Notes californiennes

Ces derniers jours, l’Oreille tendue a été californienne, histoire de rendre hommage à un collègue, et néanmoins ami, sur le point de partir à la retraite. Notes.

De Westwood à Hollywood, il faut un peu plus de trois heures de marche. Il n’y a pas grand-monde qui s’y essaie (euphémisme). L’Oreille, si, en conjugale compagnie. Ils se sentaient comme des Martiens.

Pendant le trajet, admirer ce paradoxe publicitaire.

 

Publicité, Santa Monica Boulevard, Los Angeles, 20 mai 2017

Ella Fitzgerald aurait son étoile gravée dans un trottoir d’Hollywood. Ce sera pour une autre fois : la foule ne voulait pas qu’on la trouve.

Le système de transport de Los Angeles n’est pas de la première clarté. (Il y aurait un métro et des tramways, mais personne ne semble en avoir entendu parler.) Cela dit, il est efficace, surtout les jours où on ne souhaite pas ajouter trois heures de marche pour revenir à son hôtel.

Le Californien peut être serviable; on ne saurait le lui reprocher. Quand il vous offre de l’aide (non sollicitée), qu’il vous explique qu’il a presque 60 ans et qu’il aime marcher, qu’il est le voisin de Céline Dion à Las Vegas, qu’il écrit des chansons pour elle (mais qu’elle ne les retient pas), qu’il a déjà chanté les Beatles en français, du temps des Baronets, en Louisiane, avec René Angélil (qu’il appelle René Charles), qu’il a déjà été modèle à Paris (il parle français) et que sa fille y est danseuse, et que sa femme, adoptée, a du sang royal (il semble confondre les Bourbons et la Sorbon[ne]), ça commence à faire un peu trop de serviabilité (et de mythomanie). Tout cela en quatre minutes chrono. «Merci, mais nous devons y aller. À une prochaine.»

Au resto, à la table d’à côté, deux soi-disant acteurs, dans la vingtaine, qui s’échangent des souvenirs. De Jack Warner, mort en 1978.

Au cocktail, le serveur se dit acteur et cascadeur. Qui serions-nous pour le contredire ?

Au même cocktail, discuter du centralisme linguistique hexagonal avec une collègue états-unienne et toujours s’étonner de sa puissance. Convaincre une doctorante de fermer son compte sur Academia.edu.

Il y a plusieurs façons, en librairie, de classer les livres. Pourquoi pas une section de livres censurés («banned books») ?

Dans une librairie de Los Angeles, section des «Banned Books», 19 mai 2017

La chose la plus difficile à faire en Californie ? Commander un simple expresso, pour qui ne veut que cela. Autrement, on est noyé sous les choix.

Essayer des chaussures à 300 $ US la paire (quand même). Ne pas les acheter.

Suivre les séries éliminatoires de la Ligue nationale de hockey à la télé, près des palmiers. Pleurer chaque jour le départ de P.K. Subban de Montréal. (Et manger, sans y avoir réfléchi, chez Pikey.)

L’Oreille causait sur le campus de l’Université de la Californie à Los Angeles (UCLA). On y a formé nombre d’athlètes. Dans le couloir qui menait à sa chambre, il y avait des photos de Jimmy Connors, de Lew Alcindor et de Jackie Joyner-Kersee. Jackie Robinson a aussi étudié à UCLA. On serait ému à moins.

Monument en l’honneur de Jackie Robinson, UCLA, 22 mai 2017

Le Getty Center est une splendeur, qu’on visite gratuitement. On y trouve des masses de merveilles, dont des tableaux d’Hubert Robert. Ça tombe bien : c’était l’anniversaire de sa naissance pas plus tard que la veille.

À l’aéroport de Los Angeles, l’Oreille a droit à une fouille particulière de son sac à dos. «Pourquoi ?» demande-t-elle. «Vous avez des livres ? Cela pourrait avoir la forme d’un livre et ne pas en être un.» Sale temps pour la lecture.

Le vol en avion fait sortir ce qu’il y a de pire en l’humain.

Ceci, abandonné en cabine, par un voyageur. Un présage ? (Non, heureusement.)

Couverture du magazine The New Yorker

Ella et Germaine

Jazz magazine, 693, avril 2017, couverture

Ella Fitzgerald est née il y a cent ans. Germaine de Staël est morte il y a deux cents ans. Peut-on réunir le jazz et le Siècle des lumières ? Pascal Anquetil le fait dans la livraison d’avril 2017 de Jazz magazine : «Mais tout succès a ses revers. Il faut souvent en payer le prix. Il peut être lourd. “La gloire, a dit Madame de Staël, est le deuil éclatant du bonheur.” La vie amoureuse d’Ella, qui fut aussi intense que décevante, en est l’implacable démonstration» (p. 15).

