Ne parlons pas religion

Soit le commentaire suivant, signé par un chroniqueur du site RDS.ca, qui en a contre les joueurs des Canadiens de Montréal — c’est du hockey — qui ne démontre(raie)nt pas les efforts nécessaires par les temps qui patinent :

Les passagers des derniers matchs avaient déjà été identifiés : Pacioretty, Bourque, Plekanec, Subban, Eller, Gionta, Vanek et Emelin. Par passagers, on sous-entendait des éléments qui n’apportaient à peu près rien sur le plan des statistiques ou qui se prenaient carrément le moine pendant qu’un petit groupe de coéquipiers, toujours les mêmes, se tuaient à l’ouvrage.

Deux remarques.

On pourra ajouter passagers à Langue de puck. Abécédaire du hockey, petit ouvrage que publiait l’Oreille tendue il y a quelques semaines.

On notera que lesdits passagers sont réputés se prendre le moine. De quoi s’agit-il ?

Sans entrer dans des détails scabreux, on dira que le moine, pour utiliser la langue du hockey, se trouve dans le bas du corps. Qui se le prend paresse. Pour un joueur de hockey, ce n’est pas bien.

P.-S. — On voit aussi se pogner le moine ou se pogner le beigne. C’est dans la même région.

P.-P.-S. — Ce moine se prononce fréquemment mouène.

P.-P.-P.-S. — Un collègue de l’Oreille, Olivier Bauer, ne cesse de le démontrer : hockey et religion ont partie liée au Québec. Cela étant, il ne paraît pas à l’Oreille que la dimension religieuse de ce moine soit clairement démontrée.

 

[Complément du 2 avril 2022]

On peut aussi se pogner le morceau. Ce n’est pas mieux.

 

Référence

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014), couverture

Dernier adieu

Place d’Armes, mai 2011, travaux de rénovation

Maurice Richard, le plus célèbre joueur de la plus célèbre équipe de hockey en Amérique du Nord, voire au monde, meurt le 27 mai 2000.

À l’annonce de sa mort, des partisans se rassemblent spontanément en quelques lieux de Montréal pour honorer sa mémoire. Trois jours plus tard, il est exposé en chapelle ardente sur la glace du Centre Molson à Montréal.

Le 31 mai, ce sont ses funérailles.

Il s’agit de funérailles nationales, célébrées en la basilique Notre-Dame de Montréal. De 1996 à 2004, cinq autres personnalités auront eu droit à ce type de funérailles au Québec. Avant lui, le poète et éditeur Gaston Miron (le 21 décembre 1996) et le ministre et psychiatre Camille Laurin (le 16 mars 1999). Après lui, le peintre Jean-Paul Riopelle (le 18 mars 2002), le syndicaliste Louis Laberge (le 24 juillet 2002) et l’éditorialiste et ministre Claude Ryan (le 13 février 2004). Deux créateurs (un homme du livre et un peintre, auquel on a comparé Richard), deux ministres (un indépendantiste et un fédéraliste, Laurin et Ryan), un homme d’action qui se présentait comme un homme du peuple (le surnom de Laberge était Ti-Louis) : fruit du hasard, le voisinage n’en définit pas moins l’homme Maurice Richard avec assez de justesse, jusque dans ses contradictions.

Le convoi funéraire parvient à la basilique après avoir emprunté la rue Sainte-Catherine, celle de l’ancien Forum, là où a joué Richard pour les Canadiens de Montréal de 1942 à 1960. Environ 3000 personnes sont admises dans la basilique. S’y côtoient la famille et les ex-coéquipiers, les politiques et les médiatiques. À l’extérieur, sur la place d’Armes, la cérémonie est visible sur écran géant. L’office est célébré par le cardinal Jean-Claude Turcotte. Un des amis de Maurice Richard, Paul Aquin, un de ses neveux, Stéphane Latourelle, et un de ses fils, Maurice Richard fils, s’adressent au public. On lit deux passages de la bible. Le premier provient de la seconde lettre de saint Paul Apôtre à Timothée (4, 7-8). S’y mêlent la fierté de s’être toujours battu et la confiance en une récompense à venir : «Je me suis bien battu, j’ai tenu jusqu’au bout de la course, je suis resté fidèle. Je n’ai plus qu’à recevoir la récompense du vainqueur […].» Le second est tiré de l’Évangile selon saint Jean (14, 2-3) : «Je pars vous préparer une place […] je reviendrai vous prendre avec moi; et là où je suis, vous y serez aussi.» La chanteuse populaire Ginette Reno interprète, comme aux funérailles de son propre père, «Ceux qui s’en vont, ceux qui nous laissent» : d’un père à l’autre, il n’y a qu’un pas. On joue du Fauré, du Gounod, du Franck, du Bach, des hymnes et des psaumes. Les huit porteurs sont d’anciens joueurs des Canadiens, retenus parce qu’ils avaient joué avec Richard : Jean Béliveau, Henri Richard, Elmer Lach, Émile Bouchard, Ken Reardon, Kenny Mosdell, Dickie Moore, Gerry McNeil. Le tout est retransmis par la majorité des télévisions francophones québécoises et quelques anglophones. L’Assemblée nationale a suspendu ses débats et les drapeaux sont en berne.

