Histoire de la littérature québécoise contemporaine 101

[Que les amateurs de statistiques le notent. Cette entrée est la millième du blogue.]

 

«[Samuel Archibald] aurait brandi
une scie mécanique de marque Mikita au-dessus de sa tête»
(Jean-Philippe Martel,
blogue Littéraires après tout, 12 février 2012).

«Ce n’est pas une raison pour hurler à un
“nouveau mouvement littéraire québécois” […]»
(Pierre Lefebvre, Liberté, avril 2012).

«Après une longue lutte, elle note sur le babillard :
“Benoît, emprunter chainsaw”»
(Danielle Phaneuf, la Folle de Warshaw. Roman, 2004).

 

Pendant de nombreuses années, l’Oreille tendue a enseigné l’histoire de la littérature à l’université, des Grecs à aujourd’hui, en une trentaine d’heures. Il lui arrivait de parler d’écoles, de mouvements ou de périodes littéraires, encore que ce ne fût pas sa tasse de thé pédagogique.

Réfléchissant à des textes de la littérature québécoise récente, elle propose néanmoins aujourd’hui d’en regrouper les auteurs sous l’étiquette École de la tchén’ssâ.

(Qu’est-ce qu’une tchén’ssâ ? Qui n’est pas de souche ne sait peut-être pas qu’il s’agit du mot anglais [chainsaw] désignant la tronçonneuse, mais acclimaté en français du Québec.)

Cette école est composée de jeunes écrivains contemporains caractérisés par une présence forte de la forêt, la représentation de la masculinité, le refus de l’idéalisation et une langue marquée par l’oralité.

L’Oreille tendue surplombe une station de métro de la fenêtre du bureau où elle écrit ceci et elle possède une tchén’ssâ, mais il reste que cet outil est surtout utile hors de la ville, en forêt. La tchén’ssâ est d’un maniement relativement aisé — encore que l’ajustement de sa chaîne demande du doigté —, elle est bruyante et salissante, et elle peut être dangereuse. Parmi les membres de l’école dont il est question, il y a ceux pour lesquels la tchén’ssâ sert essentiellement à abattre et à débiter des arbres; d’autres sont plutôt inspirés par le film The Texas Chainsaw Massacre (1974). Certains critiques préfèrent parler de néoruralité, de posterroir ou de néoterroir pour désigner ces écrivains de la région ou du bois.

Il n’est pas nécessaire d’être un homme pour faire partie de l’École de la tchén’ssâ, mais plusieurs personnages que représentent ses membres sont des hommes, saisis dans un décor non urbain, souvent un fusil à la main. Parfois, ils se contentent d’une canne à pêche.

L’écriture réaliste des auteurs tchén’ssâ ne recule devant aucune matière. Le sang coule dans leurs textes au moins autant que l’huile à moteur. (École du pickup serait un synonyme tout à fait acceptable d’École de la tchén’ssâ.) Ce réalisme n’est évidemment pas incompatible avec la création de mythologies personnelles ou avec des passages proches de la littérature fantastique.

Les écrivains de l’École de la tchén’ssâ, enfin, aiment faire entendre la langue populaire québécoise. Pour eux, une tchén’ssâ s’appelle une tchén’ssâ, pas une tronçonneuse ou une scie mécanique, et il ne leur viendrait pas à l’idée de mettre ce mot en italique dans leurs textes.

Quels sont les membres de l’École de la tchén’ssâ ? Parmi ses figures emblématiques, on compte Samuel Archibald, Raymond Bock et William M. Messier, mais on pourrait aussi leur associer Daniel Grenier, voire Madame Chose.

Sur le plan biographique, on notera — sans en faire une règle absolue — que ces auteurs sont nés à la fin années 1970 ou durant les années 1980, qu’ils ont commencé à publier durant la deuxième décennie du XXIe siècle et qu’ils ont été associés, ou le sont encore, au Département d’études littéraires de l’Université du Québec à Montréal. Ils sont souvent publiés, à Montréal, par Le Quartanier.

De qui s’inspirent-ils ? Sans qu’on puisse toujours parler d’une filiation directe, il est possible de rapporter leur travail littéraire, du côté du roman, à celui de Louis Hamelin, d’André Major ou de Victor-Lévy Beaulieu, parfois de Réjean Ducharme. Pour la poésie, il faudrait plutôt penser à Patrice Desbiens.