Il fallait oser.

 

[Complément du 10 juin 2020]

L’Oreille a repris ce texte, sous le titre «Le jazz et Mme de Staël», dans le livre qu’elle a fait paraître au début de 2020, Nos Lumières.

 

Références

Anquetil, Pascal, «Des fleurs pour Ella», Jazz magazine, 693, avril 2017, p. 11-23.

Melançon, Benoît, Nos Lumières. Les classiques au jour le jour, Montréal, Del Busso éditeur, 2020, 194 p.

Tombeau d’Ella (11) : Montréal, Québec

Mots croisés, la Presse, 2 juillet 2011

[Ce texte s’inscrit dans la série Tombeau d’Ella. On en trouvera la table des matières ici.]

Qu’en est-il d’Ella Fitzgerald, du Québec et de Montréal ?

D’après la collection numérique de Bibliothèque et Archives nationales du Québec, la radio la fait tourner dès 1939, les journaux s’intéressent à sa vie, on la verra souvent à la télévision (par exemple dans The Ella Fitzgerald Show).

Elle a ses fans, parmi les chanteuses (surtout) et les chanteurs — Pauline Julien, Monique Leyrac, Louise Forestier, Joha­­nne Blouin, Ginette Reno, Colette Boky, Martine St-Clair, Monique Fauteux, Bob Walsh, Nikki Yanofsky, Ima, Florence K, Céline Dion, Jessica Vigneault —, les musiciens — Bernard Labadie —, les disc-jockeys — Misstress Barbara — et les critiques — Claude Gingras à la Presse, Gilles Archambault au Devoir et à la radio de Radio-Canada, Sylvain Cormier et Serge Truffaut au Devoir. En 2008, Marie Michèle Desrosiers chante «En écoutant Ella» (Marie Michèle se défrise), paroles de Clémence DesRochers, musique d’Ariane Moffatt.

Ella Fitzgerald s’est souvent produite sur scène à Montréal.

Certaines sources disent qu’elle aurait chanté dans une célèbre boîte de jazz, le Rockhead’s Paradise, mais les journaux actuellement numérisés sont muets là-dessus.

Ella Fitzgerald a occupé plusieurs fois le Forum (1953, 1954, 1955, 1956), le plus souvent avec la tournée Jazz at the Philharmonic de Norman Granz. Les affiches de ces spectacles étaient alléchantes : outre Ella Fitzgerald, on pouvait y entendre Roy Elridge, Buddy Rich, Oscar Peterson, Herb Ellis, Dizzie Gillespie, Louis Belson, Flip Phillips, Buddy De Franco, Ben Webster, Gene Krupa, Stan Getz, Illinois Jacquet, le Modern Jazz Quartet, Jo Jones, Sonny Stitt, Ray Brown, Eddie Shu.

Boris Vian, dans sa «Revue de presse» du magazine Jazz Hot, évoque un de ces concerts, celui du 20 septembre 1955 : «voici une lettre d’un lecteur canadien, Robert Castets, qui a l’amabilité de m’envoyer un extrait de la première d’un concert de J.A.T.P. de Montréal, où l’on apprend, ce qui n’est pas pour nous surprendre, qu’Ella et Lester Young furent les triomphateurs de la soirée (onze mille personnes…). Bien le bonjour, Castets, et merci !» (no 104, novembre 1955; repris dans Œuvres, vol. 6, p. 483)

À partir de 1967, elle sera accueillie à quelque reprises à la Place des arts, salle Wilfrid-Pelletier, puis, à partir de sa création en 1980, au Festival international de jazz de Montréal (1983, 1987). (L’Oreille tendue l’y a entendue le 28 juin 1981; ce fut la seule fois. La chanteuse partageait la scène avec le trio de Jimmy Rowles, Oscar Peterson et Joe Pass.) Depuis 1999, le prix Ella-Fitzgerald de ce festival «vient chaque année souligner la portée, la flexibilité et l’originalité de l’improvisation et la qualité du répertoire d’une chanteuse ou d’un chanteur de jazz reconnu sur la scène internationale». La même année, un concert-hommage réunissait Jeri Brown, Ranee Lee, Karen Young et le Vic Vogel Big Band.

Il allait donc de soi qu’Ella Fitzgerald fasse une apparition, même discrète, dans l’excellent roman graphique la Femme aux cartes postales du tandem Eid / Paiement (2016, p. 110).

Ella Fitzgerald aurait eu cent ans aujourd’hui.

P.-S. — Il n’y a malheureusement pas un mot sur la chanteuse dans l’histoire du jazz à Montréal de John Gilmore (1988).

P.-P.-S. — En bonne fan, l’Oreille serait preneuse de tous renseignements pouvant étoffer ce premier aperçu de la présence québécoise d’Ella Fitzgerald.

