Dictionnaire des séries 10

Au hockey, il est une façon par excellence de prouver sa détermination et son dévouement : il suffit de manger les bandes. Attention : il faut que ce soit un choix; il faut vouloir soi-même manger les bandes.

Si l’adversaire vous les fait manger, ça risque d’être la cata. Réjean Ducharme, dans Gros mots (1999), l’a bien vu : «Julien est sorti chercher des billets pour la partie, on joue contre les Bruins, qui vont nous faire manger les bandes, entre deux élans de Bobby Orr, s’il tient encore debout sur son malheureux genou, même s’il ne le gêne pas quand il vole…» (p. 271).

Qu’en sera-t-il ce soir entre les Canadiens de Montréal et les Sénateurs d’Ottawa ? Une chose est sûre : la table est mise.

 

[Complément du 5 février 2014]

Les 57 textes du «Dictionnaire des séries» — repris et réorganisés —, auxquels s’ajoutent des inédits et quelques autres textes tirés de l’Oreille tendue, ont été rassemblés dans le livre Langue de puck. Abécédaire du hockey (Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p., illustrations de Julien Del Busso, préface de Jean Dion, 978-2-923792-42-2, 16,95 $).

En librairie le 5 mars 2014.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014)

 

Référence

Ducharme, Réjean, Gros mots. Roman, Paris, Gallimard, 1999, 310 p.

Portrait louche du jour

 Jean Echenoz, Lac, 1989, couverture

«Le soir venu, après le dîner, [Chopin] fit la connaissance du docteur Belsunce, homme strabique et vif qui avait au bar sa bouteille à son nom. Son ample costume bleu pétrole et son nœud papillon marine qui pendait également semblaient avoir été volés dans les vestiaires d’orchestres de danse concurrents, et le ruban vert à sa boutonnière ne commémorait rien de connu de Chopin. Derrière ses lunettes à monture épaisse, seul son œil droit très aiguisé, sévère ou farce selon les cas, restait posé sur vous pendant que le gauche allait s’asseoir ailleurs, empreint d’une expression de patience candide, confiante, absente, comme une épouse distraite qui n’écouterait jamais ce que le docteur disait.»

Jean Echenoz, Lac. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 1989, 188 p., p. 117.

Dictionnaire des séries 03

Julie Snyder et Maurice Richard

«Ça sent la coupe.»

C’est le titre d’un roman de Matthieu Simard (2004), où la phrase est reprise une quinzaine de fois, sous des formes diverses.

Ce devrait être le nom d’un salon de coiffure près du Centre Bell.

C’est surtout l’expression de la croyance en la conquête nécessairement montréalaise de la coupe Stanley, le trophée remis au champion de la Ligue nationale de hockey, la «Coupe sacrée» chantée par Annakin Slayd en 2009, le «Graal» de Loco Locass (2009). À ce titre, c’est une des formes de la pensée positive.

C’est plus souvent encore le rappel d’une déception dans «la capitale d’la coupe Stanley» (Éric Lapointe) : «Ça sentait la coupe.»

 

[Complément du 5 février 2014]

Les 57 textes du «Dictionnaire des séries» — repris et réorganisés —, auxquels s’ajoutent des inédits et quelques autres textes tirés de l’Oreille tendue, ont été rassemblés dans le livre Langue de puck. Abécédaire du hockey (Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p., illustrations de Julien Del Busso, préface de Jean Dion, 978-2-923792-42-2, 16,95 $).

En librairie le 5 mars 2014.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014)

 

Références

Lapointe, Éric, «Hymne à Montréal (Ville-Marie)», la série Montréal-Québec – Single, 2010, 4 minutes 13 secondes.

Loco Locass, «Le but», 2009, 5 minutes 8 secondes, fichier audionumérique. Repris sur Le Québec est mort, vive le Québec, 2012, étiquette Audiogramme.

Simard, Matthieu, Ça sent la coupe. Roman, Montréal, Stanké, 2004, 270 p. Rééd. : Montréal, 10/10, 2008, 256 p.

Slayd, Annakin, «La 25ième», 2009, 3 minutes 32 secondes, single, étiquette Untimely Ripped Ent. SDTHE101.

Lacàlépaule

Hier, sur Twitter, s’agissant d’un témoignage devant la Commission (québécoise) d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction, communément appelée Commission Charbonneau, du nom de la juge qui la préside, ceci :

En gros, Roche payait les vacances et les lacs à l’épaule des maires en retraite fermée à Pointe-au-Pic. #ceic (@brianmyles).

Lacs à l’épaule ?

En septembre 1962, le Parti libéral du Québec décida de convoquer des élections anticipées lors d’une réunion tenue dans un chalet sur les rives du lac à l’Épaule, dans les Laurentides, au nord de Québec.

Depuis, le lac-à-l’épaule désigne une sorte de sommet intime, généralement tenu dans les régions.

Remarque. Malgré la recommandation de l’Office québécois de la langue française («lac-à-l’épaule», sans guillemets), la graphie n’est pas tout à fait fixée.

