Néologisme estrien

Gilles Marcotte, le Manuscrit Phaneuf, 2005, couverture

Soit la phrase suivante, tirée du roman policier (façon de parler) le Manuscrit Phaneuf de Gilles Marcotte (2005) :

Il alla voir les villages de Melbourne et d’Ulverton, dont un ami lui avait déjà vanté les charmes vétéro-britanniques (p. 73).

«Vétéro-britanniques» ? Le préfixe renvoie à l’ancien, comme dans vétérotestamentaire (relatif à l’Ancien Testament). Britanniques rappelle que les Cantons-de-l’Est, où se trouvent, au sud de Montréal, Melbourne et Ulverton, sont des lieux de vieille implantation anglophone.

Que faut-il retenir de cet assemblage néologique ? La profondeur historique (l’Ancien Testament) ? L’histoire plus récente (les Britanniques) ? Leur union en un seul espace ? Le mariage de la Bible et de la couronne d’Angleterre, de la religion et de la politique, de l’hébreu et de l’anglais ? Tout cela ?

Saluons à tout le moins la pénétration du regard et le sens de la formule.

 

Référence

Marcotte, Gilles, le Manuscrit Phaneuf. Roman, Montréal, Boréal, 2005, 216 p.

Langue de puck et de Québec

Cet après-midi, l’Oreille tendue sera à Québec, au Musée de la civilisation, pour parler de la langue du hockey (renseignements ici).

Elle utilisera nombre d’exemples, notamment ceux qui suivent.

«Y a des finales jusqu’au mois d’mai» (Dominique Michel, «Hiver maudit : j’haïs l’hiver», chanson 1979).

«Béliveau purgeait une mineure sur le banc des punitions» (phrase citée par Jacques Bobet, «Chronique (sans ironie) sur la presse sportive française», p. 175).

«le gros 61 loge un boulet sous le biscuit du gardien» (Patrick Roy, la Ballade de Nicolas Jones, p. 187).

«La députée libérale Lucienne Robillard a annoncé hier qu’elle accrochait ses patins politiques» (le Devoir, 5 avril 2007).

Dans House of Cards, le personnage de Leann Harvey (Neve Campbell) «joue dur dans les coins de patinoire» (la Presse+, 10 mars 2016).

«Si la nature est ton amie, tu pognes un deux meunutes» (Erika Soucy, les Murailles, p. 30).

«C’était le tombeur de la poly, celui qui niaisait pas avec la puck pis qui t’amenait à son chalet c’était pas trop long» (Erika Soucy, les Murailles, p. 86-87).

«À une époque où les pucks étaient faites de crottin» (Loco Locass, «Le but», chanson, 2009).

«Vite, vite, qu’on en finisse avec ce centenaire qui a duré 100 ans. Leurs bras meurtris ne tendent plus le flambeau, ils nous assomment avec» (Yves Boisvert, la Presse, 4 décembre 2009).

«les fantômes ont failli» (Patrick Roy, la Ballade de Nicolas Jones, p. 16).

Claude Dionne, Sainte Flanelle, gagnez pour nous !, 2012.

«Jeu-questionnaire. Connaissez-vous votre flanelle ?» (la Presse+, 26 décembre 2015)

 

Références

Bobet, Jacques, «Chronique (sans ironie) sur la presse sportive française», Liberté, 57 (10, 3), mai-juin 1968, p. 175-187. https://id.erudit.org/iderudit/60373ac

Dionne, Claude, Sainte Flanelle, gagnez pour nous ! Roman, Montréal, VLB éditeur, 2012, 271 p.

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.

Roy, Patrick, la Ballade de Nicolas Jones. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 01, 2010, 220 p.

Soucy, Erika, les Murailles, Montréal, VLB éditeur, 2016, 150 p.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014), couverture

Les familles d’Erika Soucy

Erika Soucy, les Murailles, 2016, couverture

Il est beaucoup question de famille(s) dans les Murailles d’Erika Soucy (2016). Parlons-en familialement.

Fille. La narratrice, Erika Soucy, part quelques jours au campement des Murailles, près du chantier hydroélectrique Romaine-2, dans le nord du Québec, avec comme seule lecture un recueil de Denis Vanier. Elle va y retrouver son père, Mario, histoire d’essayer de comprendre pourquoi celui-ci a passé une partie de sa vie dans ce genre de lieu, éloigné volontairement de sa famille. Ils ont eu des relations difficiles : «Je pouvais pas laisser mon père comme on laisse son mari. J’ai pourtant essayé» (p. 143).

Père. Pourquoi Mario a-t-il choisi ce genre de vie contre la «vie d’en bas» (p. 137) ? Erika Soucy finit par le comprendre. Il a cherché hors du monde familial un «genre de quiétude, une facilité» (p. 148), une vie «commode, confortable même» (p. 149) — une mise à distance de la responsabilité.