De l’Est de Montréal (l’aréna Maurice-Richard) au Nord (sa maison), comme du centre-ville (le Centre Molson) au Vieux-Montréal (la basilique Notre-Dame), on retiendra que Maurice Richard a réuni, dans les derniers jours de mai 2000, des centaines de milliers de personnes, des millions si l’on ajoute à cela les reportages journalistiques, radiophoniques, télévisuels, numériques. Les rares voix discordantes qu’on a pu entendre n’avaient en général rien à reprocher à Richard, mais elles déploraient, avec plus ou moins de retenue, l’unanimisme du discours entourant sa mort et la place que ce discours occupait dans l’espace public. Il n’y en avait plus que pour le Rocket. On parlerait encore beaucoup de lui, mais jamais autant que durant ces quelques jours.

P.-S. — Ce qui précède vient de l’ouvrage que l’Oreille tendue a fait paraître pour la première fois en 2006, les Yeux de Maurice Richard.

 

Référence

Melançon, Benoît, les Yeux de Maurice Richard. Une histoire culturelle, Montréal, Fides, 2006, 279 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Nouvelle édition, revue et augmentée : Montréal, Fides, 2008, 312 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Préface d’Antoine Del Busso. Traduction : The Rocket. A Cultural History of Maurice Richard, Vancouver, Toronto et Berkeley, Greystone Books, D&M Publishers Inc., 2009, 304 p. 26 illustrations en couleurs; 27 illustrations en noir et blanc. Traduction de Fred A. Reed. Préface de Roy MacGregor. Postface de Jean Béliveau. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2012, 312 p. 42 illustrations en noir et blanc. Préface de Guylaine Girard.

Les Yeux de Maurice Richard, édition de 2012, couverture

 

Un avant-dernier hommage

Chapelle ardente, Maurice Richard, 30 mai 2000, centre Molson

Maurice Richard, le plus célèbre joueur de la plus célèbre équipe de hockey en Amérique du Nord, voire au monde, meurt le 27 mai 2000.

À l’annonce de sa mort, des partisans se rassemblent spontanément en quelques lieux de Montréal pour honorer sa mémoire. D’autres activités, plus officielles, sont également organisées.

Le 30 mai 2000, de 8 heures à 22 heures, le corps de Richard est exposé en chapelle ardente au Centre Molson de Montréal. Ce centre sportif, devenu depuis le Centre Bell, a remplacé le Forum de Montréal en 1996 et Richard n’y a jamais joué, mais il est le domicile des Canadiens et, à ce titre, il s’imposait comme lieu de recueillement.

Le cercueil reposait sur la surface de jeu. La mise en scène insistait sur la solennité de l’événement. La famille de Richard se tenait près du cercueil. Deux affiches géantes représentaient le Rocket : l’une, en noir et blanc, était une photo ancienne qui mettait en valeur le regard du joueur; l’autre, en couleurs, montrait Richard revêtu du chandail rouge des Canadiens, le chandail numéro 9 bien sûr, un flambeau à la main. La bannière bleu-blanc-rouge rappelant que le numéro 9 de Maurice Richard avait été retiré et que plus personne ne pouvait le choisir parmi les joueurs des Canadiens avait été ramenée des cintres à la hauteur de la patinoire. La musique d’ambiance était classique : Mahler, Gounod, Brahms, Satie, Massenet, Mozart, Vivaldi, Bach. Plus de 115 000 fidèles auraient défilé devant le cercueil ouvert de l’idole du lieu. Ils pouvaient laisser un témoignage en signant un registre installé dans un chapiteau situé près du Cours Windsor, à côté du Centre Molson.