Les membres de l’École de la tchén’ssâ sont d’abord prosateurs, mais on compte aussi des poètes parmi eux (Alexandre Dostie de Duo Camaro, Marjolaine Beauchamp, Érika Soucy). Ils pratiquent volontiers la nouvelle (Grenier), parfois appelée histoire (Archibald, Bock). Le numérique n’a pas de secret pour eux : on les lit dans la blogosphère (Grenier) ou dans la twittosphère (Madame Chose). Ils ont leur exégète, Mathieu Arsenault, le fondateur de l’Académie de la vie littéraire au tournant du 21e siècle et l’auteur d’un texte éclairant sur la «ruralité trash» (Liberté, 295, avril 2012).

On peut posséder une tchén’ssâ, sans pour autant être de cette école. C’est le cas d’un poète apprécié de l’Oreille tendue, François Hébert.

On peut décrire des lieux non montréalais, sans non plus en être. Le Rivière-du-Loup de Nicolas Dickner ou le Shawinigan de François Blais ne nécessite pas qu’on y coupe du bois.

L’Oreille tendue a bien cherché une façon de rattacher Éric Plamondon à l’École de la tchén’ssâ — à cause de ses allusions à la pêche à la ligne et au tir à l’arc (sur écureuil) —, mais sans être elle-même parfaitement convaincue.

Mélanie Vincelette écrit sur le Nord (Polynie, Paris, Robert Laffont, 2011), mais on ne lui confierait pas une tchén’ssâ; ce pourrait être risqué. En revanche, Catherine Mavrikakis ferait de beaux ravages avec un outil comme celui-là : qu’on se souvienne de ce qu’un de ses personnages est capable de faire avec une pelle au début de Ça va aller. Roman (Montréal, Leméac, 2002).

Nicolas Langelier, l’auteur du roman Réussir son hypermodernité et sauver le reste de sa vie en 25 étapes faciles (Montréal, Boréal, 2010), se situe aux antipodes des auteurs rassemblés ici, même si son personnage se réfugie dans l’ex-chalet familial.

Les textes de l’École de la tchén’ssâ sont encore peu nombreux, et beaucoup de leurs auteurs en sont encore au début de leur carrière. L’historien de la littérature suivra leur évolution avec attention et bienveillance.

Exercices

1. Répartissez les tenants de l’École de la tchén’ssâ en deux catégories : auteurs possédant une tchén’ssâ; auteurs ne possédant pas de tchén’ssâ.

2. Démontrez pourquoi Gabriel Anctil (Sur la 132, Montréal, Héliotrope, 2012), Jean-François Caron (Rose Brouillard, le film, Chicoutimi, La Peuplade, 2012) ou Ariane Gélinas (les Villages assoupis, Montréal, Marchand de feuilles, 2012) se rattachent, ou ne se rattachent pas, à l’École de la tchén’ssâ.

3. Traduisez le passage suivant en français hexagonal : «Big Lé allait assez souvent aux États avec moi pour savoir que la frontière entre le Canada et les States était une passoire. Il a dit à Luis qu’il pourrait la passer, América, et la lui domper à San Francisco s’il y mettait le prix. Ils s’en sont parlé pas mal le temps que Big Lé était là-bas. C’est resté de même pis Lé est rentré au Québec» (Arvida, p. 84).

4. Complétez la citation suivante : «Tu peux pas comprendre si tu viens de __________» (Arvida Crew).

Citations choisies

Daniel Grenier : «Et quand elle veut se rendre d’ici au comptoir de la cuisine, pour aller chercher le Windex, parce qu’en gossant sur sa plaie encore molle, elle a fait gicler le pus dans le miroir de la salle de bain, quand elle veut se rendre d’ici à là-bas, elle s’aligne un peu à gauche, histoire de ne pas dériver, dériver, dériver» (Malgré tout on rit à Saint-Henri, p. 73).

Raymond Bock : «[…] Jason s’est soudain précipité pour aller chercher une pinte d’huile à moteur dans le coffre et est revenu détacher ce qui restait de Turbide, qui s’est écrasé au sol, des aiguilles de pin collées dans sa face tuméfiée. Jason a arraché les pantalons à plis beiges du vieux et lui a abondamment aspergé le derrière avec l’huile. J’ai cru qu’il voulait l’immoler. J’allais lui dire d’au moins l’éloigner de l’arbre, mais Jason bougeait plus, les shorts baissés à mi-cuisse, bandé comme un démon» (Atavismes, p. 21-22).

Conseils du jour de Madame Chose : «La jeune femme moderne devrait savoir faire du caramel et graisser un moteur» (Twitter, 16 mai 2012); «La jeune femme moderne devrait savoir partir une génératrice en battant des cils» (Twitter, 11 mai 2012); «La jeune femme moderne devrait savoir creuser une rigole et appliquer ses fards avec les doigts» (Twitter, 9 mai 2012); «La jeune femme moderne devrait savoir faire un bas de pantalon et chasser l’outarde» (Twitter, 8 mai 2012); «La jeune femme moderne devrait savoir déveiner un cerf et poser des rouleaux chauffants» (Twitter, 2 mai 2012).

