Accouplements 227

Max Weinreich, «A language is a dialect with an army and navy», en anglais et en yiddish, 1945

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Essai sur le caractère et les mœurs des François comparés à ceux des Anglois, À Londres, 1776, 284 p. Paru anonymement. Texte de Jean-Jacques Rutlidge. (Orthographe modernisée.)

«Lorsque la langue d’un peuple devient plus générale que celle d’un autre, nous n’en devons pas tant chercher la cause dans son excellence, que dans les considérations politiques qui peuvent opérer cet effet. Quand une grande nation brille avec éclat et étend sa puissance par ses conquêtes et ses établissements, il est naturel que le monde en prenne connaissance, et il s’ensuit nécessairement que l’usage de sa langue s’étende à proportion de la correspondance que ses acquisitions et la multiplicité des affaires forcent d’avoir avec elle. Ainsi, la langue latine devint universelle du temps des Romains, et l’espagnol a été aussi à la mode que le français l’est aujourd’hui : mais on ne doit pas inférer de là que les nations française ou espagnole aient été en vénération chez leurs voisins, dès qu’on voit au contraire que leur politique les a fait détester. Rien que la nécessité de négocier avec elles n’a pu obliger de parler leur langue, parce que leur interposition dans toutes les affaires la rendait la plus commune : d’où l’on peut conclure que l’extension de la langue française, ce motif si souvent plaidé en sa faveur, au lieu de nous convaincre de son excellence et de la préférence qu’elle mérite, a un effet contraire et sert plutôt à nous rappeler l’ambition et l’inquiétude qui sont la vraie et injuste origine de cette vaste extension» (p. 268-269).

Weinreich, Max, Yivo [Yiddish Scientific Institute] bleter, 25, 1, 1945.

«A language is a dialect with an army and navy.» (Pour en savoir plus, voir ici ou .)

Belleau, André, «Langue et nationalisme», Liberté, 146 (25, 2), avril 1983, p. 2-9; repris, sous le titre «Pour un unilinguisme antinationaliste», dans Y a-t-il un intellectuel dans la salle ? Essais, Montréal, Primeur, coll. «L’échiquier», 1984, p. 88-92; repris, sous le titre «Pour un unilinguisme antinationaliste», dans Surprendre les voix. Essais, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 1986, p. 115-123; repris, sous le titre «Langue et nationalisme», dans Francis Gingras (édit.), Miroir du français. Éléments pour une histoire culturelle de la langue française, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, coll. «Espace littéraire», 2014 (troisième édition), p. 425-429; repris, sous le titre «Pour un unilinguisme antinationaliste», dans Surprendre les voix. Essais, Montréal, Boréal, coll. «Boréal compact», 286, 2016, p. 113-121. https://id.erudit.org/iderudit/30467ac

«Une langue, c’est un dialecte qui s’est doté un jour d’une armée, d’une flotte et d’un commerce extérieur…» (éd. de 1986, p. 118)

Plamondon, Éric, Oyana, Meudon, Quidam éditeur, 2019, 145 p.

«Je n’ai jamais oublié cette phrase qu’il m’avait dite : une langue, c’est un patois qui a gagné la guerre» (p. 45).

 

P.-S.—Les citations de Belleau et de Plamondon vous disent quelque chose ? C’est normal.

Autopromotion 676

Cahiers internationaux de sociolinguistique, 21, 2022, couverture

Sous la direction de Dorothée Aquino-Weber et Sara Cotelli Kureth, les Cahiers internationaux de sociolinguistique consacrent leur 21e livraison aux «Chroniques de langage dans la francophonie» (147 p., ISBN : 978-2-14-030354-8). L’Oreille tendue a le plaisir d’en être; merci aux éditrices de lui avoir donné l’occasion de raconter sa vie.

 

Table des matières

 

Cotelli Kureth, Sara et Dorothée Aquino-Weber, «Les chroniques de langage dans la Francophonie : état des lieux», p. 7-35

 

Partie 1 : Témoignages de chroniqueuses et chroniqueurs

Feltin-Palas, Michel, «Par amour de la diversité culturelle», p. 39-43

Francard, Michel, «Heurts et bonheurs d’un chroniqueur de langue», p. 45-50

Gasquet-Cyrus, Médéric, «“Dites-le en marseillais”, la vulgarisation linguistique par le divertissement», p. 51-57

Matthey, Marinette, «Mais pourquoi des chroniques de langage ?», p. 59-66

Melançon, Benoît, «De Montréal, tendre l’oreille», p. 67-71

Nadeau, Jean-Benoît, «Pourquoi je chronique», p. 73-77

 

Partie 2 : Les chroniques de langage dans la Francophonie : analyses

Gauvin, Karine, «À propos des chroniques de langage en Acadie», p. 81-102

Aquino-Weber, Dorothée et Sara Cotelli Kureth, «Les régionalismes dans les chroniques de langage de Suisse romande : un premier aperçu», p. 103-127

Dister, Anne, «Maurice Grevisse et André Goosse : du bon usage au français universel», p. 129-145

 

[Complément du 1er février 2023]

Le numéro est désormais disponible en ligne ici.

 

[Complément du 30 août 2023]

Le texte de l’Oreille tendue se trouve également .

Idée reçue du jour

L’Oreille tendue, il y a quelques semaines, a publié un petit livre intitulé Le niveau baisse ! Elle y aborde 14 idées reçues sur la langue.