L’ensemble des registres disposés sous ce chapiteau n’a pas été rendu public, mais une anthologie a paru en 2008, Maurice Richard. Paroles d’un peuple. Pour saisir la familiarité ressentie par le public envers Richard, il s’agit d’un document essentiel. On y saisit une triple représentation du joueur.

Quand Maurice Richard meurt en 2000, à 78 ans, il pris sa retraite depuis 40 ans (sa carrière a duré de 1942 à 1960). Parmi les gens venus lui rendre hommage se trouvent certes des personnes qui l’ont vu jouer, mais plusieurs n’ont aucune connaissance directe de l’athlète. Les messages destinés à Richard et à sa famille proviennent souvent des enfants de ceux qui l’ont vu jouer, voire de leurs petits-enfants. Parfois ce sont des parents qui écrivent pour leur enfant, après avoir tracé le contour de sa main :

Voici ma petite main
prête à recevoir le
Flambeau !!!
«Merci Rocket !»
Alexis
Ouellette
2 ans (p. 128).

La transmission mémorielle est une transmission familiale, de père en fils ou en petit-fils.

Cette transmission s’incarne dans un objet, le flambeau que se passeraient les partisans de génération en génération, lui qui incarne l’histoire du club. Ce flambeau est tantôt métaphorique — il est le passé glorieux de l’équipe surnommée la sainte flanelle —, tantôt concret — il fait partie de la stratégie de marketing de l’équipe et, à ce titre, il est désormais présent sur la glace avant le début des matchs des Canadiens à Montréal. Il trouve son origine dans un passage d’un poème écrit en 1915, «In Flanders Field», par le militaire John McCrae : «Nos bras meurtris vous tendent le flambeau, à vous toujours de le porter bien haut» («To you from failing hands we throw / The torch ; be yours to hold it high»). Cette exhortation orne les murs des vestiaires de l’équipe depuis plusieurs décennies.

Mort, Richard peut rejoindre un groupe très sélect, celui des fantômes du Forum. De quoi s’agit-il ? Ces «fantômes» seraient les esprits des anciens joueurs des Canadiens de Montréal. Ils aideraient, dans l’ombre, les joueurs venus après eux. Leur intervention expliquerait certaines victoires tout à fait imprévisibles de l’équipe de Montréal. Les pèlerins du 31 mai 2000 avaient cette confrérie à l’esprit en s’adressant à leur héros :

Merci pour ce que tu as fait
Le Forum avait ses fantômes
Le Centre Molson a une ame (p. 52).

Famille, flambeau, fantôme : le Rocket, même dans la mort, reste aux côtés des siens.

(À suivre.)

P.-S.—Ce qui précède vient (en partie) de l’ouvrage que l’Oreille tendue a fait paraître pour la première fois en 2006, les Yeux de Maurice Richard.

Extrait de Maurice Richard. Paroles d’un peuple (2008)

 

 

Références

Foisy, Michel et Maurice Richard fils, Maurice Richard. Paroles d’un peuple, Montréal, Octave éditions, 2008, 159 p. Ill.

Melançon, Benoît, les Yeux de Maurice Richard. Une histoire culturelle, Montréal, Fides, 2006, 279 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Nouvelle édition, revue et augmentée : Montréal, Fides, 2008, 312 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Préface d’Antoine Del Busso. Traduction : The Rocket. A Cultural History of Maurice Richard, Vancouver, Toronto et Berkeley, Greystone Books, D&M Publishers Inc., 2009, 304 p. 26 illustrations en couleurs; 27 illustrations en noir et blanc. Traduction de Fred A. Reed. Préface de Roy MacGregor. Postface de Jean Béliveau. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2012, 312 p. 42 illustrations en noir et blanc. Préface de Guylaine Girard.

Les Yeux de Maurice Richard, édition de 2012, couverture

Dix questions d’avant-match

Les Canadiens de Montréal — c’est du hockey — risquent l’élimination ce soir contre les Rangers de New York. Cela oblige l’amateur, ce gérant d’estrade, à se poser des questions.

(Ces questions ne sont pas sans rapport avec les clichés énumérés par l’Oreille tendue le 14 mai dernier.)

Les Montréalais pourront-ils forcer la tenue d’un septième match ?

Y aura-t-il des passagers ou tous les joueurs seront-ils impliqués ?

Seront-ils capables de puiser dans leurs ressources ? Joueront-ils du hockey inspiré ?

Qui se lèvera et élèvera son jeu d’un cran ? Le joueur clutch, cet homme des grandes occasions, ce money player, se manifestera-t-il ?

