«— …Il est complètement abruti… avait dit l’avocat.
Donadieu était persuadé que ce n’était pas vrai. Il essayait de comprendre, de se mettre à la place de Lagre, qui était là, isolé de tous les autres, du reste du monde, moins encore par une barrière que par l’incompréhension.»
Simenon, Touriste de bananes ou Les dimanches de Tahiti, dans Tout Simenon 21, Paris et Montréal, Presses de la Cité et Libre expression, coll. «Omnibus», 1992, p. 273-381, p. 356. Édition originale : 1938.
«Dehors il y eut un coup de sonnette. Lara tendit l’oreille. Quelqu’un quitta la table pour ouvrir. C’était Nadia ! Lara se précipita à sa rencontre. Nadia débarquait juste du train, toute fraîche, adorable et comme embaumée par le muguet de Douplianka. Les deux amies restaient là, incapables de prononcer un mot, en larmes, elles s’étreignaient et manquèrent presque de s’étouffer.»
Boris Pasternak, le Docteur Jivago, Paris, Gallimard, coll. «Folio», 7503, 2025, 800 p., p. 138. Nouvelle traduction d’Hélène Henry.
(Le hockey est partout dans la culture québécoise et canadienne. Les chansons sur ce sport ne manquent pas, plusieurs faisant usage de la langue de puck. Petite anthologie en cours. Liste d’écoute disponible sur Spotify. Suggestions bienvenues.)
Oh c’était en 1986 le Canadien v’nait d’la gagner en six
Cont’ les Flames de Calgary
Moi j’ai huit ans et demi pis chus assis dans l’divan avec mon père
J’bois mon 7up et pis lui y boit sa bière
Pis on est ben ben contents ouin on vit on vit des grands moments
Le Canadien ramène la coupe à Montréal
Les gars ça l’a des moustaches
Ça joue au hockey avec du cœur comme ça se voit pus pantoute aujourd’hui
C’est écœurant y a même Bobby Smith entre la première pis la deuxième
Qui parle à Lionel Duval pis qui dit :
«Ah ! c’est difficile ! Ah ! c’est difficile !»
Y a Mats Naslund le p’tit Viking le numéro 26
Pogne la puck fait l’tour du Forum avec
Pis y s’en va t’la t’la crisser dans l’net
Y a Patrick Roy dans l’temps qui a un beau nez drette
Et pis des belles pads brunes
Larry Robinson les piliers Mike McPhee
Brian Skrudland Ryan Walter
Anyway c’est ce soir-là qu’j’ai d’mandé à mon père
C’que j’avais toujours toujours toujours rêvé d’avoir
J’ai dit : «Eille popa qu’est-ce tu dirais de d’ça d’m’achter une belle guitare ?»
Y dit : «Fait là tit-gars ça c’est juste pour les drogués
Viens-t-en au Rona m’a aller t’acheter un criss de beau hockey»
J’ai dit : «Wowowowo youpi youpi papa !»
Oh six ans plus tard j’ai 14 ans 3/4 pis chus assis encore dans l’divan tranquille
Et mon père vient m’voir y dit :
«Eille Vincent qu’est-ce tu fais là ?»
J’dis : «Héhéhéhéhé»
Y dit : «Eille Vincent qu’est-ce tu fais là ?»
J’ai dit : «Hihihihihi»
Y dit : «Eille Vincent qu’est-ce tu dirais de d’ça avoir une belle guitare ?
Me semble qu’ça t’changerait un peu ’es idées»
J’ai dit : «Ok ! Ok !»
Y dit : «Viens-t-en tit-gars on s’en va au Rona
M’a aller te gosser te taponer une belle guitare dans le bois»
J’ai dit : «Wowowowowowo youpi youpi papa !»
P.-S.—Le narrateur du roman Ça sent la coupe (2003), de Matthieu Simard, écoute beaucoup cette chanson :
Et moi dans tout ça ? Moi rien. Je regarde presque tous les jours la fissure dans le mur, j’ai des amis fuckés, je ne comprends pas toujours ce qui se passe, mais je vous le raconte pareil, j’écoute le dernier album de Vincent Vallières sans arrêt, vraiment sans arrêt, surtout Blues Baby, et aussi la dernière toune, qui parle de hockey, de 1986, de Mats Naslund et de Bobby Smith, les souvenirs, petits et grands, proches et éloignés, et je pense beaucoup, c’est ça que je fais, je pense beaucoup, trop peut-être, et c’est une estie de longue phrase, ça (p. 132).
Au hockey, les gardiens de but — les cerbères, en langue de puck — sont souvent des êtres à part. Parmi ceux-ci, Jacques Plante ne donnait pas sa place : il était connu tant pour avoir imposé le port du masque chez ses confrères que pour ses excentricités (il tricotait, il souffrait d’étranges troubles respiratoires, il lisait, etc.).
On lui attribue une excellente synthèse de ce qu’il faisait pour gagner sa vie : «À quel point aimeriez-vous un métier où chaque fois où vous faites une erreur, une grosse lumière rouge s’allume et 18 000 personnes vous huent ?»
Le narrateur du roman Saved (2007) de Jack Falla admire Plante : «Anyone who ever plays goals owes something to Jacques Plante, the most important goaltender of all time» (p. 73). Au «plus important gardien de tous les temps», il va même emprunter sa phrase peut-être la plus célèbre : «I wonder how they’d like it if every time they made a mistake at work a red light went on and people booed» (p. 178).
On n’emprunte qu’aux riches.
Références
Falla, Jack, Saved. A Novel, New York, Thomas Dunne Books, St. Martin’s Press, 2007, ix/276 p.
«Puis l’idée saugrenue qu’il puisse s’agir de rôdeurs, de voleurs, de vandales, lui avait traversé l’esprit, et elle avait encore crié à l’aide de sa voix devenue rauque, s’écorchant la gorge comme elle s’écorchait les chevilles, à l’aide ! cassez les vitres, défoncez la porte, je vous en prie, préférant se trouver face à des truands que d’avoir à affronter Hank Simard. Et Charlie, voyant bien que sa mère s’adressait à quelque présence anonyme, s’était jointe à elle, de sa voix d’enfant devenue rauque aussi, au secours ! au secours ! puis elles avaient tendu l’oreille, la mère et la fille, espérant entendre revenir les pas, mais elles n’avaient perçu que le bruit de la pluie s’égouttant des arbres sur le toit.»