Moïse en Québec

Soit la phrase suivante, tirée de la 91e entrée de l’excellente série «Passé simple», de @machinaecrire, «Mots de mon enfance» :

Quand j’étais petit, j’utilisais le juron mozusse, mais c’est bien plus tard dans ma vie que j’ai compris que ce mot est en fait Moses, c’est-à-dire Moïse en anglais.

Mozusse, donc : un autre sacre mou.

On lui connaît plusieurs autres graphies.

Mosusse : «mosusse qu’ils vont nous manquer» (la Presse, 31 janvier 2012, cahier Sports, p. 5).

Maususse : «Une maususse de bonne idée de s’intéresser à la précarité des travailleurs autonomes» (Twitter, 3 septembre 2018).

Mosus : «Oh, la mosus, elle va mieux, vous voyez, elle se berce !» (l’Angle mort, p. 189)

Môsus : «Robert est un môsus de téteux» (le Village québécois d’aujourd’hui, p. 133).

Moses : «(pron. mauzusse) interj. — Juron inoffensif. Être en moses — Être en colère» (Dictionnaire de la langue québécoise, p. 327).

Ça fait désordre.

 

[Complément du 6 avril 2025]

Nouvelle graphie, découverte sur Bluesky : «Quand il allait au cégep, @so-lorange.bsky.social devait être bon en méthodes quantitives, parce qu’il fait des maujus de bons graphiques pertinents.»

 

Références

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

Chassay, Jean-François, l’Angle mort. Roman, Montréal, Boréal, 2002, 326 p.

Melançon, Benoît et Pierre Popovic, le Village québécois d’aujourd’hui. Glossaire, Montréal, Fides, 2001, 147 p.

Benoît Melançon et Pierre Popovic, le Village québécois d’aujourd’hui, 2001, couverture

Un peu de retenue, svp

Michel Tremblay, Albertine en cinq temps, éd. de 2007, couverture

Soit les phrases suivantes.

«Alors Patrick… tu nous niaisais avec ce texte, c’est ça ? Dis-moi que tu voulais juste t’amuser un peu en gâchant le début de journée de quelques personnes, qui comme moi, sont parfois un peu prime à réagir ?» (Clément Laberge, blogue Jeux de mots et d’images, 29 août 2018)

«Les méchantes langues vont se faire aller, on va poser des questions à Imelda. Prime comme elle est, elle va les envoyer chier, peut-être même disparaître du Paradise à tout jamais» (Michel Tremblay, la Diaspora des Desrosiers, p. 1243).

«Chus tannée d’être enragée, Madeleine ! Chus trop intelligente pour pas me rendre compte que vous me méprisez pis chus pas assez prime pour vous boucher !» (Michel Tremblay, Albertine, en cinq temps, p. 24)

Dans le français populaire du Québec, qui est prime ne tourne pas la langue sept fois dans sa bouche avant de parler. Cette vivacité d’élocution peut se transformer en impatience, voire en emportement. Attention : danger.

P.-S.—Spontanément, l’Oreille tendue aurait accordé l’adjectif dans le premier exemple (primes).

 

Références

Tremblay, Michel, Albertine, en cinq temps, Montréal et Arles, Leméac et Actes Sud, coll. «Papiers», 2007, 61 p. Édition originale : 1984.

Tremblay, Michel, Survivre ! Survivre !, dans la Diaspora des Desrosiers, Montréal et Arles, Leméac et Actes sud, coll. «Thesaurus», 2017, 1393 p., p. 1101-1251. Préface de Pierre Filion. Édition originale : 2014.

On s’appelle et on déjeune

Edvard Munch, «Le cri», 1910

Soit les deux phrases suivantes :

«Les mots semblent arrachés d’une gorge desséchée, râpant l’écorce des pins et traînant dans leurs ondes d’infimes particules de roches et de bois. Ils prennent vie et se transforment au fur et à mesure qu’ils s’éloignent de leur source. Un cri devenu jappement devenu ouac. Le coyote se tourne aussitôt en direction du bruit et montre les crocs» (Dixie, p. 144-145).

«Je suis arrivé. En secouant son uniforme, il se tourna vers la cabane à Monti pour lâcher un ouac» (la Bête creuse, p. 81).

Le ouac — qu’on lâche volontiers — a une dimension sonore évidente : bruit, appel, cri. Sans dire pourquoi — fidèle à son habitude —, Léandre Bergeron précise : «Cri de surprise, de douleur» (1980, p. 345).

Ephrem Desjardins, en 2002, préfère la graphie wak (ou ouac) : «Cri très fort. Lâcher un wak» (p. 145). En 2015, chez Pierre Desruisseaux, c’est wack : «[angl. cri] Lâcher un wack (wak, waque) : Lancer un cri» (p. 326).

Ça fait désordre.

 

Illustration : Edvard Munch, «Le cri», 1910, tableau déposé sur Wikimedia Commons

 

Références

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

Bernard, Christophe, la Bête creuse. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 14, 2017, 716 p.

Desjardins, Ephrem, Petit lexique de mots québécois à l’usage des Français (et autres francophones d’Europe) en vacances au Québec, Montréal, Éditions Vox Populi internationales, 2002, 155 p.

DesRuisseaux, Pierre, Trésor des expressions populaires. Petit dictionnaire de la langue imagée dans la littérature et les écrits québécois, Montréal, Fides, coll. «Biblio • Fides», 2015, 380 p. Nouvelle édition revue et augmentée.

