Citation transatlantique du jour

Danielle Phaneuf, la Folle de Warshaw, 2004, couverture«Un Français l’avait larguée pour des raisons grammaticales. Scandalisé par sa parlure, il lui reprochait, ainsi qu’à l’ensemble des Québécois, son inaptitude à accorder les compléments d’objet direct avec l’auxiliaire avoir. Désaccordée, la Folle avait rompu les relations franco-québécoises en quittant brusquement la couche de l’académicien.»

Danielle Phaneuf, la Folle de Warshaw. Roman, Montréal, Marchand de feuilles, 2004, 193 p., p. 78.

Géographie urbaine

Il n’y a pas que le Plateau Mont-Royal dans la vie (montréalaise). Il y a aussi Notre-Dame-de-Grâce.

Ce quartier est souvent désigé par les lettres NDG prononcées à l’anglaise : enne-di-dji. C’est plus à l’Ouest, plus anglophone — et nettement plus exotique. La narratrice de Flora Balzano l’a bien vu : «Elle habitait N’Didji — ça m’avait plu. Ça me rappelait mon pays» (p. 97). Ce pays ? L’Algérie.

 

[Complément du 26 septembre 2015]

Il fut un temps où certains prétendaient que «NDG» signifiait «No Damn Good». À l’ère du hipster, on peut se demander s’il ne renvoie pas plutôt à «No Damn Gluten».

 

[Complément du 6 février 2016]

Version illustrée et romanesque (à paraître).

Nathalie Petrowski, Un été à NDG, 2016, couverture

(Merci à @revi_redac.)

 

[Complément du 24 juin 2019]

L’environnement est moins exotique dans le Suzanne Travolta d’Élisabeth Benoit (2019) :

Je suis entré dans à peu près toutes les maisons de la rue Oxford entre Côte-Saint-Antoine et Notre-Dame-de-Grâce, c’était partout pareil, toutes les maisons étaient en ordre. Les gens avaient un peu d’argent, ils avaient tous une femme de ménage, les maisons étaient en ordre, c’était comme ça (p. 74).

 

[Complément du 6 septembre 2019]

L’exotisme de François Hébert, dans Miniatures indiennes (2019), n’est pas celui de Flora Balzano : «Amis indiens [entendre : de l’Inde], c’est au Canada, à Montréal. Vous diriez probablement Enndidji» (p. 23).

 

[Complément du 16 mai 2023]

Publicité d’une agence immobilière locale : «Nid Douillet Garanti.»

 

Références

Balzano, Flora, Soigne ta chute, Montréal, XYZ, coll. «Romanichels», 1991, 120 p.

Benoit, Élisabeth, Suzanne Travolta. Roman, Paris, P.O.L, 2019, 251 p.

Hébert, François, Miniatures indiennes. Roman, Montréal, Leméac, 2019, 174 p.

Petrowski, Nathalie, Un été à No Damn Good, Montréal, Boréal, 2016, 288 p.

Du huard

Un huard, le dollar canadien

Au Canada, on connaît deux huards. Le premier vole : il s’agit du plongeon arctique. (Plongeon ? «Oiseau palmipède [gaviiformes], de la taille du canard, nichant près de la mer», dixit le Petit Robert, édition numérique de 2007.) Le second sonne et trébuche : un dessin de huard étant gravé sur la pièce de monnaie valant un dollar, on appelle celle-ci, par métonymie, un huard.

Avec le deuxième sens, les journalistes s’en donnent à cœur joie.

Comme le huard est un oiseau, il monte et il descend.

«Le huard plombé par le brut» (la Presse, 13 mai 2005, cahier Affaires, p. 6).

«Spectaculaire plongeon du huard» (la Presse, 24 janvier 2004, cahier Affaires, p. 1).

«Le huard bondit de nouveau» (la Presse, 10 janvier 2004, cahier Affaires, p. 1).

«L’appétit de la Russie fait grimper le huard» (la Presse, 26 novembre 2009, cahier Affaires, p. 1).

Il lui arrive d’être «boiteux» (la Presse, 9 février 2002). On se fait du souci pour lui : «Les banques s’inquiètent de la solidité du huard» (le Devoir, 20 janvier 2005, p. B3). Tout cela est heureusement temporaire : «Le huard reprend des forces pour l’été» (la Presse, 28 mai 2004, cahier Affaires, p. 1).

