Trente-cinquième article d’un dictionnaire personnel de rhétorique

Antilogie

Définition

«Contradiction d’idées, dans un discours, un écrit» (le Petit Robert, édition numérique de 2014).

Exemples

«Il est certain que je ne pouvais tomber dans de meilleures, ni de plus mauvaises mains» (John Cleland, Fanny Hill, éd. de 1993, p. 69).

«Voilà comment votre Majesté, par un secret qui lui apartient exclusivement, fait toujours le bien qu’elle fait et celui qu’elle ne fait pas» (lettre de Grimm à Catherine II, [1784], Recherches sur Diderot et sur l’Encyclopédie, p. 47-48).

«Oh ! je m’y tiendrai absolument, ou je ne pourrai» (La Popelinière, Tableaux des mœurs du temps dans les différents âges de la vie, éd. de 1996, p. 180).

«Eh ! nous ne différons que du oui et du non, ce n’est qu’une bagatelle» (Marivaux, la Double Inconstance, acte I, scène VIII, éd. de 1989, p. 271).

 

Références

Cleland, John, Fanny Hill. La fille de joie. Récit quintessencié de l’anglais par Fougeret de Montbron, France, Belgique et Suisse, Actes Sud, Labor et l’AIRE, coll. «Babel», 61, 1993, 122 p. Lecture d’Elsa Grasso et Guillaume Badoual. Édition de 1751.

Karp, Sergueï et Sergueï Iskul, avec la collaboration de Georges Dulac et de Nadejda Plavinskaya, «Les lettres inédites de Grimm à Catherine II», Recherches sur Diderot et sur l’Encyclopédie, 10, avril 1991, p. 41-55. http://www.persee.fr/doc/rde_0769-0886_1991_num_10_1_1099

La Popelinière, Alexandre Joseph de, Tableaux des mœurs du temps dans les différents âges de la vie, Paris, Union générale d’éditions, coll. «10/18», 2794, série «Domaine français», 1996, 285 p. Préface de Roger Vailland. Postfaces de Pierre Josserand et Jacques Haumont. Édition originale : vers 1750.

Marivaux, la Double Inconstance, dans Théâtre complet. Tome premier, Paris, Bordas, coll. «Classiques Garnier», 1989, p. 237-315 et p. 1053-1059. Texte établi, avec introduction, chronologie, commentaire, index et glossaire par Frédéric Deloffre. Nouvelle édition, revue et mise à jour avec la collaboration de Françoise Rubellin. Édition originale : 1723.

Les fourberies de…

On se demande parfois ce qu’est l’utilité des œuvres classiques. Sont-elles toujours d’actualité ?

Prenons un exemple. Le Théâtre du Nouveau Monde, «Le théâtre de tous les classiques, ceux d’hier et de demain», présente ces jours-ci une pièce du répertoire du XVIIe siècle.

Aux Ve et VIe scènes du deuxième acte, le personnage le plus fourbe de la pièce se donne pour mission de convaincre un père de famille naïf que celui-ci doit payer tout de suite une somme importante, histoire de ne pas avoir à payer une somme encore plus élevée dans le futur. À force de tromperies et d’arguments fallacieux, le fourbe arrivera à ses fins.

Toute ressemblance entre les Fourberies de Scapin de Molière et la gestion de la rémunération, actuelle et à venir, de certains types de personnel dans le système de santé québécois serait, évidemment, le fruit du hasard.

L’oreille tendue de… Gustave Desnoiresterres

Lemonnier, «Première lecture, chez Madame Geoffrin, de L’Orphelin de la Chine, tragédie de Voltaire, en 1755», 1812

«Il n’y avait pas que des violents, que des paysans du Danube, dans ce Paris. Il y avait, et nous le savons, des dominateurs par l’esprit, et chaque salon subissait l’influence plus ou moins absolue de l’un de ces causeurs armés jusqu’aux dents, autour desquels on se pressait, l’oreille tendue, prêts à applaudir aux moindres choses qui sortaient de leurs lèvres : un Rivarol, un Chamfort, un Rulhières.»

Gustave Desnoiresterres, la Comédie satirique au XVIIIe siècle, Paris, Librairie académique Didier, Émile Perrin, libraire-éditeur, 1885, 458 p., p. 141.

 

Illustration : Anicet Charles Gabriel Lemonnier, «Première lecture, chez Madame Geoffrin, de L’Orphelin de la Chine, tragédie de Voltaire, en 1755», 1812.

Aidons (encore) les Robert

L’Oreille tendue est volontiers donneuse de leçons. Prenez l’expression gueule d’empeigne.

