L’oreille tendue de… Dany Laferrière

Dany Laferrière, le Charme des après-midi sans fin, 1997, couverture

«Le corps de Prophète

Dix heures du soir. Je vois Da tendre l’oreille.

— On dirait des bruits de pas, dit Da. Tout près d’ici…

Fatal regarde par le trou de la serrure.

— Venez par ici, Da. Venez voir… On dirait qu’ils transportent quelqu’un.

— Mais oui, Fatal, tu as raison. C’est un corps qu’il y a dans le sac.

— Mais qu’est-ce qu’ils sont en train de lui faire ? Ils sont complètement soûls.

Soudain la porte s’ouvre. Da sort sur la galerie. Les deux mains sur les hanches.

— Bande d’assassins ! Vous n’avez pas le droit de traiter un être humain ainsi. Vous ne respectez rien. Charognards !

Da crache par terre. La lune blafarde. Les visages étonnés du petit groupe de tueurs.

— Si ce n’était pas vous, Da, lance quelqu’un dont le visage est caché sous une cagoule.

— Vous ne me faites pas peur, bande de lâches. Qu’est-ce que vous voulez encore à ce malheureux ?

— Vous le voulez, Da ? dit un grand type en lançant le sac sur notre galerie.

Et ils continuent leur chemin en gueulant des chants obscènes» (p. 138-139).

 

«Le départ

Je suis prêt depuis quatre heures du matin. Ma valise, appuyée contre la porte d’entrée. Gros Simon avait dit à Da qu’il passerait me prendre vers six heures. Da ne s’est pas couchée de la nuit. J’ai fait semblant de dormir. De temps en temps, je soulève la pointe du drap pour regarder Da en train de marcher dans toute la maison. Elle marmonne quelque chose que je n’arrive pas à comprendre. Est-ce un chant, une prière ou un monologue ? Je tends l’oreille, mais je ne parviens à saisir aucun mot. Elle essuie sans cesse tout (les meubles, les verres sur la panetière, les images saintes, les statuettes) comme si on était en plein jour. Finalement l’aube. Et Marquis qui se met à aboyer sans raison. Se doute-t-il de quelque chose ? (p. 195-196)

 

Dany Laferrière, le Charme des après-midi sans fin, Outremont, Lanctôt éditeur, 1997, 208 p.

Les zeugmes du dimanche matin et de Christophe Bernard

Christophe Bernard, la Bête creuse, 2017, couverture

«En réalité, tout a débuté quand Monti a perdu sa première vie au tournoi de hockey juvénile du diocèse de Gaspé, où s’opposaient les paroisses les plus friandes de sport et de rancunes indélébiles» (p. 14).

«Le concierge dans l’ascenseur avait ses écouteurs sur les oreilles. Il dévisageait François qui, pour lui montrer qu’il s’en allait visiter quelqu’un, lui a agité le bouquet sous le nez jusqu’à ce qu’il soit dépouillé de ses pétales et de la joie qu’il apportait» (p. 31).

«François était revenu trois jours plus tard, avec une pneumonie et le genre de facture de Bell dont tu te sors plus» (p. 50).

«Avec sa mallette au manuscrit d’une tonne et quart, et le sentiment difficile d’avoir joué à Tetris quarante-huit heures en ligne» (p. 54).

«La une du Vivier, avec un mois de retard et comme une pointe d’hystérie, montrait la plus grosse courgette jamais enregistrée dans le canton» (p. 65).

«Après une absence de plusieurs mois, il était revenu du bois un bon jour, avec son fusil et sa gibecière, des idées de recettes et un bout de papier fripé […]» (p. 68).

«Tard dans la nuit, le facteur clopinait, sur une route estompée par la fatigue et le crachin, vers l’enseigne de l’estaminet où il avait laissé sur l’heure du dîner son verre et sa jasette» (p. 72).

Christophe Bernard, la Bête creuse. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 14, 2017, 716 p.

P.-S.—L’Oreille tendue a cessé sa récolte de zeugmes à la centième page du roman.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

L’avoir courte

Icône de bombe, Macintosh

Soit les deux phrases suivantes :

«J’ai pas la mèche courte, madame, y’a pus de mèche, y’a le feu» (Venir au monde, p. 31).

«La journée s’annonçait longue et la patience de Brazeau avait déjà la mèche courte» (Coups de feu au Forum, p. 121).

Avoir la mèche courte, donc : «Réagir rapidement et fortement, être impatient», dit le Wiktionnaire.

Synonyme : prime.

 

Références

Brisebois, Robert W., Coups de feu au Forum, Montréal, Hurtubise, 2015, 244 p.

Olivier, Anne-Marie, Venir au monde, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 14, 2017, 101 p. Précédé d’un «Mot de la metteure en scène», Véronique Côté. Suivi de «Contrepoint. Tenir bon», par Catherine-Amélie Côté.