Le sacre de l’hiver

Martin Robitaille, les Déliaisons, 2008, couverture

«Je me surpris à crier : “Y fait fret, tabarnak !” C’est fou ce que ça fait du bien de sacrer. Encore plus en pays étranger. C’est une belle soupape, les sacres. C’est tout ce qu’on avait, avant, comme système d’autodéfense.»

Martin Robitaille, les Déliaisons. Roman, Montréal, Québec Amérique, coll. «Littérature d’Amérique», 2008, 240 p., p. 19.

Feeling

Jean-Simon DesRochers, la Canicule des pauvres, 2009, couverture

Il y a jadis naguère, l’Oreille tendue causait imbibition.

L’excellente @revi_redac lui faisait alors remarquer qu’il manquait à son vocabulaire éthylique être feeling (avoir bu, le savoir, mais ne pas avoir, encore, à le regretter).

Cela est revenu à l’oreille de l’Oreille devant ce passage de la Canicule des pauvres de Jean-Simon DesRochers (2009) : «Une autre gorgée. Pas trop… juste assez pour être feelingune dernière» (p. 245).

Rien ne se perd, rien ne se crée.

 

[Complément du 20 février 2014]

La cocaïne, dit-on, pourrait aussi rendre feeling. C’est du moins ce qu’affirme un personnage du roman les Déliaisons de Martin Robitaille devant la possibilité d’en prendre une ligne (2008) : «Oahhh !, juste une p’tite, pour être feeling» (p. 93).

 

Références

DesRochers, Jean-Simon, la Canicule des pauvres. Roman, Montréal, Les Herbes rouges, 2009, 671 p.

Robitaille, Martin, les Déliaisons. Roman, Montréal, Québec Amérique, coll. «Littérature d’Amérique», 2008, 240 p.

Détresse du jour

Réjean Ducharme, l’Hiver de force, éd. de 1984, couverture

L’Oreille tendue vient de prendre conscience du fait qu’elle n’a jamais proposé d’article développé sur le verbe zigonner (elle l’évoque cependant ici). Elle ne saurait se l’expliquer. Cela l’inquiète.

Remédions à cela.

Qui zigonne n’arrive pas (bien) à faire quelque chose, mais cela ne l’empêche pas d’essayer, parfois pendant longtemps. Zigonner ne marque jamais une économie de temps.

Le Petit Robert (édition numérique de 2014) classe zigonner dans la catégorie des régionalismes («Canada») et le considère comme «familier». Il en indique trois sens (dont le deuxième n’est jamais tombé dans l’oreille de l’Oreille) :

1. Faire des essais en divers sens, sans savoir s’y prendre.

2. Tenter de se frayer un passage, en se faufilant, en zigzaguant. Zigonner dans la foule.

3. Hésiter, tergiverser. «La plupart des gens zigonnent avant de reconnaître une contradiction» (M. Laberge).

Le verbe peut s’employer seul :

«— Que fait ton père dans la cuisine ?
— Il zigonne.»

On peut lui adjoindre des compléments d’objet directs.

Nicole, dans l’Hiver de force (1973) de Réjean Ducharme, n’est pas douée pour la conduite automobile : «elle zigonne les pédales, elle s’agite, elle s’énerve» (p. 136).

Souvent, il est suivi des préposition sur ou après.

Elle zigonne sur la zapette.

Il zigonne après le piton.

Il a donné naissance à un adjectif : zigonneux et à un substantif : zigonnage.

En 2008, des auditeurs de la radio de Radio-Canada avaient suggéré que ce québécisme soit ajouté au(x) dictionnaire(s). Ils avaient raison.

P.-S.—La Base de données lexicographiques panfrancophone le donne avec une seul n ou deux. Elle en recense plusieurs acceptions (caloriques, halieutiques, équestres, musicales) «vieillies». Zigonner pourrait même renvoyer à la connaissance dite biblique.

P.-P.-S.—Ni le Multidictionnaire de la langue français (2009, cinquième édition) de Marie-Éva de Villers, ni Usito, «Une description ouverte de la langue française qui reflète la réalité québécoise, canadienne et nord-américaine tout en créant des ponts avec le reste de la francophonie», ne connaissent ce mot.

 

[Complément du 8 janvier 2014]

La suite logicielle Antidote propose l’étymologie suivante :

Emprunt au poitevin ou saintongeais zigzounàe, «scier maladroitement»; de l’onomatopée zik-zak, «bruit du va-et-vient d’une scie».

Merci à @revi_redac pour cet ajout.

 

[Complément du 8 juillet 2017]

Dans le quotidien bruxellois le Soir d’hier, l’excellent Michel Francard consacre sa chronique à zigonner. C’est ici, sous le titre «Zigonner sur la zappette».

 

[Complément du 21 octobre 2025]

La création lexicale n’a jamais effrayé l’écrivain québécois François Hébert. Dans son Frank va parler (2023), on trouve des «scolies spinozigonnantes» (p. 188) qui auraient sans nul doute intrigué l’auteur du Précis de grammaire de la langue hébraïque.

 

Références

Ducharme, Réjean, l’Hiver de force. Récit, Paris, Gallimard, 1973, 282 p. Rééd. : Paris, Gallimard, coll. «Folio», 1622, 1984, 273 p.

Hébert, François, Frank va parler. Roman, Montréal, Leméac, 2023, 203 p.