Lectures recommandées

Archibald, Samuel, Arvida. Histoires, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 04, 2011, 314 p. Ill.

Bock, Raymond, Atavismes. Histoires, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 03, 2011, 230 p.

Grenier, Daniel, Malgré tout on rit à Saint-Henri. Nouvelles, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 07, 2012, 253 p.

Liberté, 295 (53, 3), avril 2012, p. 5-47 : dossier «Les régions à nos portes». Textes de Pierre Lefebvre, Raymond Bock, Samuel Archibald, William S. Messier et Mathieu Arsenault.

Messier, William S., Townships. Récits d’origine, Montréal, Marchands de feuilles, 2009, 111 p.

 

[Complément du 28 janvier 2013]

Pour en savoir plus sur l’imprévisible fortune de l’expression «École de la tchén’ssâ», on va ici.

L’École de la tchén’ssâ

Du tintinologue

Hergé au Québec, 1965, affiche

 

[Lecteur, si Tintin t’ennuie, passe ton chemin.]

«J’ai lu Coke en stock
Au motel Jenny Rock»
Lucien Francoeur

L’année dernière, l’Oreille tendue a recueilli quelques-uns de ses textes sur la lettre, dont un «Tintin (non-)épistolier», sous le titre Écrire au pape et au Père Noël. Cabinet de curiosités épistolaires (Del Busso éditeur). Rendant compte du livre, Christian Vandendorpe dit de l’Oreille qu’elle est un «tintinologue averti». C’est lui faire trop d’honneur.

Cela l’a néanmoins entraînée à se poser la question suivante : qui, parmi les auteurs qu’elle connaît, classerait-elle dans la catégorie des «tintinologues» ? Voici quelques noms, par ordre alphabétique de prénom, Tintin oblige. (Tristan Demers étant dans une classe à part, il est exclu de l’énumération ci-dessous.)

Bertrand Laverdure : «Ce n’est pas très long avant que je n’entende une longue plainte grinçante qui me fige sur place. Une espèce de son de yéti comme dans Tintin au Tibet, une onomatopée interminable» (Bureau universel des copyrights. Roman, Chicoutimi, La peuplade, 2011, 142 p., p. 114).

Didier Daeninckx : «Une jeune femme promenait son chien, une sorte de Milou manucuré dont le collier tintinnabulait avec le même son agaçant qu’une clochette d’épicier» (À louer sans commission, édition numérique, Saint-Cyr-sur-Loire, publie.net, coll. «Mauvais genres», 2011 [1991], ch. 4).

Douglas Coupland : «E-mail from Abe : Im re-reading all my old TinTin books, and I’m noticing that there are all of these things absent in the Boy Detective’s life…religion, parents, politics, relationship, communion with nature, class, love, death, birth…it’s a long list. And I find that while I still love TinTin, I’m getting currious about all of its invisible content» (Microserfs, Toronto, HarperPerennial, 1996 [1995], 371 p., p. 191).

Éric Chevillard : «Fuyons, mon vieux Milou !» (Oreille rouge, Paris, Éditions de Minuit, coll. «Double», 44, 2007 [2005], 158 p., p. 97).

Éric Plamondon : «Tintin et Milou» («34. Symboles», dans Hongrie-Hollywood Express. Roman. 1984 — Volume I, Montréal, Le Quartanier, série «QR», 44, 2011, 164 p., p. 69).

François Hébert : «Elle ramassa le cartable du petit et alla le ranger dans sa chambre. Quel désordre ici. Au mur, décollée à l’un des angles, la photo d’un gardien de but, s’élançant devant un ballon qui n’arrivait pas. Une chaussette sur un Tintin, tiens, c’est On a marché sur la lune» (le Rendez-vous. Roman, Montréal, Quinze, coll. «Prose entière», 1980, 234 p., p. 218); «tu as bu tous les livres / Mallarmé Malcolm Lowry ô Tryphon Tournesol» («Mai 68», dans comment serrer la main de ce mort-là, Montréal, l’Hexagone, coll. «L’appel des mots», 2007, 92 p., p. 45); «Jaime lit les bédés, il a connu Tintin, Babar, / Superman, Spiderman. Les bandits de Cinar, j’ignore» («Chant vingt-septième», dans Toute l’œuvre incomplète, Montréal, l’Hexagone, coll. «Écritures», 2010, 154 p., p. 45-46, p. 45).

