Du travail, en mineur

 

Affichette «Help Wanted»

Nous avons déjà croisé, dans des épisodes antérieurs de nos aventures (ici et ), la job — au Québec, au féminin.

Le mot n’est pas particulièrement connoté : «C’est sa job» ne contient pas de jugement implicite sur la nature du travail évoqué.

En revanche, jobine n’est jamais mélioratif.

«Jakob le vaurien se pointa calmement quelque quinze minutes après avoir reçu le coup de fil de Jacqueline. Faut dire qu’il n’avait ni travail régulier ni passion le retenant, ni chez lui ni ailleurs, alors quand le chef le convoquait, il pouvait supposer que peut-être il y aurait pour lui une petite jobine ou au moins une anecdote croustillante à se mettre sous la dent» (Chroniques de Kitchike, p. 128).

«La plupart d’entre nous avaient des parents qui cumulaient plusieurs jobines, et d’autres étaient dans des milieux illégaux» (Montréal-Nord, p. 87).

La différence entre la job (le travail, l’emploi) et la jobine est nette.

«Cet emploi m’apportait un revenu peu spectaculaire mais régulier, que je complétais par diverses jobines de révision, lot habituel des littérateurs désœuvrés» (le Continent de plastique, p. 234).

«Parmi mille et une jobines usantes et mal payées qu’ils ont dû se taper au fil des années, [mes parents] ont subsisté en faisant, en plus de leurs emplois de jour, le ménage dans une banque» (Là où je me terre, p. 70).

«Mais j’aimais tellement sortir et découvrir de nouvelles tanières que j’ai fini par lâcher mes jobs de bar pour les remplacer par des jobines de jour à gauche et à droite» (les Racines secondaires, p. 36).

«Enseigner était mon premier vrai travail. Après des années de pige, de jobines, de combines et d’expédients, j’entrais dans ma trentaine avec une vie tranquille et, tous les deux jeudis, je recevais une paie qui comprenait des cotisations et des assurances» (Cabale, p. 15).

Dans le Supplément 1981 à son Dictionnaire de la langue québécoise, Léandre Bergeron choisit la graphie jobbine («(pron. djobine). n.f. — Emploi peu intéressant et peu payant. — Emploi temporaire ou sporadique», p. 114), avec deux b. On ne voit pas bien pourquoi.

La jobine est le contraire de la «job steady» (régulière) et du «bon boss» (patron), jadis vantés (ironiquement) par Yvon Deschamps.

P.-S.—En effet, «petite jobine» (Chroniques de Kitchike, p. 128) paraît pléonastique.

 

Références

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise précédé de la Charte de la langue québécoise. Supplément 1981, Montréal, VLB éditeur, 1981, 168 p.

Dawson, Caroline, Là où je me terre. Roman, Montréal, Éditions du remue-ménage, 2022, 201 p. Édition originale : 2020.

Delisle, Michael, Cabale. Roman, Montréal, Boréal, 2023, 124 p.

Fortier, Vincent, les Racines secondaires. Roman, Montréal, Del Busso éditeur, 2022, 182 p. Ill.

Mazza, Mariana, Montréal-Nord, Montréal, Québec Amérique, coll. «QA récit», 2022, 204 p.

Picard-Sioui, Louis-Karl, Chroniques de Kitchike. La grande débarque. Nouvelles, Wendake, Éditions Hannenorak, 2021, 173 p. Édition originale : 2017.

Turgeon, David, le Continent de plastique. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Écho», 16, 2017, 298 p. Édition originale : 2016.

Agilité bienvenue

Pièce de dix cents du Canada

L’autre jour, l’Oreille tendue présentait une publicité du gouvernement du Québec pour la fête nationale. Elle notait alors qu’elle n’avait pas encore parlé de l’expression populaire sur un dix cents. Corrigeons cela.

Qui se retourne / se revire / arrête / freine sur un dix cents est particulièrement agile, prompt, réactif. Celle-là est la plus petite des pièces de monnaie canadienne : qui réussit à s’y mouvoir rapidement et efficacement est habile.

La prononciation dix cennes paraît plus usuelle que dix cents. C’est aussi ce que pense le romancier Christophe Bernard : «Les motoneigistes ont freiné sur des dix cennes» (p. 517).

À votre service.

 

[Complément du jour]

La pièce de dix cennes vaut dix sous, d’où, aussi, se retourner / se revirer / arrêter / freiner sur un dix sous.

 

Référence

Bernard, Christophe, la Bête creuse. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 14, 2017, 716 p.

Le baptême qui ne saurait attendre

Marc-André Dufour-Labbé, La soif que j’ai, 2024, couverture

Soit la phrase suivante, tirée du roman La soif que j’ai (2024) : «Accouche, qu’on le baptise» (p. 125).

Dans le français populaire du Québec, cette expression marque l’impatience : quelqu’un prend trop de temps pour arriver à l’essentiel; cette personne devrait se dépêcher.

À votre service.

P.-S.—À vue d’Oreille, la forme «Accouche, qu’on baptise» (sans «le») paraît plus courante, voire, plus sobrement encore, «Accouche».

 

Référence

Dufour-Labbé, Marc-André, La soif que j’ai. Roman, Montréal, Le Cheval d’août, 2024, 139 p.

Le zeugme du dimanche matin et de François Hébert

François Hébert, Histoire de l’impossible pays, 1984, couverture

«On rapporta ses propos, ainsi que ses bras et ses jambes au roi. On enterra l’Ouaaa, son tronc dans un cercueil ordinaire, ses membres dans quatre petits coffres faits sur mesure et disposés de part et d’autre du plus grand.»

François Hébert, Histoire de l’impossible pays. Nommé Kzergptatl, de son roi Kztatzk premier et dernier et de l’ennemi de celui-ci le sinistre Hiccope 13 empereur du Hiccopiland. Roman, Montréal, Primeur, coll. «L’échiquier», 1984, 187 p., p. 83.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

L’oreille tendue de… Pierre Roberge

Pierre Roberge, le Dernier Rayon sur la gauche, 2024, couverture

«La bibliothèque est à peu près vide en ce début d’après-midi. L’animation reprendra de plus belle à la fin des classes. C’est sans doute la raison pour laquelle, dans ce silence relatif, l’ouverture de la porte principale attire notre attention. Sa fermeture feutrée est suivie d’un bruit lancinant de roues mal huilées et d’un amas de ferraille qui s’approche. Winnie et Tigrou tendent immédiatement l’oreille. J’ai l’impression qu’ils blêmissent tous les deux.»

«Le conseiller Landry plisse les yeux et tend l’oreille pour tenter de capter au moins quelques mots, mais c’est peine perdue. J’essaie de faire cesser la prestation de l’harmonie, mais le maître de musique n’a manifestement pas l’intention de s’interrompre avant la fin de la pièce et, comme il reste encore plusieurs pages à la partition devant lui, j’en déduis que nous devrons passer à l’intérieur de la bibliothèque si nous voulons nous entendre. En revenant vers le conseiller, je remarque que son garde du corps et lui ont levé les yeux au ciel et semblent observer attentivement quelque chose. Le drone du directeur !»

Pierre Roberge, le Dernier Rayon sur la gauche, Lanoraie, Les Éditions de l’Apothéose, 2024, 196 p. Édition numérique.

 

On trouve un compte rendu du roman ici.