En page B7 du Devoir d’hier : «Une mosaïque de “multipoqués”».
On peut imaginer que le lecteur non averti s’interrogera plus sur multipoqués que sur mosaïque, encore que la conjonction des deux substantifs étonne également.
Multipoqués ? Une personne, généralement un enfant ou un adolescent, souffrant de problèmes (les poques) additionnés (multi). Ces problèmes peuvent être aussi bien psychologiques (affectifs, comportementaux) que physiques.
Mais encore : une poque ? Le mot désigne la trace d’un coup ou d’une blessure (un bleu), ou une marque sur un fruit (la pomme qui a des poques n’attire pas le chaland) ou, plus généralement, sur un objet («I a une grosse poque sur ta nouvelle table», dixit Léandre Bergeron en 1981, p. 137). Est poqué quelqu’un qui a subi des blessures, parfois graves, ou qui se remet lentement d’excès, par exemple d’imbibition. Il va de soi qu’un objet peut aussi être poqué. Le verbe transitif poquer est attesté. Son complément est un objet : on peut poquer une table, pas un chaland.
Le multipoqué est donc quelqu’un qui se remet difficilement, voire pas du tout, d’une situation dont il a été la victime.
La question reste cependant ouverte : comment réunir les multipoqués dans une mosaïque ?
P.-S. — On ne confondra pas la puck, cette rondelle indispensable au hockey, et la poque qui peut résulter de la pratique de ce sport.
P.-P.-S. — Augustin Turenne faisait doublement erreur en 1962 quand il affublait poque d’un accent circonflexe et lui donnait le sens d’entaille (p. 82). Par définition, la poque n’est pas ouverte : elle se manifeste juste à la surface ou elle y affleure. (Turenne a aussi éraflure comme synonyme; ça se défend.)
[Complément du 26 mars 2019]
En 1937, la brochure le Bon Parler français classait «Poque», mis pour «Bosse», parmi les anglicismes (p. 18).
[Complément du 20 juin 2021]
Un poqué qui consomme de la drogue est un toxico-poqué, dixit le Devoir de cette fin de semaine : «Le regard à la fois généreux et implacable de Nan Goldin sur les toxico-poqués qui l’entouraient compte également parmi ses références.»
Références
Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise précédé de la Charte de la langue québécoise. Supplément 1981, Montréal, VLB éditeur, 1981, 168 p.
Le Bon Parler français, La Mennais (Laprairie), Procure des Frères de l’Instruction chrétienne, 1937, 24 p.
Turenne, Augustin, Petit dictionnaire du «joual» au français, Montréal, Éditions de l’Homme, 1962, 92 p. Avertissement de Guy Rondeau.