À la lecture d’un article du démographe Victor Piché paru en 2011, elle vient d’ajouter une nouvelle idée reçue à sa liste : «On parle de moins en moins français à Montréal.» Piché montre en effet comment la mesure de la place du français à Montréal dépend des indicateurs choisis : langue maternelle ou langue du foyer, d’une part; langue publique, de l’autre. Conclusion ?

Ainsi, les catégories linguistiques proches de la notion de groupe ethnique nourrissent le nationalisme ethnique et, en se focalisant sur l’île de Montréal, celui-ci insiste sur la menace du fait français. Au contraire, les indicateurs de langue publique montrent une situation moins menaçante, y compris dans la grande région de Montréal, et confortent l’approche civique issue de la politique d’immigration et d’intégration québécoise ainsi que la perspective inclusive issue quant à elle de la diversité croissante de la population québécoise (p. 149).

Tout l’article est passionnant. À lire.

 

[Complément du 6 mars 2017]

L’écrivain Marco Micone, d’origine italienne, signe une tribune dans le Devoir du 3 mars dernier sous le titre «La colère d’un immigrant» (p. A9). On y lit ceci, qui rejoint les propos de Victor Piché :

La hiérarchie entre français langue maternelle et français langue seconde n’est pas défendable. L’objectif de la loi 101 était de faire du français langue maternelle une langue fraternelle. Dans une société pluriethnique comme la nôtre, l’utilisation du critère de la langue maternelle, dans les enquêtes sur l’état du français, fait le jeu des alarmistes et perpétue l’image de l’immigrant comme menace. C’est éthiquement inacceptable. Cette recherche obsessionnelle du nombre de francophones ayant le français comme langue maternelle relève de l’eugénisme linguistique. Selon les comptables de la langue, actuellement, à Montréal, seulement 48 % de la population sont de vrais francophones, ce qui m’exclut avec beaucoup d’autres. Si, par contre, on utilise la PLOP (première langue officielle parlée), on se rendra compte, selon Jean-Claude Corbeil, que les deux tiers des Montréalais sont plus à l’aise en français qu’en anglais, et que ce niveau se maintiendra pendant encore des décennies. Le français ne s’est jamais si bien porté au Québec si on tient compte de son évolution depuis 40 ans. Il n’y a jamais eu une telle proportion d’immigrants francophones. Au-delà de 90 % des Québécois connaissent le français. Et la très grande majorité des jeunes allophones fréquente les écoles françaises, souvent sans côtoyer un seul francophone de vieil établissement. Et quand ils se côtoient, ils le font entre pauvres, car la classe moyenne francophone envoie ses héritiers à l’école privée. Voilà des problèmes sociaux qu’il ne faudrait pas dénaturer en problèmes culturels.

Dis-moi quel est ton indicateur démolinguistique, je te dirai qui tu es.

 

[Complément du 17 août 2022]

Autre utile contribution au débat, où l’on cite d’ailleurs le texte de Victor Piché :

Remysen, Wim et Geneviève Bernard Barbeau, «Les discours médiatiques entourant le recensement de 2016 sur les langues officielles du Canada», dans Émilie Urbain et Laurence Arrighi (édit.), Retour en Acadie : penser les langues et la sociolinguistique à partir des marges. Textes en hommage à Annette Boudreau, Québec, Presses de l’Université Laval, coll. «Langues officielles et sociétés», 2021, p. 157-181. https://www.usherbrooke.ca/crifuq/fileadmin/sites/crifuq/uploads/Remysen_et_Bernard_Barbeau_2021.pdf

Citation choisie :

Or, en mettant exclusivement l’accent sur les données relatives à la langue maternelle, les journaux véhiculent indirectement l’idée que le français est le seul apanage des locutrices et des locuteurs natifs de cette langue, souscrivant ainsi à une interprétation plutôt étriquée de l’étiquette de «francophone», qui exclut par exemple les personnes d’origine immigrante qui s’expriment quotidiennement en français, mais qui n’ont pas grandi dans cette langue. Cette interprétation permet d’accentuer l’opposition entre les trois catégories linguistiques, c’est-à-dire les francophones, les anglophones et les allophones, de les mettre en quelque sorte en concurrence et, surtout, d’imputer le recul du français à certains groupes, stratégie éminemment idéologique (p. 175).

 

Références

Melançon, Benoît, Le niveau baisse ! (et autres idées reçues sur la langue), Montréal, Del Busso éditeur, 2015, 118 p. Ill.

Piché, Victor, «Catégories ethniques et linguistiques au Québec : quand compter est une question de survie», Cahiers québécois de démographie, 40, 1, printemps 2011, p. 139-154. https://doi.org/10.7202/1006635ar

Benoît Melançon, Le niveau baisse !, 2015, couverture

Citation métaphoricopolitique du jour

George Lakoff et Mark Johnson, les Métaphores dans la vie quotidienne, 1985, couverture

«Comme Charlotte Linde me l’a fait remarquer, qu’il s’agisse de politique nationale ou d’interaction quotidienne, ceux qui possèdent le pouvoir réussissent à imposer leurs métaphores.»

George Lakoff et Mark Johnson, les Métaphores dans la vie quotidienne, traduction de Michel Defornel avec la collaboration de Jean-Jacques Lecercle, Paris, Éditions de Minuit, 1985, 249 p., p. 167-168. Édition originale : 1980.