Messier, William S., Dixie. Roman, Montréal, Marchand de feuilles, 2013, 157 p. Ill.

Les vacances, c’est du travail (1/2)

Les vacances de l’Oreille tendue n’étaient pas encore commencées que la démolition de sa cuisine, si. Bref, des rénovations étaient à l’ordre du jour.

Cuisine en rénovation, Montréal, juillet 2018

Des ouvriers ont reconstruit ce que l’Oreille et consorts avaient détruit. Résonnaient alors les mots habituels de la construction : chimer (son emploi paraît universel, et ses emplois tout autant), drill (certaines perceuses seraient plus «viriles» que d’autres, dit-on) ou gléser (rendre un mur lisse, comme dans to glaze).

Une épiphanie littéraire est née de ces rénovations : les nouveaux tiroirs de la cuisine sont montés sur des roulements Blumotion. Cela rend — enfin — compréhensible un passage du roman Un parc pour les vivants de Sébastien La Rocque (2017) :

Elle fera glisser pour eux ses tiroirs de cuisine à fermeture automatique de style shaker d’un blanc laqué immaculé, qui s’ouvrent et se ferment grâce à la technologie du Blumotion de Blum, tout doucement, c’est ça, le progrès, la vie et la façon de concevoir la cuisine et ses objets sont révolutionnés — plus personne ne claquera une porte dans un excès de colère; régnera l’harmonie, et la médication s’occupera des malheureux (p. 35).

En effet, la colère devra désormais s’exprimer ailleurs que sur les tiroirs.


L’Oreille connaissait cette expression : «On n’avait pourtant pas toujours la pédale dans le tapis» (Maxime Raymond Bock, les Noyades secondaires, p. 176). Autrement dit : à fond. Sur Twitter, elle en découvre une variante locale.


«Mais, au moment où je m’y attendais le moins, je mis la main sur une merveille, je devrais dire sur une difformité naturelle, très-rare à rencontrer. Conseil venait de donner un coup de drague, et son appareil remontait chargé de diverses coquilles assez ordinaires, quand, tout d’un coup, il me vit plonger rapidement le bras dans le filet, en retirer un coquillage, et pousser un cri de conchyliologue, c’est-à-dire le cri le plus perçant que puisse produire un gosier humain» (Jules Verne, Vingt mille lieues sous les mers, p. 175).

Même en vacances, l’Oreille reste tendue. Pas une seule fois, pourtant, elle n’a entendu le «cri de conchyliologue». Du moins, elle ne le croit pas, et ce n’est pas par manque de coquillages.


«Passaient aussi de grands chiens de mer, poissons voraces s’il en fut. On a le droit de ne point croire aux récits des pêcheurs, mais voici ce qu’ils racontent. On a trouvé dans le corps de l’un de ces animaux une tête de buffle et un veau tout entier; dans un autre, deux thons et un matelot en uniforme; dans un autre, un soldat avec son sabre; dans un autre enfin, un cheval avec son cavalier. Tout ceci, à vrai dire, n’est pas article de foi. Toujours est-il qu’aucun de ces animaux ne se laissa prendre aux filets du Nautilus, et que je ne pus vérifier leur voracité» (Jules Verne, Vingt mille lieues sous les mers, p. 315).

L’Oreille n’a pas non plus croisé de grand chien de mer. Pourtant, elle était à la mer. C’est là où elle a vu, sans pousser de cri, des coquillages.


Dans l’État de New York, certains motels annoncent qu’ils ont des chambres pour fumeurs («Smoking Rooms»). Fidèle à ses saines habitudes de vie, l’Oreille évite résolument de telles chambres. Elle exige toujours une «Drinking Room».


Dilemme du jour. Se trouver sur la bonne route et lire, à l’arrière du camion qui nous précède, «Do not follow.» Suivre ou ne pas suivre, arriver à destination ou pas, telle est la question.


Elle a beau être vacancière, l’Oreille n’hésite jamais à se porter au secours des phrases malades, celle-ci, par exemple :

Tweet, le Devoir, 23 juillet 2018«Le suspect est Faisal Hussain» aurait suffi, non ?

À votre service.


Des sources conjugales proches de l’Oreille tendue en sont convaincues : les restaurants états-uniens sont sous-éclairés. Qu’ont-ils donc à cacher ?


Dans une précédente location, c’était Gérard de Villiers. Cette année, c’est Roger Angell. On n’arrête pas le progrès.

Bibliothèque, maison de location, Cape Cod, juillet 2018


A-t-on une personnalité différente quand on change de langue ? Cela peut arriver. L’Oreille le constate ces jours-ci. (Non, elle ne parle pas d’elle-même.)


Publicité du jour, en bord de route : «Clean Rest Room. New Seat.» Voilà qui est bien tentant.


[À suivre]

 

Références

La Rocque, Sébastien, Un parc pour les vivants. Roman, Montréal, Le Cheval d’août, 2017, 167 p. Ill.

Raymond Bock, Maxime, les Noyades secondaires. Histoires, Montréal, Le cheval d’août, 2017, 369 p.

Verne, Jules, Vingt mille lieues sous les mers, Paris, J. Hetzel et cie, 1871, 436 p. Illustré de 111 dessins par de Neuville.