N’en soyez pas un, si possible

Québec Redneck Bluegrass Project, J’ai bu, 2020, couverture

L’échelle de la bêtise, dans le français populaire du Québec, ne manque pas de barreaux; on en a déjà vu plusieurs exemples.

Ajout du jour : le taouin, en ses deux graphies (au moins).

Le Wiktionnaire le donne comme synonyme de jigon, tarla et toton, en deux graphies : taouin, tawin. Ce n’est pas un compliment.

Étienne Tremblay (p. 234) et Fabien Cloutier (p. 85) optent pour la première.

Yan Hamel (p. 72) et le Québec Redneck Bluegrass Project (p. 52), pour la seconde.

C’est comme ça.

 

Références

Cloutier, Fabien, l’Allégorie du tiroir à ustensiles. Chroniques et monologues pour se replonger dans les années 2018-2022, Montréal, Lux éditeur, 2022, 224 p. Dessins de Samuel Cantin.

Hamel, Yan, Paris en miettes, Montréal, Boréal, coll. «Liberté grande», 2023, 205 p. Ill.

Québec Redneck Bluegrass Project, J’ai bu, Spectacles Bonzaï et Québec Redneck Bluegrass Project, 2020, 239 p. Ill. Avec un cédérom audio.

Tremblay, Étienne, le Plein d’ordinaire. Roman, Montréal, Les Herbes rouges, 2023, 315 p.

Citation carcérolinguistique du jour

Maud De Palma-Duquet, Bénévolat, 2023, couverture

Anthony a tué quelqu’un. En prison, histoire de respecter son «plan correctionnel» (p. 40), il suit un cours de français.

Le cours est donné par une bénévole, Amaryllis, qui souhaite bonifier, par cette activité, son dossier de candidature à l’école de médecine.

Ils ne viennent pas du même milieu et ils n’ont pas tout à fait la même conception de la langue. Qu’Anthony ait des difficultés à écrire ne l’empêche pas de voir en quoi la langue peut servir des intérêts de classe.

J’écris comme d’la marde. J’ai toujours écrit comme d’la marde pis j’vas continuer d’écrire comme d’la marde. C’est ben plate, mais c’est d’même ! Bien écrire ça sert yinke à du monde comme toi. Les règles compliquées, les câlisses de ph qui se prennent pour des f ou les i avec deux points au-dessus au lieu d’un, ç’a été inventé pour que vous puissiez vous reconnaitre ent’vous aut’ ! Si le monde comme moi se mettait toute à ben écrire pis à ben parler, vous serriez fourrés en tabarnak… vous sauriez pu comment nous différencier ! (p. 22-23)

C’est à se demander qui est le maître et qui est l’élève.

 

Référence

De Palma-Duquet, Maud, Bénévolat, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 36, 2023, 99 p. Précédé d’un «Mot de l’autrice». Suivi de «Contrepoint. Le chanter ou le dire ?», par Mohamed Lotfi.

D’Hydro

Salaün, Franck, «Le “feu électrique” selon Diderot», 1998, titre de l’article

Les spectateurs du Québec sont exposés, depuis quelques années, à plusieurs créations de théâtre documentaire, de Faire l’amour aux Hardings.

Beaucoup de Québécois sont fiers de la société qui produit leur énergie électrique, Hydro-Québec.

L’Oreille tendue a publié sa thèse de doctorat, en 1996, sur la correspondance de Denis Diderot.

Quel est le rapport entre ces trois choses ? Le lait, bien sûr.

Justin Laramée est le concepteur d’une (excellente) pièce de théâtre, Run de lait. («Run de lait» ? Par ici.) On y apprend tout ce que l’on doit savoir sur l’industrie laitière au Québec. (On ne ricane pas dans le fond de la classe : c’est passionnant.) L’Oreille a vu le spectacle mercredi soir à La Licorne, à Montréal.

Puisqu’il s’agit de théâtre documentaire, l’auteur (et comédien principal) fait deux allusions à J’aime Hydro, de Christine Beaulieu, le plus grand succès du genre au Québec, devant son acolyte, Benoît. (Il a été question de J’aime Hydro par .) Dans la première, en espagnol, un ouvrier guatémaltèque évoque la pièce auprès de Justin Laramée, non sans surprise chez celui-ci. Dans la seconde, un transformateur laitier du Saguenay—Lac-Saint-Jean raconte s’être trompé à la salle Michel-Côté d’Alma. Il pensait assister à une représentation de la pièce de Beaulieu et il est tombé sur un spectacle où il était question de Jacques le fataliste, de l’Encyclopédie et des Lumières : il ne s’agissait pas d’Hydro, mais de Diderot — et le spectateur-transformateur n’était pas content.

L’Oreille tendue peut parfaitement se mettre dans sa peau. Pour des raisons amicales puis conjugales, en effet, elle a beaucoup entendu parler d’Hydro-Québec au fil des ans. À toutes les fois, elle pensait «Diderot Québec ?». Elle se croyait toute seule à souffrir de ce problème auditif. Que nenni !

Racontant sa situation sur Twitter, l’Oreille a eu droit à une réponse d’une romancière — «Et dans la chanson “Lignes d’Hydro” de Lisa LeBlanc, j’entends toujours “lignes Diderot” !» —, puis d’une professeure de cégep — «J’ai aussi vu cela dans une réponse d’examen, “Denis D’Hydro”».

Il est bon de savoir que l’on n’est pas seul.

P.-S.—C’est vrai : ce n’est pas la première fois que cette confusion apparaît en ces lieux.

 

[Complément du 21 février 2025]

La personne qui a saisi les paroles de la chanson «My name was» (2012) d’Ivy souffre du même trouble auditif — à moins de croire qu’il s’agisse bel et bien d’une double allusion aux Lumières françaises (Diderot, Voltaire).

Ivy, «My name was», 2012, extrait des paroles

 

[Complément du 23 février 2025]

L’Oreille tendue a annoncé sur Bluesky le complément du 21 février. Réponse, illustration à l’appui, de Gilles Desjardins : «Dans les années 80, le très brillant artiviste Philippe Côté produisait des commentaires sur la société, l’art, etc., sous la forme de cartes plastifiées qu’il distribuait comme des cartes d’affaires. Plusieurs parlaient de “Diderot-Québec”.»

C’est trop beau pour être vrai.

Philippe Côté, «Diderot Québec», carte plastifiée, Québec, années 1980

 

Références

Beaulieu, Christine, J’aime Hydro, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 13, 2017, 253 p. Illustrations de Mathilde Corbeil.

Bürger, Alexia, les Hardings, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 19, 2019, 99 p. Ill. Suivi de Ouanessa Younsi, «Contrepoint. Être Thomas Harding».

Melançon, Benoît, Diderot épistolier. Contribution à une poétique de la lettre familière au XVIIIe siècle, Montréal, Fides, 1996, viii/501 p. Préface de Roland Mortier. https://doi.org/1866/11382

Olivier, Anne-Marie, Faire l’amour, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 01, 2014, 110 p. Ill.

Salaün, Franck, «Le “feu électrique” selon Diderot», Recherches sur Diderot et sur l’Encyclopédie, 53, 2018, p. 279-285. https://doi.org/10.4000/rde.5738