Gilles Marcotte : «Mais il y eut, bloquant la sortie, ce personnage un peu bizarre, très correct, exagérément correct, comme déguisé, vêtu d’un complet noir comme il convenait, mais que sa moustache faisait ressembler, au choix, à Adolf Hitler, au philosophe Heidegger ou à l’un des frères Dupont» (le Manuscrit Phaneuf. Roman, Montréal, Boréal, 2005, 216 p., p. 46).

Hugo Roy : «Le jeune reporter représentait pour moi l’accès à des mondes mystérieux, remplis de guet-apens, de complots, de brownings et de passages secrets, des mondes d’où l’on ne pouvait espérer sortir sans la vivacité du fidèle ami de Tchang. J’enviais cette qualité à Tintin, l’insolence de Robin des Bois, la ténacité d’Edmond Dantès et la perspicace assurance d’Arsène Lupin» (l’Envie, Montréal, Boréal, 2000, 204 p., p. 55).

Julien Blanc-Gras : «Mais je ne suis pas vraiment à l’aise avec l’idée de faire porter mon barda par des femmes et des enfants. Tintin au Congo, pas terrible» (Touriste, Vauvert, Au diable vauvert, 2011, 259 p., p. 219).

Laurent-Michel Vacher : «Universaux : terme emprunté à la scolastique médiévale et désignant les concepts généraux — correspondant non pas à un individu (Milou), mais à des classes, des genres ou des espèces (chien, animal)» (Découvrons la philosophie avec François Hertel, Montréal, Liber, 1995, 194 p., p. 78 n.).

Marc Robitaille : «Il n’y avait rien à faire alors j’ai relu Tintin au Tibet» (Des histoires d’hiver, avec des rues, des écoles et du hockey. Récit, Montréal, VLB éditeur, 1987, 142, p. 140; voir aussi p. 136-137).

Michel Lefebvre : «Quand je me demande pourquoi j’aime tant lire, […] je me souviens avoir reçu en prime un porte-clés Tintin et Milou à l’achat du tout premier numéro de l’hebdomadaire Tintin distribué régulièrement au Québec; je me souviens que c’était aux environs de Pâques» (Je suis né en 53… Je me souviens, Montréal, Hurtubise HMH, coll. «amÉrica», 2005, 132 p., p. 127).

Michel Michaud : «Et puis la seule image que je connaissais de ce ruminant à tête de chameau [le lama], c’était son côté cracheur d’eau à la barbe du capitaine Haddock dans Tintin et le Temple du Soleil» (Coyote, Montréal, VLB éditeur, 1988, 288 p., p. 267).

Michel Tremblay : «Aujourd’hui, cet album me ferait frémir, mais le petit garçon qui lit les aventures de Tintin et de Milou, le chien parlant, sur le balcon de l’appartement de la rue Fabre ne connaît ni la Belgique ni le Congo belge, il n’a encore aucune notion du colonialisme, même s’il en est une victime culturelle depuis sa naissance en tant que Québécois, et il dévore sa première bande dessinée sans arrière-pensée, tout heureux de découvrir que Tintin n’est pas si plate que ça, en fin de compte» («Tintin au Congo», dans Un ange cornu avec des ailes de tôle. Récits, Montréal et Arles, Leméac et Actes Sud, 1994, 245 p., p. 48-64, p. 61).

Nicholson Baker : «The pictures were very important to the story, because Hergé was such a good drawer, especially of mountains and people climbing mountains wearing backpacks» («39. Reading Tintin to Her Babies», dans The Everlasting Story of Nory. A Novel, New York, Random House, 1998, 226 p., p. 155-158, p. 156); «“Guano” was one of my favorite words back then—I’d learned it from Tintin» (The Anthologist. A Novel, New York, Simon & Schuster, 2009, 243 p., p. 75).

Nicolas Ancion : «Voilà. Tout était compris dans ces trois mots. Fabriqué en Chine. Et Tom avait décidé de retrouver sa vraie mère, sa maman de Chine. Une gentille Chinoise avec des yeux bridés et des souliers minuscules, comme dans Le lotus bleu, qui serrerait Tom dans ses bras avec autant d’amour qu’au jour où elle l’avait cousu. Et le seul moyen de la retrouver, sa mère, c’était de remonter la filière» (Les ours n’ont pas de problème de parking, édition numérique, Saint-Cyr-sur-Loire, publie.net, coll. «Fiction 17», 2011 [2001], ch. «Le chien brun et la fleur jaune de Chine»).