«Un Lac à l’Épaule pour la mise en réseau du gouvernement ?» (Techno sciences, 29 avril 1998).

«Louis Lalande a récemment tenu un “lac-à-l’épaule”» (la Presse, 26 mai 2004, cahier Arts et spectacles, p. 1).

 

[Complément du 24 juillet 2015]

Il existe quelque chose de semblable en France : le Grenelle. «Par antonomase, un Grenelle est dans le langage médiatique français — par facilité politique et journalistique, puis par mimétisme — un débat réunissant des représentants du gouvernement et d’associations professionnelles et/ou d’ONG, portant sur un thème spécifique et visant à légiférer ou à prendre position. La lexicalisation, plus ou moins admise, du terme est le fruit d’une ellipse stylistique : “Les accords de la rue de Grenelle” => “Les accords de Grenelle” => “Le Grenelle”» (Wikipédia).

 

[Complément du 17 octobre 2016]

À l’automne 2016, l’Association des professionnels de congrès du Québec lançait, numériquement, son Vocabulaire du tourisme d’affaires. Définition du «lac-à-l’épaule (n. m.)» : «Rencontre importante non publicisée et tenue à huis clos, hors du milieu de travail, normalement dans un lieu retiré.»

 

[Complément du 12 février 2017]

Une occurrence romanesque ? «Lac-à-l’épaule : expression désignant, au Québec, un séjour de brassage d’idées, de ressourcement et de planification stratégique entrepris par un groupe d’individus dans un lieu isolé» (Louis Hamelin, Autour d’Éva, p. 284). À votre service.

 

Référence

Hamelin, Louis, Autour d’Éva. Roman, Montréal, Boréal, 2016, 418 p.

Dictionnaire des séries 02

Tatouage, flambeau, Canadiens de Montréal

Comment reconnaître un vrai partisan des Canadiens de Montréal ? À une époque, c’était facile : il avait le CH tatoué sur le cœur.

Les artistes connaissent bien cette métaphore. Le poème «Canadien» (1991) de Bernard Pozier contient ces vers : «et cet emblème aux deux lettres entrecroisées / que l’on dit tatoué sur le cœur» (p. 11). Dans les Taches solaires (2006), Jean-François Chassay a la même formule pour caractériser un de ses «Jean Beaudry» : «le sigle du Canadien tatoué sur le cœur» (p. 345).

Clark Blaise abandonne la métaphore. Dans sa nouvelle «I’m Dreaming of Rocket Richard» (1974), le narrateur se souvient que son père s’était fait tatouer une scène de hockey dans le dos : «The tattoo pictured a front-faced Rocket, staring at an imaginary goalie and slapping a rising shot through a cloud of ice chips» («Le tatouage représentait le Rocket vu de face, dévisageant un gardien imaginaire et tirant sur lui dans un nuage d’éclats de glace», p. 69).

Aujourd’hui, si l’on doit en croire Réal Béland, cela ne suffit plus. Écoutez sa chanson «Hockey bottine» (2007) : «Tout l’monde dans l’temps avait l’CH tatoué / Ç’a ben changé / C’est dans nos mam’lons qu’i est percé.»

Autres temps, autres mœurs.

 

[Complément du 3 mai 2013]

Il existe nombre de chansons consacrées au hockey. Le jour même où l’Oreille tendue publiait le texte qui précède, Les jumeaux Tadros en lançaient une, «La game (go)». Sur YouTube, où on peut l’entendre, on affirme qu’il s’agit de «La chanson Officielle des séries éliminatoires de Hockey» (majuscules certifiées d’origine). On y trouve l’expression «le hockey tatoué su’l cœur». Le monde du hockey est petit.

 

[Complément du 5 février 2014]

Les 57 textes du «Dictionnaire des séries» — repris et réorganisés —, auxquels s’ajoutent des inédits et quelques autres textes tirés de l’Oreille tendue, ont été rassemblés dans le livre Langue de puck. Abécédaire du hockey (Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p., illustrations de Julien Del Busso, préface de Jean Dion, 978-2-923792-42-2, 16,95 $).

En librairie le 5 mars 2014.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014)

 

Références

Béland, Réal, «Hockey bottine», Réal Béland Live in Pologne, 4 minutes, disque audionumérique, 2007, étiquette Christal Musik CMCD9954.

Blaise, Clark, «I’m Dreaming of Rocket Richard», dans Tribal Justice, Toronto, General Publishing Co. Limited, coll. «New Press Canadian Classics», 1984, p. 63-72. Édition originale : 1974.

Chassay, Jean-François, les Taches solaires. Roman, Montréal, Boréal, 2006, 366 p. Ill.

Pozier, Bernard, Les poètes chanteront ce but, Trois-Rivières, Écrits des Forges, coll. «Radar», 60, 1991, 84 p. Ill. Réédition : Trois-Rivières, Écrits des Forges, 2004, 102 p.