Mère. Elle a longtemps toléré les absences et les frasques de Mario (drogue, alcool), puis plus. On n’en saura guère plus, sinon qu’il y a des choses que ses enfants, même adultes, doivent lui cacher : «Faut pas le dire à m’man ! Faut pas le dire à m’man !» (p. 132)

Frère. Homme des bois, il peut parler plus facilement à sa sœur qu’à son père.

Mari. Erika Soucy est poète. Or ce qu’elle donne à lire, ce ne sont pas des poèmes, mais un «journal» (p. 72), un «carnet» (p. 148) : «Tout te raconter dans mon carnet me permet de mettre des mots sur ce que ma poésie peut pas transmettre» (p. 78). Cela est adressé à un «tu», son mari, resté à Québec.

Enfant. Ce mari (ce «chum») s’occupe de leur fils d’un an, pendant que la narratrice est partie. Elle regrette de ne pas être là pour le premier anniversaire de son «gars», mimant ainsi en quelque sorte l’absence de son propre père.

Demi-sœur. À un moment, Mario a eu brièvement une nouvelle compagne, de l’âge d’Erika. Ensemble, ils ont eu une fille. «Il est devenu père et grand-père en dedans de huit mois, comme ça arrivait dans le temps, avec les familles nombreuses» (p. 50).

Grand-père. Lui aussi était homme de chantier : l’oncle Gérard, aussi présent aux Murailles, «enchaîne avec une histoire sur mon grand-père comme ça arrive tout le temps dans la famille quand on parle de construction» (p. 102). Ce grand-père aurait couché avec Alys Robi et il aurait été l’ami du Grand Antonio, l’homme qui tirait des autobus «avec ses cheveux» (p. 103-104).

Ancêtres (I). Le racisme envers les Amérindiens est fréquemment évoqué dans le «roman» (le mot est en couverture). La phrase «Y a pas d’ancêtres icitte» (p. 95) leur est destinée, mais on peut l’entendre plus généralement : le chantier est un lieu hors du temps et, par là, d’une certaine façon, hors de la filiation assumée.

Ancêtres (II). Racisme ou pas, parmi les aïeux d’Erika et de son frère, «de l’innu, on en a des deux bords» (p. 136), du côté maternel comme du paternel.

Beau-père. Il n’y a pas que le famille d’Erika Soucy dans les Murailles. Un des ouvriers du chantier aurait été — le conditionnel est de mise — le gendre de Jacques Brault. Le récit d’une beuverie chez ce poète (p. 57-58), avec Pauline Julien et Roland Giguère, est hautement comique (et improbable).

Langue maternelle. La langue d’Erika Soucy est fortement oralisée, pleine d’anglicismes et de régionalismes (l’adverbe «astheure», l’adjectif «chouenneux», le substantif «fait-ben», le groupe verbal «faire la job»), nourrie de jurons (dont un «criff», forme plus rare que d’autres). Dans sa famille, on parle le français québécois.

P.-S. — L’auteure a beau pratiquer une langue verte, elle sait que la locution conjonctive après que commande l’indicatif, non le subjonctif (p. 54, p. 136). On a des lettres ou on n’en a pas.

 

Référence

Soucy, Erika, les Murailles, Montréal, VLB éditeur, 2016, 150 p.

Le zeugme du dimanche matin et de Gilles Marcotte

Gilles Marcotte, le Poids de Dieu, 1962, couverture

«Il y a moins de six mois il était encore parmi les séminaristes, engouffrant avec la même componction la lecture spirituelle et le rôti, rêvant, entre le dessert et le café, d’une perfection qui serait dans le monde comme n’y étant pas…»

Gilles Marcotte, le Poids de Dieu, Paris, Flammarion, 1962, 218 p., p. 107.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Un portrait de Marc Denis

Gilles Marcotte, le Poids de Dieu, 1962, couverture

 

«Pourtant, ce soir-là, le premier moment d’exaltation passé, Claude avait senti que leur amitié ne résistait pas au temps. Seul Marc Denis continuait d’habiter la zone où ils s’étaient rencontrés. D’une intelligence brillante, travailleur infatigable, cultivé comme il n’est guère habituel dans son milieu, on l’avait affecté à l’enseignement au grand séminaire. Claude éprouvait un plaisant vertige à se laisser entraîner par lui d’un point à l’autre du vaste domaine intellectuel où Marc se mouvait avec une aisance prodigieuse. De saint Thomas à André Gide, de Platon à quelque théorie scientifique, c’étaient des rapports d’une rapidité fulgurante, établis par une intelligence jamais en repos. Mais, pour Claude, le point de saturation est venu plus tôt que d’habitude. Au grand séminaire, déjà, quand il baignait dans une atmosphère d’intense ferveur théologique, il lui arrivait d’être lassé par la haute voltige de Marc Denis. Maintenant, le fil est coupé» (p. 63-64).

P.-S. — On ne confondra pas ce Marc Denis, personnage d’un roman de Gilles Marcotte, le Poids de Dieu, paru en 1962, avec l’ex-cerbère de la Ligue nationale de hockey qui porte le même nom.

 

Référence

Marcotte, Gilles, le Poids de Dieu, Paris, Flammarion, 1962, 218 p.