En conférence publique à Montréal, il y a plus de vingt-cinq ans, Robert Darnton avouait ne pas avoir la télévision : «I don’t own a television set», avait-il dit. Pour des raisons qui tiennent probablement plus à la formulation qu’à l’aveu lui-même, l’Oreille tendue n’a jamais oublié cette phrase.
Contrairement à l’historien américain, elle a la télé, essentiellement pour deux choses : les sports, les séries. En 2018, elle a ainsi pu assister à deux épisodes de clôture spectaculairement calamiteux.
Il y a d’abord eu l’épisode final de la troisième saison de la série Billions, «Elmsley Count», où les deux rivaux, qui ont tout perdu, se réunissent pour préparer leur retour. Disons-le simplement : cela n’a strictement aucun sens. La prochaine saison, annoncée pour 2019, devrait le confirmer.
Puis, il y a eu celui de la sixième et dernière (ouf !) saison de House of Cards. Autocitation de l’Oreille, sur Twitter : «Dire de la sixième saison de House of Cards que c’est une daube est bien en deçà de la vérité : “Jumping the shark”…»; «Après House of Cards 6, Homeland 6, c’est Shakespeare.»
Si vous le voulez bien, passons à autre chose.
P.-S.—Ne posez pas la question pour rien : oui, évidemment, l’épisode final des Sopranos, «Made in America», était parfaitement réussi.
[Ce texte s’inscrit dans la série Tombeau d’Ella. On en trouvera la table des matières ici.]
Depuis 2007, février est officiellement, au Québec, le Mois de l’histoire des Noirs. Cette année, février est aussi un mois olympique. Or, en 1968, Ella Fitzgerald assistait, à Grenoble, aux jeux Olympiques d’hiver. Ella Fitzgerald et le sport ? L’association ne va peut-être pas de soi, mais elle existe. Allons-y jeter une oreille.
La chanteuse évoque divers sports dans ses chansons : la boxe («I’m Beginning to See the Light», «The Lady Is a Tramp»), les courses hippiques («You’re the Top»), le ski («Moonlight in Vermont»), la course à pied («Get Out of Town»).
Elle s’intéressait, à la télévision, au boxeur Muhammad Ali ou aux activités des Lakers de Los Angeles — c’est du basket. On l’entend chanter dans Raging Bull, le grand film de Martin Scorcese sur la boxe (1980). En 1972, elle a participé au spectacle de la mi-temps du Super Bowl, le VIe du nom, à la Nouvelle-Orléans.
Bing Crosby, voulant lui rendre hommage au cours de l’émission télévisée The Hollywood Palace (ABC, 18 février 1969), la présente en la comparant à deux grands baseballeurs : «The Sandy Koufax of Song, the Brooks Robinson of Rhythm, the All-Star of Timing — the Peerless One» (cité par Geoffrey Mark Fidelman, p. 178). Ce n’est que justice : Ella Fitzgerald était fan de baseball.
Ce sport est évoqué dans la chanson «The Lady Is a Tramp». À la télévision, on l’a vue avec le gérant des Dodgers de Los Angeles, Tommy Lasorda, l’équipe qu’elle suivait au petit écran. Elle aurait fréquenté Jackie Robinson et Willie Mays. Ainsi que l’a rappelé Marissa Del Toro en 2006, le Smithsonian Institution possède des artefacts liés au baseball ayant appartenu à Ella Fitzgerald, elle qui était souvent invitée à chanter l’hymne national états-unien au début des matchs.
L’Oreille tendue aurait aimé être là.
[Complément du 17 mai 2018]
L’histoire du timbre reproduit ci-dessus est racontée dans cette vidéo :
[Complément du 20 juin 2021]
Steven Jezo-Vannier a publié récemment Ella Fitzgerald. Il était une voix en Amérique. À la page 30, il est question d’Ella jeune, à Yonkers, dans «la cour de recréation» avec des garçons «dont elle partage le goût pour le baseball et le hockey.» Pour le baseball, on ne s’étonnera pas. Pour le hockey, l’Oreille, grande fan d’Ella et de hockey, est un peu plus sceptique, mais elle ne demande qu’à être convaincue.
[Complément du 2 mai 2022]
Kostya Kennedy a publié récemment une nouvelle biographie du baseballeur Jackie Robinson. On y apprend qu’Ella Fitzgerald a chanté dans un des concerts-bénéfice qu’il organisait chez lui, à Stamford au Connecticut («The Afternoon of Jazz Concerts»), pour aider des organismes de défense des droits des Noirs, la Southern Christian Leadership Conference et la National Association for the Advancement of Colored People (p. 213-214).
Une fois encore, l’Oreille tendue aurait aimé être là.
Fidelman, Geoffrey Mark, First Lady of Song. Ella Fitzgerald. For the Record, New York, A Citadel Press Book, Carol Publishing Group, 1996, xx/379 p. Ill. Édition originale : 1994.
«SIMON (baissant son journal et leur tendant sa carte). Je me présente : Simon Labrosse, finisseur.
LE GARS (LÉO). Simon qui ?
SIMON. Labrosse, finisseur.
LA FILLE (NATHALIE). Comment ça, finisseur ?
SIMON. Finisseur de phrases. C’est ma profession.
LA FILLE (NATHALIE). Vous voulez dire que vous, euh…
SIMON. …que vous finissez les phrases laissées en suspens ?
LA FILLE (NATHALIE). Ouin c’est ça que je voulais dire mais…
SIMON. Vous voyez. Ça marche parfaitement.
LA FILLE (NATHALIE). Non mais là, je comprends pas. Je veux dire, c’est quoi la…
SIMON. C’est quoi l’idée au juste ?
LA FILLE (NATHALIE). Ouin, c’est quoi ?
SIMON. L’idée c’est d’aller au bout.
LE GARS (LÉO). Tu veux dire aller au bout de…
SIMON. …au bout de votre idée. Je vous écoute depuis tout à l’heure. Vous avez des choses à dire, des choses très importantes…
LA FILLE (NATHALIE). Ouin, ça c’est vrai, mais, euh…
SIMON. Malheureusement, c’est pas de votre faute, mais vous êtes incapables d’aller au bout de votre pensée. Moi, si vous voulez, je peux y aller pour vous. “Aller au bout”, c’est ma spécialité. Comprenez-vous ?
P.-S.—Ce métier, l’Oreille tendue l’a découvert en entendant Carole Fréchette au micro de Marie-Louise Arsenault, dans le cadre de l’émission Plus on est de fous, plus on lit ! de la radio de Radio-Canada, le 16 janvier 2018.
Dans le 174e épisode de la série télévisée Seinfeld (saison 9, épisode 18), «The Frogger» (1998), Jerry fréquente Lisi, une amie d’Elaine. Sa principale caractéristique ? «She’s a sentence finisher.»