Nicolas Dickner : «Dès le premier regard, par exemple, on tombe sur trois guides de voyage raisonnablement récents (Indonésie, Islande, Hawaï), un exemplaire à peine égratigné d’un album de Tintin (Coke en stock), le Ashley Book of Knots (en bon état mais sans couverture) et une édition spéciale de la Vie mode d’emploi (finement reliée)» (Nikolski, Québec, Alto, 2006, 325 p., p. 318-319; voir aussi p. 266).

Yves Pagès : «Au loin, la carcasse d’un zinc échoué dans la neige. Milou y déniche un poulet congelé de longue date. Tintin, lui, déchiffre le nom de son petit protégé gravé sur la paroi d’une grotte. Aujourd’hui, le Yéti est au chômage technique» («Figuration libre», dans Petites natures mortes au travail. Récits, Paris, Verticales et Seuil, 2000, 122 p., p. 37-44, p. 43).

La compagnie n’est pas trop mauvaise.

Cela étant, je serais Tintin, je m’inquiéterais. Sur 21 citations, six portent sur Milou, une sur les Dupont, une sur le professeur Tournesol, une sur Tchang, une sur le capitaine Haddock. Ce n’est pas un peu beaucoup pour les seconds couteaux ?

P.-S. — L’Oreille doit bien le confesser : il y a un peu de tintinologue en elle. Surtout si on ajoute ceci et cela à ce qui précède.

 

[Complément du 7 avril 2013]

Préparant du matériel pour ses Curiosités voltairiennes, l’Oreille tombe sur un texte de Michel David paru dans le Devoir du 28 septembre 2007, «Comme disait Voltaire». Il y est question de la résidence somptueuse de Pauline Marois, qui n’était pas encore première ministre du Québec. Comment David appelle-t-il ce «château» ? «Moulinsart-en-l’Île-Bizard» (p. A10).

 

[Complément du 14 avril 2013]

Du nouveau sur cette résidence : «“La Closerie”, domaine inspiré du Château de Moulinsart des aventures de Tintin, est située à l’Île-Bizard» (la Presse, 13 avril 2013, p. A8). «Inspiré» : vraiment ?

 

[Complément du 26 août 2013]

Le premier mot du sous-titre de Téléthons de la Grande Surface (inventaire catégorique), le livre que publiait Marc-Antoine K. Phaneuf en 2008 (Montréal, Le Quartanier, 188 p.), indique clairement sa nature formelle : Listes, poésie, name-dropping. L’ouvrage est en effet constitué uniquement de listes, regroupées en huit sections : «Listes de gens», «Listes alimentaires», «Listes d’objets», «Listes géographiques», «Listes scientifiques», «Listes sportives», «Listes culturelles», «Listes musicales». Elles sont faites de mots tirés de la vie courante, de la musique, du cinéma, du sport, de la télévision, de la chanson, de la culture populaire et de la culture savante. Et de la bande dessinée.

La série Astérix n’est nommée qu’une fois, pour les Douze Travaux d’Astérix (p. 127). Les Tintin, en revanche, sont très souvent cités. Parfois, il est question de personnages : Tintin et Milou (p. 16), les Dupont/d (p. 22), Rackham le Rouge (p. 37), le capitaine Haddock (p. 90), le professeur Tournesol (p. 135). Parfois, d’albums : l’Oreille cassée (p. 46), le Crabe aux pinces d’or (p. 91), l’Affaire Tournesol (p. 119), Vol 714 pour Sidney (p. 126). Moulinsart est là (p. 101), comme «des mèches dans le toupet Tintin» (p. 179).

Une fois cette liste dressée, un esprit chagrin pourrait déplorer l’absence de Milou dans «Au pet shop» (p. 88-89) et celle de Tintin au Tibet dans «Le péril jaune» (p. 104-105). Ne soyons pas des esprits chagrins.

 

[Complément du 27 janvier 2014]

Nicholson Baker précise sa lecture de Tintin dans «Thorin Son of Thráin» (1996) :

Two Tintin books — The Secret of the Unicorn and Red Rackham’s Treasure — were the first things I truly liked reading by myself. Golden Books was the publisher of a few Tintin titles then, and they had Americanized the text slightly : Haddock’s ancestral home was called Hudson Manor rather than the Marlinspike Hall of other Tintins that we ordered later on from England like jars of marmalade. I loved the shark-shaped one-man submarine, and Tintin’s shameless habit of talking to himself in his diving helmet while he was being stalked by the real shark, and the scene in which Thomson and Thompson, tired out, forget to keep cranking the air pump that leads below (éd. de 2013, p. 44).

 

Référence

Baker, Nicholson, «Thorin Son of Thráin», dans Michael Dorris et Emilie Buchwald (édit.), The Most Wonderful Books : Writers on Discovering the Pleasures of Reading, Minneapolis, Milkweed Editions, 1997; repris dans Nicholson Baker, The Way the World Works. Essays, New York, Simon & Schuster, 2013, p. 43-45.