Le Petit Robert (édition numérique de 2014) la définit ainsi : «LOC. FAM. (1793, non injurieux) Gueule (face) d’empeigne, injure.» Cette définition appelle trois commentaires.

D’une part, le passage de «non injurieux» à «injure» mériterait éclaircissement.

D’autre part, donner un exemple, ce serait bien, celui-ci, par exemple, tiré de la parade de Beaumarchais intitulée les Députés de la Halle et du Gros Caillou :

La mère Chaplu [à La mère Fanchette]. — Qui, moi ? Apprends, gueule d’empeigne, qu’la mère Chaplu n’a jamais rien pris à personne et qu’personne n’a jamais rien pris à la mère Chaplu qu’en tout bien z’et en tout honneur. Tout l’monde n’te r’semble pas, Dieu merci ! (éd. Allem et Paul-Courant 1957, p. 566)

Enfin, Jean-Pierre de Beaumarchais dit que cette parade aurait été rédigée «vers 1760» (p. 1773). Un de ses éditeurs, Pierre Larthomas, écrit : «on peut conclure que la parade a été jouée une des années 1760-1763» (p. 109). Cela obligerait à revoir, de quelques décennies, la datation proposée par le Robert de 2014.

Pour le Dictionnaire historique de la langue française, sous la direction d’Alain Rey, ça va moins bien encore :

Le mot [empeigne] désigne le dessus d’une chaussure, du cou-de-pied jusqu’à la pointe. <> Depuis la fin du XIXe s., il est employé dans la locution gueule (face) d’empeigne, terme d’injure («visage laid et ridicule» et par extension «individu désagréable»); la valeur péjorative vient sans doute de peigne «partie du pied», appuyée par divers emplois régionaux d’empeigne («morceau de cuir», «peau d’animal», etc.) (éd. de 1992, t. 1, p. 682; éd. de 2016, t. 1, p. 773).

«Depuis la fin du XIXe s.» ? Non, on l’a vu.

Une dernière chose. Dans son édition de 1977 des Parades de Beaumarchais, Pierre Larthomas indique un sens légèrement différent : «L’expression gueule d’empeigne est citée par Lorédan Larchey et par Virmaitre (Dictionnaire d’argot fin de siècle) qui remarque : Dans tous les ateliers de France, gueule d’empeigne signifie bavard intarissable qui a le verbe haut, qui gueule constamment» (p. 123 n. 28).

Ça fait désordre, tout ça.

P.-S.—«Encore» ? Oui, ce n’est pas la première fois que l’Oreille ergote sur le contenu de son dictionnaire de prédilection. Voyez les textes du 4 novembre 2010, du 12 avril 2013, du 16 septembre 2016, du 12 février 2016, du 13 mai 2016 et du 25 décembre 2016.

 

Références

Beaumarchais, Théâtre. Lettres relatives à son théâtre, Paris, Gallimard, coll. «Bibliothèque de la Pléiade», 22, 1957, xvi/855 p. Texte établi et annoté par Maurice Allem et Paul-Courant.

Beaumarchais, Parades, Paris, Société d’édition d’enseignement supérieur, 1977, 380 p. Édition critique de Pierre Larthomas.

Beaumarchais, Jean-Pierre de, «Poissard (genre)», dans Jean-Pierre de Beaumarchais, Daniel Couty et Alain Rey (édit.), Dictionnaire des littératures de langue française : P – Z, Paris, Bordas, 1984, tome 3, p. 1772-1773.

Rey, Alain (édit.), Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Dictionnaires le Robert, 1992, 2 vol., xxi/2383 p. Nouvelle édition : 2016, 2 vol., xvii/2767 p.

Le zeugme du dimanche matin et de Beaumarchais

La Mère coupable, créée le 26 juin 1792 au Théâtre du Marais, acte IV, sc. XIII, édition de 1876

«Je vous renvoie tous vos reproches, le portrait que j’ai fait de vous, et la boucle de cheveux que je vous dérobai.»

Beaumarchais, la Mère coupable, dans Théâtre, Paris, Garnier, coll. «Classiques Garnier», 1980, xxxi/475 p., p. 358, acte II, sc. I. Texte établi, introduction, chronologie, bibliographie, notices, notes et choix de variantes par Jean-Pierre de Beaumarchais. Édition originale : 1792.

 

Illustration : la Mère coupable, créée le 26 juin 1792 au Théâtre du Marais, acte IV, sc. XIII, dans Œuvres complètes de Beaumarchais, Paris, Laplace, Sanchez et Cie, 1876.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)