Un gardien sera-t-il plus fumant que l’autre ?

Le personnel d’entraîneurs saura-t-il apporter les ajustements nécessaires ?

Quelle équipe réussira la première à se forger une avance, voire une avance confortable ? Cette équipe pourrait dicter l’allure du match. Pour cela, il n’est pas plus mal de sortir des blocs gonflé à bloc (oui, c’est une diaphore).

Qui fermera les livres ?

Tant de questions, si peu de temps de glace.

P.-S. — Les expressions en italique ci-dessus rejoignent celles qui se trouvent dans Langue de puck. Abécédaire du hockey, le petit livre que faisait paraître l’Oreille tendue chez Del Busso éditeur en mars dernier.

 

Référence

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014), couverture

 

Mort d’un mythe

Devant la statue de Maurice Richard, mai 2000

Le 27 mai 2000, l’ancien joueur de hockey Maurice Richard meurt.

Aussitôt connue la mort, les partisans endeuillés se cherchent des points de ralliement. Le Forum de Forum, où Richard a joué tous les matchs de sa carrière avec les Canadiens de Montréal (1942-1960), est en cours de transformation en Centre Pepsi; ça ne fait pas l’affaire pour ces pleureurs de la première heure, pas plus que le Centre Molson, le nouveau domicile de l’équipe, jugé trop impersonnel. Quelques-uns fileront à l’Hôtel-Dieu, où Richard est mort, mais le lieu est trop peu associé au joueur pour pouvoir convenir. On est en quête d’un lieu symbolique susceptible de regrouper le plus grand nombre. Autrement dit : où se recueillir ?

Ce sera devant la maison de Richard, rue Péloquin, dans le nord de Montréal. On y déposera des souvenirs, des fleurs et des messages d’adieu. Les enfants sont nombreux à venir:

Ça fait déjà plus de 9 ans qu’on habite près de chez vous, nous vous avons toujours admiré. Malheureusement, votre départ nous laissera un grand vide dans notre cœur québécois.

C’est un proche, parfois un voisin, que l’on pleure.

Mais tout le monde ne sait pas où habitait Maurice Richard. On se réunira alors à l’aréna qui porte son nom et devant la statue qu’on y trouve. Des gens de toutes générations iront y offrir un tribut à leur héros. On revêtira le joueur de bronze du drapeau fleurdelisé du Québec et d’une écharpe aux couleurs des Canadiens. On laissera à ses pieds des fleurs, des dessins, des photos, des collages et des objets bigarrés (rondelle de ruban adhésif, chandelle, cigare, bâton de hockey). On lui confiera des masses de messages:

Il y a un être cher
de moins sur la terre
Mais… il y a une
étoile de plus au ciel.
Maurice CH #9.

Dans ces messages, l’emploi du prénom et le tutoiement sont monnaie courante : «À Dieu mon grand. On t’aime»; «Maurice. On dit pas adieu à un homme comme toi. On dit salut !!!»; «Ton souvenir est comme un livre bien aimé, qu’on lit sans cesse et qui jamais n’est fermé. Merci Maurice 9»; «Tes bras meurtris ont porté le flambeau. Maintenant, ils peuvent se reposer»; «Au Rocket, sois heureux et veille sur moi.» Les passants échangeront leurs souvenirs du Rocket, entre eux ou pour les journalistes. On viendra même prier.

(À suivre.)

P.-S. — Ce qui précède vient de l’ouvrage que l’Oreille tendue a fait paraître pour la première fois en 2006, les Yeux de Maurice Richard.

P.-P.-S. — Les citations sont tirées de la revue des Canadiens.

 

Références

Les Canadiens, vol. 15, no 7, 1999-2000.

Melançon, Benoît, les Yeux de Maurice Richard. Une histoire culturelle, Montréal, Fides, 2006, 279 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Nouvelle édition, revue et augmentée : Montréal, Fides, 2008, 312 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Préface d’Antoine Del Busso. Traduction : The Rocket. A Cultural History of Maurice Richard, Vancouver, Toronto et Berkeley, Greystone Books, D&M Publishers Inc., 2009, 304 p. 26 illustrations en couleurs; 27 illustrations en noir et blanc. Traduction de Fred A. Reed. Préface de Roy MacGregor. Postface de Jean Béliveau. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2012, 312 p. 42 illustrations en noir et blanc. Préface de Guylaine Girard.

Les Yeux de Maurice Richard, édition de 2012, couverture