 

[Complément du 1er août 2016]

Lisant ceci chez San-Antonio dans Salut mon pope ! : «Elle nous emporte dans sa cabine comme une vieille pie emporte des boucles d’oreilles dans son nid» (éd. de 1974, p. 239), comment ne pas penser aux Bijoux de la Castafiore ?

San-Antonio, Salut, mon pope ! Roman spécial-police, Paris, Fleuve noir, coll. «S.A.», 25, 1974, 254 p. Édition originale : 1966.

 

[Complément du 3 mars 2017]

Collecte du jour.

Hervé Bouchard : «Je possède de ça des images de moi dans un autobus, dans un avion, dans un campeur monté sur un F-150 de mil neuf sans que ça paraisse, où je suis couché comme Tintin dans sa fusée, pendant que le véhicule fait l’ascension circulaire de la montagne Baker» (Numéro six. Passages du numéro six dans le hockey mineur, dans les catégories atome, moustique, pee-wee, bantam et midget; avec aussi quelques petites aventures s’y rattachant, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 80, 2014, 170 p., p. 148).

Simon Brousseau : «Tu as huit ans, c’est le soir de Noël, et tu repères tout de suite, sous le beau sapin que tu as décoré la veille avec tes grands-parents, le cadeau qu’ils vont t’offrir et dont la forme laisse deviner l’album de Tintin que tu désires et qui manque à ta collection, Le Lotus bleu, avec sa rutilante couverture où un dragon tracé à l’encre de chine zigzague et semble sur le point de jaillir hors du livre, et lorsqu’à minuit tu peux enfin déballer ce cadeau, tu le fais avec un tel empressement que tu t’arraches l’ongle de l’index gauche, et même si tout le monde se rue sur toi, tu ne résistes pas à la tentation de tourner les premières pages» (Synapses. Fictions, Montréal, Le Cheval d’août, 2016, 107 p., p. 82-83).

Michael Delisle : «Il était beau comme Tintin : pâle, lèvres roses, yeux bleus, un peu blond» (le Feu de mon père. Récit, Montréal, Boréal, 2014, 121 p., p. 24).

Jonathan Franzen : «The most widely loved (and profitable) faces in the modern world tend to be exceptionally basic and abstract cartoons : Mickey Mouse, the Simpsons, Tintin, and — simplest of all, barely more than a circle, two dots, and a horizontal line — Charlie Brown» (The Discomfort Zone. A Personal History, New York, Picador, Farrar, Straus and Giroux, 2006, 195 p., p. 40).

Nicolas Guay : «Les aventures de Tintin et Ubu — l’oneille cassée» (l’Insoutenable Gravité de l’être (ou ne pas être), 2015 [deuxième édition], 100 p., p. 57. Édition numérique.).

François Hébert : «Dans le programme, on nous annonce que le professeur François-Xavier Nève de Mévergnies, de Liège, va nous parler de Tintin au Tibet. / Ce doit être un yéti, ce prof, avec un nom pareil» (De Mumbai à Madurai. L’énigme de l’arrivée et de l’après-midi. Récit, Montréal, XYZ éditeur, coll. «Romanichels», 2013, 127 p., p. 40); «Ne tournerais-tu pas en rond comme un Dupont d’Au pays de l’or noir ?» (p. 97); «Et voici le capitaine Haddock qui caracole sur une vache sacrée et enragée dans la communication de Swati Dasgupta : L’image de l’Inde dans la bande dessinée francophone : de Tintin à India Dreams» (p. 108).

Normand Lalonde : «Ce n’est tout de même pas ma faute si Les bijoux de la Castafiore sont un des sommets de l’art du vingtième siècle» (Autoportrait aux yeux crevés. Petites méchancetés et autres gentillesses, Montréal, L’Oie de Cravan, 2016, 60 p., p. 28); «Si je n’étais Tintin, je voudrais être Diogène» (p. 30).

Jean-Pierre Minaudier : «Ke mahal onerdecos s’ch proporos rabarokh !» est la traduction, en arumbaya, d’une célèbre phrase du capitaine Haddock : «Moules à gaufres ! Marchand de tapis !» (Poésie du gérondif. Vagabondages linguistiques d’un passionné de peuples et de mots, Le Rayol Canadel, Le Tripode, 2014, 157 p., p. 17 et p. 137)

Patrick Nicol : «Il y a quarante ans, quand son oncle lui parlait de Chypre — Marc le revoit, tel qu’il l’a vu alors, marchant entre les lignes ennemies, opposant la solidité de son casque bleu au cône mou des Turcs et à la calotte à pompons des Grecs (souvenir erroné de Tintin) —, les Russes n’avaient même pas le droit d’épargner» (Vox populi. Roman, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 98, 2016, 89 p., p. 35); «Le mot “aventure” lui fait penser également à Tintin, qui a beaucoup voyagé comme les souliers de la chanson (Marc s’amuse de la vivacité de son esprit)» (p. 62).

