Le mal-aimé

Soit deux titres récents du journal la Presse : «Tasse-toi, mononc’ !» (François Cardinal, 13 juin 2011); «C’est peut-être moi le mononcle» (Marc Cassivi, 14 juin 2011). Dans le premier cas, il est question de politique (provinciale); dans le second, d’humour (ou, plutôt, de ce qui en tient lieu au Québec).

Mais pourquoi cet oncle bien à soi (mononc’, mononcle) ?

C’est qu’au Québec, depuis longtemps, mon oncle est devenu mononcle — comme ma tante et devenu matante — et que cela se retrouve dans l’expression «Tasse-toi mononcle». Qui l’utilise est pressé et veut que s’enlève de son chemin qui y lambine. Volkswagen avait transformé cette expression en slogan il y a quelques années. Sa publicité avait été diversement reçue : un soir, au Téléjournal de Radio-Canada, on l’avait diffusée («Tasse-toi mononcle !») immédiatement à la suite d’un reportage sur les morts causées par la vitesse au volant chez les jeunes conducteurs («Tasse-toi mononcle» ?).

Voilà qui explique «Tasse-toi», mais on en revient à la question initiale : pourquoi l’oncle ?

Le personnage n’a pas bonne presse dans la Belle Province. On l’imagine racontant des blagues grivoises en buvant de la crème de menthe (bien vu, Marc Cassivi). Rejeté à la périphérie familiale, il n’est que toléré par ses proches, les neveux comme les autres. Tant pis pour lui. (Et donc tant pis pour soi.)

P.-S. — On entend parfois mon mononc’, ce qui donne à réfléchir à la morphologie du français parlé au Québec.

Explication cynégétique du jour

Orignal mort, dans un camion

Soit la phrase suivante, tirée du Charme discret du café filtre d’Amélie Panneton (2011) :

C’est l’automne et c’est la saison des Japonais, un peu comme c’est la saison des orignaux : bien qu’on ne les voie jamais écartelés sur le toit d’un camion, ils deviennent tout de même le point de mire de l’industrie touristique au grand complet (p. 72).

Pour la comprendre, il n’est pas inutile de savoir que les chasseurs québécois aiment bien exhiber sur leur véhicule la carcasse de leurs victimes (ici : un orignal).

On ne sache pas, en effet et en revanche, que ce soit vrai des touristes de l’Empire du Soleil levant, même si les chantres du développement touristique aimeraient que les visiteurs étrangers restent le plus longtemps possible dans la Belle Province.

 

Référence

Panneton, Amélie, le Charme discret du café filtre. Nouvelles, Montréal, Éditions de la Bagnole, coll. «Parking», 2011, 158 p.

Précautions oratoires

Vous allez dire une chose qu’on pourrait vous reprocher, ou vous venez de la dire, mais vous souhaitez aller au-devant de la critique, atténuer vos propos, éviter de passer pour trop critique, vous la jouer ironique. Comment faire ? En utilisant l’expression On jase ou, mieux, On jase, là avant ou après la déclaration portant potentiellement à différend.

Avant : Stéphane Baillargeon, du Devoir, se prépare à tenir des propos peu amènes sur une animatrice de télévision québécoise. Le titre de son article : «On jase, là…» (30 mai 2011, p. B7). Autre exemple, s’agissant de sport : «C’est lundi, on jase…» (la Presse, 6 juin 2011, cahier Sports, p. 7).

Après : Marie-France Bazzo (@MFBazzo), une autre animatrice de télévision, entre autres activités professionnelles, commente un nouveau projet montréalais sur Twitter le 26 mai : «La plage ds le VieuxPort de Mtl, c’est moi, ou c’est comme s’extasier sur les rideaux quand la maison tombe en ruine? #OnJase.»

Double précision lexicale.

Jaser : le verbe, au Québec, signifie simplement parler, converser; il n’a pas de connotation négative. Pourtant, dans l’usage particulier évoqué ici, on entend bien quelque chose qui évoque une des définitions du Petit Robert du verbe jaser, la plus commune en France : « Faire des commentaires plus ou moins désobligeants et médisants» (édition numérique de 2010).

: la fréquence de son emploi, parfois redoublé, est une des caractéristiques du français parlé au Québec. Exemples et .

P.-S. — L’expression On jase est populaire sur Twitter, où le mot-clic (hashtag) #OnJase est d’utilisation courante.

 

[Complément du 22 septembre 2012]

Eurêka ! (À retardement.) On jase n’est-il pas l’équivalent de «Just sayin’» ?

 

[Complément du 16 novembre 2012]

Eurêka ! (À retardement bis.) On jase n’est-il pas l’équivalent de Je dis ça, je dis rien ? Exemple venu de Twitter : «Stéphane Gatignon cesse sa grève de la faim le jour du beaujolais nouveau. Je dis ça, je dis rien.»

 

[Complément du 10 novembre 2018]

En formule condensée : «jdcjdr».

Québécasie

François Barcelo, J’haïs le hockey, 2011, couverture

On l’a dit à maintes reprises : le Québec aime les capitales. (Voyez la catégorie du même nom, en bas, à droite.) Encore ce samedi, dans le cahier Vacances voyage de la Presse, en titre : «Lanaudière / Saint-Zénon. La capitale mondiale de la mouchetée» (p. 13). (Il s’agit de truite, bien sûr.)

Il était dès lors prévisible que les romanciers s’emparent de cette obsession provinciale.

Exemple tiré du roman J’haïs le hockey, mi-polar ni-humour noir, de François Barcelo (2011) : «C’en est rendu que Saint-Zéphyrin se qualifie maintenant, sur un grand panneau que vous pouvez voir à l’entrée de la ville, de “capitale québécoise de la cuisine exotique”» (p. 15). Cela s’explique facilement : il y a une forte population «québécasienne» (p. 17) dans cette ville (fictive), en l’occurrence des Vietnamiens ou des enfants de familles dont un des parents est vietnamien.

P.-S. — Le narrateur s’appelle «Vachon» sur la quatrième de couverture et à la p. 6, puis «Groleau» dans le reste du roman. Ça fait désordre.

 

Référence

Barcelo, François, J’haïs le hockey. Roman, Montréal, Coups de tête, coll. «Roman noir», 45, 2011, 111 p.

Sacrer au musée, tous sexes confondus

Affiche de l'exposition «Tabarnak. L’expo qui jure», 2011

L’Oreille tendue aime les jurons, et particulièrement tabarnak. La catégorie «Jurons» — plus bas, à droite — en est la preuve.

Elle ne peut donc qu’être attirée par «Tabarnak. L’expo qui jure», que présente le Musée des religions de Nicolet jusqu’au 2 septembre.

Trouvera-t-elle une réponse à la question, qui est dans l’air du temps, du juron féminin en société ? Josée Blanchette consacrait cette semaine une entrée de son blogue (Cause toujours) à la question. Dans un registre un brin différent, deux psychologues américains viennent de publier les résultats d’une étude intitulée «Naturalistically Observed Swearing, Emotional Support, and Depressive Symptoms in Women Coping With Illness». (Conclusion provisoire de l’étude : il y a plus efficace, pour une femme, que de jurer en public.)

Iront-ils tous au musée ? On le leur souhaite.