L’oreille tendue de… Arnaldur Indridason

Arnaldur Indridason, le Roi et l’horloger, éd. de 2023, couverture

«Ils discutèrent ainsi de menus détails jusqu’à ce que, fatigué, Olafur déclare qu’il avait besoin de dormir. Il était tard, Davíd prit congé, sortit dans la cour et fit le tour de la maison, constatant qu’il devrait remettre en état un certain nombre de choses. Puis il se dirigea vers la bergerie et les hangars et vit qu’eux aussi nécessitaient des travaux de réfection. Il entendit une voix chantonner dans la bergerie, s’arrêta et tendit l’oreille. Quelqu’un chantait des couplets rimés, des rimur, il entra et vit un homme assis à côté d’une botte de foin, les mains attachées par des fers. Il présuma qu’il s’agissait de Sigurdur de Geirseyri, le condamné à mort du bailli.»

Arnaldur Indridason, le Roi et l’horloger, Paris, Métailié, coll. «Bibliothèque nordique», 2023, 315 p., p. 202. Traduction d’Éric Boury. Édition originale : 2021.

Qu’on se le magne !

Fromage Déguédine !, emballage

S’agissant de fromage, l’Oreille tendue, il y a jadis naguère, annonçait qu’il lui faudrait bien, un de ces jours, se pencher sur déguédine. Ce jour est arrivé.

Soit les quatre phrases suivantes :

«Calmez-vous, calmez-vous, comment ça, me calmer ? Toi, fais ta job de 911 pis déguédine, si j’étais calme, madame, je serais pas normalement constituée» (Venir au monde, p. 30).

«Laisse faire, on va protéger la tienne ! Viens-t’en, passe en avant, déguédine ! lui cria Lalonde» (Atavismes, p. 173).

«Enwèye, dégéduine» (publicité).

«Déguédine Dan déguédine Dan Dan comme Zinédine Zidane» (Loco Locass, «Groove Grave», Amour oral, 2004).

Déguédine, donc, du verbe déguédiner. Il s’agit, dans le français populaire du Québec, d’une injonction de mouvement : allez, hop ! On se grouille !

Phonétiquement (façon de parler), Pierre Corbeil propose «Dziguédzine» (p. 131). De même, Léandre Bergeron connaît aussi bien «déguédine» que «diguidine» (p. 91).

Quelle serait l’étymologie de ce mot ? Sur Twitter, en 2019, on proposait ceci : «“Déguédine” vient de l’anglais “dig it in”. Ordre du foreman au bûcheron pour dégager un arbre avant de le couper.» En 2022, Gabriel Martin est bien sceptique devant cette explication : «Elle semble donc inventée de toutes pièces» (p. 32). Mais alors ? «Sans qu’on puisse l’affirmer avec fermeté, il se pourrait que ce mot puise ses origines dans la vocalisation onomatopéïque diguedaine à laquelle recouraient fréquemment les chansons populaires d’autrefois» (p. 32).

Depuis peu, ce verbe, employé «surtout à l’impératif», se trouve dans la nomenclature du dictionnaire le Robert; voir ici.

À votre service — et plus vite que ça !

 

[Complément du 23 novembre 2024]

La forme réfléchie est attestée : «Il faut que le ministre de l’Éducation Bernard Drainville se déguédine» (la Presse+, 23 novembre 2024).

 

Références

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise précédé de la Charte de la langue québécoise. Supplément 1981, Montréal, VLB éditeur, 1981, 168 p.

Bock, Raymond, Atavismes. Histoires, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 03, 2011, 230 p.

Corbeil, Pierre, Canadian French for Better Travel, Montréal, Ulysse, 2011, 186 p. Ill. Troisième édition.

Martin, Gabriel, «L’origine du québécisme déguédiner », Histoire Québec, 28, 1, 2022, p. 32-33.  https://id.erudit.org/iderudit/100334ac

Olivier, Anne-Marie, Venir au monde, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 14, 2017, 101 p. Précédé d’un «Mot de la metteure en scène», Véronique Côté. Suivi de «Contrepoint. Tenir bon», par Catherine-Amélie Côté

L’oreille tendue de… Ragnar Jónasson

Ragnar Jónasson, Dix âmes, pas plus, 2022, couverture

«Allongée sur le canapé, elle sentait son cœur s’emballer dans sa poitrine. Jamais elle ne parviendrait à retrouver le sommeil, elle n’en avait même pas envie. Frissonnant, elle tendit la main vers sa couverture restée au sol, craignant presque que quelqu’un saisisse son bras au passage, puis elle l’étala sur elle pour se réchauffer.
Elle ferma les yeux.
Tendit l’oreille.
Les battements de son cœur, les craquements de la maison et le souffle du vent dehors se joignaient en un capharnaüm étourdissant. À cet instant, elle était presque reconnaissante pour la tempête qui s’était levée, car celle-ci dissimulait les autres sons émis par les ténèbres.»

Ragnar Jónasson, Dix âmes, pas plus, Paris, Éditions de La Martinière, 2022, 344 p., p. 202-203. Édition originale : 2019. Traduction de Jean-Christophe Salaün.