Patrick Roy : «Elle vivait seule avec deux chats qui aboutissaient toujours devant sa porte-fenêtre à lui, deux bâtards, un roux et un crème, Tintin et Milou, fallait-il être assez stupide» (L’homme qui a vu l’ours. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 09, 2015, 459 p., p. 56); «L’un d’eux, Maverick, préposé au terrain dans un stade de rugby, ressemblait au capitaine Haddock avec des cheveux roux et il était tout aussi gueulard» (p. 285); «Fitzpatrick avait l’impression de traverser le désert depuis des heures tant sa gorge était sèche. Il était pris dans un remake du Crabe aux pinces d’or. Il se retint de s’éponger le front» (p. 396).

 

Écrire au pape et au Père Noël, 2011, couverture

Du chien et de ses usages au Québec

Sandra Gordon, les Corpuscules de Krause, 2010, couverture

Soit les deux citations suivantes :

—J’ai déjà dit que je ne voulais pas vous voir fourrer le chien par ici, a-t-il aboyé.

—Je ne… fourre pas le chien.

Je ne savais pas ce que l’expression voulait dire, sinon que c’était quelque chose que Rigger n’aimait pas (Hockey de rue, p. 150).

Ça prend juste un bâtard comme toi pour venir fucker l’chien (les Corpuscules de Krause, p. 189).

Qu’en est-il donc de ce chien, qu’on fourre ou qu’on fucke (prononcé phoque) ?

Dans le premier texte, fourrer le chien signifie glander, ne rien faireloafer (verbe intransitif du premier groupe, prononcé lôfer), aurait-on dit à une autre époque.

Dans le suivant, il s’agit plutôt de compliquer une situation, de la faire se détériorer; cet emploi est péjoratif. Qui fucke le chien, donc, fout le bordel ou fait merder. (Cette deuxième acception, du moins aux oreilles de l’Oreille, paraît moins commune que la première.)

La langue anglaise est la source de cette expression, en ces deux sens.

Un forum de discussion sur Internet — merci à @LucGauvreau — évoque une troisième signification : avoir de la difficulté. Il y est question de «fuckage de chien» et de «fuckage de canidés».

Ces tentatives de définition laissent deux questions ouvertes.

D’où une telle expression peut-elle bien venir ? Comme dans d’autres cas, il vaut peut-être mieux ne pas se poser la question, histoire de ne pas se représenter l’affaire.

Le bon usage recommande-t-il fourrer (comme dans la traduction du roman de David Skuy par Laurent Chabin) ou fucker le chien (ainsi que l’écrit Gordon) ? Le débat a récemment occupé Twitter.

L’Oreille a souvenir d’avoir entendu les deux verbes. Forcée d’utiliser l’expression, elle choisirait le second.

@PimpetteDunoyer, résolument montréalocentriste, @LucieBourassa, trifluvienne d’origine, et @VeroMato, de la Mauricie, pencheraient pour fucker le chien.

En Outaouais, c’est moins clair. Pour @catherine_pj, il faut fucker, mais, selon @iericksen, dans «le nord de l’Outaouais», ce serait fourrer. Commentaire de @PimpetteDunoyer : «Va falloir que vous fixiez la ligne de partage ;-).»

Histoire de compliquer les choses, @AMBeaudoinB connaît au moins une région où on fucke la chienne.

Avant Twitter, en 1980, dans son Dictionnaire de la langue québécoise, aux articles «chien» et «fourrer», Léandre Bergeron retient fourrer (p. 128 et 233). L’année suivante, dans son Supplément, voilà «Foquer l’chien» (p. 102). On voit aussi apparaître «Fourreur de chien» («n.m. — Sobriquet donné au contremaître dans les chantiers. — Paresseux», p. 103). Nulle trace, cependant, du foqueur de chien.

Qui fixera l’usage ? Qui sera le Vaugelas de la copulation canine ? En attendant, cela fait désordre.