Illustration : la Presse, 2 juillet 2011, Arts et spectacles, p. 22.

 

Références

Eid, Jean-Paul et Claude Paiement, la Femme aux cartes postales, Montréal, La Pastèque, 2016, 227 p. Roman graphique.

Gilmore, John, Une histoire du jazz à Montréal, Montréal, Lux, coll. «Mémoire des Amériques», 2009, 411 p. Ill. Traduction de Karen Ricard. Préface de Gilles Archambault. Édition originale : 1988.

Vian, Boris, Œuvres. Tome sixième, Paris, Fayard, 1999, 645 p. Édition publiée sous l’autorité d’Ursula Vian Kübler. Sous la direction de Gilbert Pestureau. Édition établie et présentée par Claude Rameil. Documentation et archives : Nicole Bertolt.

Le pogo de Manon Massé

Boîte de pogos

Le gouvernement du Québec déposait hier son budget. Manon Massé, la députée de la circonscription de Sainte-Marie–Saint-Jacques pour Québec solidaire, n’a pas été convaincue (euphémisme) par ce qu’elle a découvert, d’où cette déclaration :

Ça prend pas le pogo le plus dégelé de la boîte pour comprendre qu’après avoir mis le feu dans la bâtisse, ce n’est pas un coup de peinture et des nouveaux rideaux qui vont changer les choses.

«Ça prend pas le pogo le plus dégelé de la boîte» ? Traduction libre : pas besoin d’être spécialement allumé. (Pogo ? Par ici.) Synonyme (ancien) : ça prend pas la tête à Papineau.

La langue de Donald Trump regorge d’expressions de même nature (source) :

Not the sharpest knife in the drawer.

Got into the gene pool while the lifeguard wasn’t watching.

A room temperature IQ.

Got a full 6-pack, but lacks the plastic thingy to hold it all together.

A gross ignoramus — 144 times worse than an ordinary ignoramus.

A photographic memory but with the lens cover glued on.

A prime candidate for natural deselection.

Bright as Alaska in December.

One-celled organisms out-score him in IQ tests.

Donated his body to science before he was done using it.

Fell out of the family tree.

Gates are down, the lights are flashing, but the train isn’t coming.

Has two brains; one is lost and the other is out looking for it.

He’s so dense, light bends around him.

If brains were taxed, he’d get a rebate.

If he were any more stupid, he’d have to be watered twice a week.

If you give him a penny for his thoughts, you’d get change.

If you stand close enough to him, you can hear the ocean.

It’s hard to believe that he beat out 1,000,000 other sperm.

One neuron short of a synapse.

Some drink from the fountain of knowledge; he only gargled.

Takes him 1 1/2 hours to watch 60 minutes.

Was left on the Tilt-A-Whirl a bit too long as a baby.

Wheel is turning, but the hamster is dead.

Variante : «No one is asking him to bring the potato salad to the Mensa picnic» (merci à @catheoret).

Le pogo dégelé est en bonne compagnie.

 

[Complément du jour]

@maxdenoncourt (merci) indique à l’Oreille tendue deux autres occurrences de l’expression, l’une dans la Presse+, l’autre sur Twitter, les deux datant de l’automne 2016.

 

[Complément du 2 avril 2017]

Variation radiophonique, entendue tout à l’heure à l’émission La soirée est (encore) jeune, à Radio-Canada, dans la bouche de Jean-Sébastien Girard : «Pas besoin d’être le condom le plus lubrifié dans la boîte.»

 

[Complément du 10 septembre 2019]

Emploi romanesque, dans Querelle de Roberval, de Kevin Lambert, en 2018 : «C’est pas le pogo le plus dégelé de la boîte, la Kathleen, Christian le dit quand elle est pas là, il la connaît depuis la maternelle, elle vient de Mashteuiatsh elle aussi : quand elle se met à boquer sur quelque chose, il y a rien à faire» (p. 28).

 

[Complément du 24 octobre 2019]

Le pogo peu dégelé n’est pas très brillant, d’où la variation suivante, tirée de la Presse+ du 22 octobre : «Disons que l’ex bellâtre Kevin Fontaine, ruiné et déprimé sexuellement, n’est pas le tube le plus fluorescent du lit de bronzage.»

 

[Complément du 28 novembre 2020]

Sur le plan politique, cela peut donner «Les crayons les moins aiguisés de l’isoloir», chez les excellents David Robichaud et Patrick Turmel (2020, p. 37).

 

Références

Lambert, Kevin, Querelle de Roberval. Fiction syndicale, Montréal, Héliotrope, 2018, 277 p.

Robichaud, David et Patrick Turmel, Prendre part. Considérations sur la démocratie et ses fins, Montréal, Atelier 10, coll. «Documents», 18, 2020, 103 p. Ill.