On lui prête parfois des intentions bien humaines : «Le huard n’aime pas la politique» (la Presse, 15 novembre 2005, cahier Affaires, p. 1); «Le huard hésitant avant l’annonce de la Banque du Canada» (la Presse, 10 septembre 2009, cahier Affaires, p. 5).

Il est souvent source de maux divers.

«Le huard fera mal à la reprise» (le Devoir, 21 octobre 2009, p. B1).

«Le huard commence à faire mal» (la Presse, 4 décembre 2004).

«Le huard est “très pénalisant” pour le secteur forestier» (la Presse, 15 décembre 2004, cahier Affaires, p. 5).

Peu importe : «Le huard épate les cambistes» (la Presse, 10 mars 2010, p. 9).

C’est épatant, en effet.

 

[Complément du jour]

Un lecteur de l’Oreille tendue lui fait remarquer, dans le même ordre d’idées, que personne, dans la vie courante, ne parle de «huard». C’est de la langue de journaliste.

 

[Complément du 8 octobre 2021]

Il est peu commode de transporter cent huards dans sa poche. Le billet de cent dollars est plus pratique : à cause de sa couleur, «Les Québécois appellent ça un brun» (Mille secrets mille dangers, p. 70).

 

Référence

Farah, Alain, Mille secrets mille dangers. Roman, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 161, 2021, 497 p.

De l’attraction linguistique

François Blais, Vie d’Anne-Sophie Bonenfant, 2009, couvertureL’Oreille tendue a déjà signalé les vertus pédagogiques et cognitives de Vie d’Anne-Sophie Bonenfant. Un dernier mot sur ce roman de François Blais, s’agissant cette fois de ce que les linguistes appellent le code-switching.

Soit les deux phrases suivantes : «Quand les dieux vont apprendre la chose, ça gonna chier, c’est clair» (p. 78); «on avait brainstormé fort» (p. 83).

La seconde suppose une connaissance minimale de l’anglais (son brainstorm transformé en participe passé français), mais la syntaxe est transparente.

La première est plus étonnante : dans le ça gonna, il faut entendre it’s gonna (it’s going to). Cet emploi du futur proche pousse un cran plus loin l’attraction linguistique.

Un cran trop loin, diront certains.

 

Référence

Blais, François, Vie d’Anne-Sophie Bonenfant. Roman, Québec, L’instant même, 2009, 241 p.

Le verbe de la connaissance

François Blais, Vie d’Anne-Sophie Bonenfant, 2009, couverture

Fourrer, au Québec, a tous les sens qu’on lui donne en français hexagonal. De surcroît, un usage, jugé familier dans le Petit Robert, et un que ne décrit pas ce dictionnaire y sont fréquemment attestés, et les deux concernent une forme de connaissance.

Il y a se fourrer au sens de se tromper. Exemple tiré de la Vie d’Anne-Sophie Bonenfant, roman dont l’Oreille tendue parlait hier : «Bon, faut croire que c’est un souvenir fabriqué, ou plutôt des souvenirs superposés, genre que je me fourre entre deux gâteaux […]» (p. 67). La mémoire paraît confondre deux gâteaux. Sa connaissance n’est pas solide.

Et il y a le sens familier évoqué plus haut : fourrer est alors synonyme de la connaissance dite biblique (Gn 4:1).

Il ne faut pas confondre.

 

[Complément du 15 octobre 2016]

Les narratrices du recueil de nouvelles Des femmes savantes de Chloé Savoie-Bernard (2016) aiment beaucoup ce verbe en son deuxième sens. Elles emploient aussi un substantif que ne connaissait pas l’Oreille tendue pour désigner les occasions où on le pratique : «On jouissait comme des cochons. À la fin de nos fourres, on se donnait des high five, on se félicitait» (p. 37). C’est noté.

 

[Complément du 18 mars 2020]

Qui est digne de fourrer, ou de l’être, est évidemment fourrable — ou pas : «anyway je ne suis pas fourrable ces temps-ci, je ne suis pas sortable, je ne suis pas grand-chose» (la Morte, p. 13).

 

Références

Arsenault, Mathieu, la Morte, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 141, 2020, 131 p.

Blais, François, Vie d’Anne-Sophie Bonenfant. Roman, Québec, L’instant même, 2009, 241 p.

Savoie-Bernard, Chloé, Des femmes savantes. Nouvelles, Montréal, Triptyque, 2016, 120 p.