi être la victime des autres.

Exemple : «Crinquer quelqu’un : l’agacer, le provoquer» (Petit lexique de mots québécois […], p. 72).

Crinquer, c’est aussi faire tourner quelque chose, comme un bouton.

Exemple : «La leçon de rock de Gros Mené : d’abord, apprends à jouer. Bien. Puis, crinque le volume» (@oursmathieu).

Cela peut dès lors s’appliquer à une montre ou, mieux, à une horloge.

Un auditeur de l’émission a indiqué un autre sens, lié au monde de la drogue : se crinquer, c’est s’injecter de la drogue. Pas trop loin sémantiquement, Richard Desjardins, dans «Kooloo Kooloo», chante «Crinque le p’tit joint».

Un crinqueux serait une personne qui rapporterait volontiers des potins, toujours selon un auditeur.

D’où le mot vient-il ? Manifestement de l’anglais crank, manivelle, mécanisme de démarrage.

Exemple (avec orthographe d’origine) : «[Le Skiroule 440] part toujours d’un coup de crank» (Léthargie, p. 150).

Exemple (avec orthographe fautive) : «Je lui fait une petite démonstration de démarrage en tirant sur la cranck» (Attaquant de puissance, p. 68).

Exemple (avec orthographe modifiée) : «J’ai tiré un coup sec et ferme sur la crinque» (Léthargie, p. 210).

Exemple (de souche) : «J’crinque ma chainsaw / Pour tailler les mots quej’ veux t’offrir» (Tire le coyote, «Chainsaw», 2013).

Le mot vient de l’anglais, pas sa prononciation; tout le monde devrait le savoir. Ainsi, dans son ineffable Dictionnaire de la langue québécoise, Léandre Bergeron n’a pas d’entrée à crinque, mais, à crank, on peut lire «pron. crinque» (p. 156).

Reconnaissons-le avec «Le Crinqué» : le mot est riche, et digne de figurer au dictionnaire.

P.-S. — L’Oreille se demande si «Chainsaw» ne devrait pas être la chanson thème de l’École de la tchén’ssâ.

P.-P.-S. — Hier, à Pas de midi sans info, à la radio de Radio-Canada, une journaliste a utilisé trois fois le mot crinquer, comme si cela allait de soi. Elle n’avait manifestement aucune conscience qu’il existe des niveaux de langue en français.

 

[Complément du 10 septembre 2021]

Grâce à @w3corg, sur Twitter, l’Oreille tendue découvre l’existence des films Crank (2006) et Crank : High Voltage (2009). En version pour la France : Hyper Tension et Hyper Tension 2. Pour le Québec et le Nouveau-Brunswick : Crinqué et Crinqué : Sous haute tension.

 

[Complément du 21 janvier 2024]

Dans la Presse+ du jour, ceci, au sujet de Patrick Roy, nouvel entraîneur des Islanders de New York — c’est du hockey : «Maintenant, s’il y a un entraîneur capable de recrinquer cette formation, c’est bien lui.» Crinquer, mais à nouveau.

 

Références

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

Bienvenu, Sophie, Et au pire, on se mariera. Récit, Montréal, La mèche, 2011, 151 p.

Desjardins, Ephrem, Petit lexique de mots québécois à l’usage des Français (et autres francophones d’Europe) en vacances au Québec, Montréal, Éditions Vox Populi internationales, 2002, 155 p.

Hotte, Sylvain, Panache. 1. Léthargie, Montréal, Les Intouchables, coll. «Aréna», 1, 2009, 230 p.

Hotte, Sylvain, Attaquant de puissance, Montréal, Les Intouchables, coll. «Aréna», 2, 2010, 219 p.