 

[Complément du 19 janvier 2015]

C’est Victor-Lévy Beaulieu qui a publié il y a plus de trente ans les dictionnaires de Bergeron. Le 31 décembre 2014, histoire de finir l’année en beauté, le quotidien le Devoir reproduisait un texte tiré de la page Facebook de Beaulieu sous le titre «Ce désastre qu’est devenu notre langue». Son dernier paragraphe était le suivant : «Tout cela pour vous dire que dorénavant, j’éliminerai systématiquement de ma page toutes celles et tous ceux-là que je considère comme les assassins de notre langue, donc du pays à faire venir. Que toutes celles et tous ceux-là aillent foquer le chien avec des pareils à eux-mêmes !» (p. A7) Manifestement, foquer le chien ne fait pas partie des vœux de bonne année de VLB à ses lecteurs.

 

[Complément du 19 mai 2018]

En chanson, fucker le chien se trouve dans «Mon pays» (interprétation : Robert Charlebois; paroles : Réjean Ducharme). C’est un reproche.

 

Références

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise précédé de la Charte de la langue québécoise. Supplément 1981, Montréal, VLB éditeur, 1981, 168 p.

Gordon, Sandra, les Corpuscules de Krause. Roman, Montréal, Leméac, 2010, 237 p.

Skuy, David, Hockey de rue, Montréal, Hurtubise, 2012, 232 p. Traduction de Laurent Chabin. Édition originale : 2011.

Vocabulaire de la consommation (humaine)

Le verbe magasiner, employé intransitivement, est connu des dictionnaires. Le Petit Robert (édition numérique de 2010) en donne par exemple cette définition : «Région. (Canada) Aller faire des achats dans les magasins (cf. Faire des courses).»

Il ne faudrait toutefois pas oublier que le verbe connaît aussi un usage transitif direct. Qui magasine quelque chose se prépare à l’acquérir ou à l’obtenir.

Exemples

«“Magasiner” notre société» (la Presse, 25 octobre 2002).

«On magasine son bonheur !» (la Presse, 13 janvier 2003).

«Quand je magasine une auto, je me sers un peu de ma tête, et beaucoup de mon postérieur» (publicité).

«Je me suis magasiné un emploi épanouissant […]» (les Truites à mains nues, p. 34).

«Magasiner un spectacle à Édimbourg» (la Presse, 22 août 2011, cahier Arts et spectacles, p. 5).

«Magasiner son cégep» (le Devoir, 19-20 novembre 2005, p. C9).

«Le géant Home Depot magasine les fournisseurs québécois» (le Devoir, 4 mars 2004, p. B1).

Plus étrangement, il semble aussi qu’on puisse magasiner quelqu’un, afin d’en recevoir des services (dont la nature varie considérablement).

Exemples

«Magasiner son orthodontiste» (la Presse, 13 mai 2001).

«Des couples américains “magasinent” des mères porteuses au Canada» (la Presse, 28 août 2001).

«Le problème dans notre culture, c’est que les gens ne magasinent pas assez leurs partenaires !» (la Presse, 17 décembre 2003).

Les consommateurs d’aujourd’hui ne connaissent pas leur chance.

P.-S. — Il va de soi qu’on peut magasiner pour quelque chose, par exemple un appareil photo.

Le verbe «magasiner» au Québec

 

[Complément du 24 juin 2016]

L’Oreille tendue découvre un autre usage de magasiner. Chez certains, il a le sens de mettre sur le marché, offrir aux autres (consommateurs). Exemple : «Je ne magasine pas P.K.», affirmait hier le directeur général des Canadiens de Montréal — c’est du hockey —, Marc Bergevin, s’agissant de son défenseur étoile, P.K. Subban; il ne tenterait donc pas de l’échanger. Espérons qu’on puisse le croire.

 

[Complément du 29 septembre 2018]

Se magasiner quelque chose, c’est aussi courir le risque de l’obtenir : «Les deux zigotos, à se tordre le cou de même pour guetter les corbeaux et les augures, se magasinaient un torticolis» (la Bête creuse, p. 111).

 

[Complément du 11 mai 2019]

Pour un registre plus sombre, voir Royal, un roman de Jean-Philippe Baril Guérard (2016) : «Dans un monde idéal, tu serais pas en train de te magasiner un suicide» (éd. 2018, p. 83).

 

[Complément du 20 novembre 2022]

Qui se magasine une claque sur la gueulemerci, Luc Jodoin — devrait faire preuve de prudence. Sinon, ça risque de lui faire mal.

 

Références

Baril Guérard, Jean-Philippe, Royal. Roman, Montréal, Éditions de Ta Mère, 2018, 287 p. Édition originale : 2016.

Bernard, Christophe, la Bête creuse. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 14, 2017, 716 p.

Bolduc, Charles, les Truites à mains nues. Nouvelles, Montréal, Leméac, 2012, 139 p.