Du flau/flot/flow/flo

Soit un enfant, au Québec. Un de ses synonymes pose deux problèmes.

1. De graphie

Dans l’Hiver de force, Réjean Ducharme écrit «flaux» (1973, p. 130).

Hervé Bouchard préfère «flots», tant dans Numéro six (2014, p. 51) que dans Parents et amis sont invités à y assister (2014, p. 18).

«Flows», avance Jocelyn Bérubé (2003, p. 27).

La graphie «flo(s)» est probablement la plus fréquente. On la trouve chez Alice Michaud-Lapointe (2014, p. 159), chez Beaudet et Boily (2011, p. 22), chez Pierre Szalowski (2012, p. 228), chez Léandre Bergeron (1980, p. 229).

Ça fait désordre.

2. D’étymologie

Il y a les explications fausses (et méchantes). Dans son Dictionnaire québécois instantané, l’Oreille tendue définissait ainsi le «flo» : «Gniard, chiard, moutard (par attraction avec fléau)» (2004, p. 96). Ephrem Desjardins va dans le même sens (2002, p. 84).

Il y a les explications poétiques. Le mot est populaire en Gaspésie, région québécoise «entourée des eaux du fleuve Saint-Laurent au nord, du golfe St-Laurent à l’est et de la baie des Chaleurs au sud» (merci Wikipédia). L’énergie des enfants évoquerait le mouvement de l’eau. Dans ce cas, il faudrait favoriser la graphie flot.

Il y a les explications bretonnes. Selon @revi_redac, flau/flot/flow/flo viendrait de floc’h (damoiseau).

Il y a les explications anglaises. Le dictionnaire en ligne Usito cite l’Index lexicologique québécois qui lui-même cite le Dictionnaire Bélisle de la langue française au Canada de 1957, cela pour évoquer une origine liée à fellow.

Ça fait aussi désordre.

P.-S. — Toujours selon Usito, floune serait le féminin de flo. Voilà qui alimentera la banque québécoise des mots en –oune.

 

Références

Beaudet, Marc et Luc Boily, Gangs de rue. Les Rouges contre les Bleus, Brossard, Un monde différent, 2011, 49 p. Bande dessinée.

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

Bérubé, Jocelyn, Portraits en blues de travail, Montréal, Planète rebelle, coll. «Paroles», 2003, 94 p. Ill. Préface de Jean-Marc Massie. Accompagné d’un cédérom.

Bouchard, Hervé, Numéro six. Passages du numéro six dans le hockey mineur, dans les catégories atome, moustique, pee-wee, bantam et midget; avec aussi quelques petites aventures s’y rattachant, Montréal, Le Quartanier, 2014, «série QR», 80, 2014, 170 p.

Bouchard, Hervé, Parents et amis sont invités à y assister. Drame en quatre tableaux avec six récits au centre, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 14, 2014, 238 p.

Desjardins, Ephrem, Petit lexique de mots québécois à l’usage des Français (et autres francophones d’Europe) en vacances au Québec, Montréal, Éditions Vox Populi internationales, 2002, 155 p.

Ducharme, Réjean, l’Hiver de force. Récit, Paris, Gallimard, 1973, 282 p. Rééd. : Paris, Gallimard, coll. «Folio», 1622, 1984, 273 p.

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Michaud-Lapointe, Alice, Titre de transport, Montréal, Héliotrope, coll. «K», 2014, 206 p.

Szalowski, Pierre, Mais qu’est-ce que tu fais là, tout seul ?, Montréal, Hurtubise, 2012, 360 p.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2004, couverture

Unité de temps

Hervé Bouchard, Parents et amis sont invités à y assister, 2014, couverture

Soit les phrases suivantes, tirées de Parents et amis sont invités à y assister. Drame en quatre tableaux avec six récits au centre d’Hervé Bouchard (2014) :

J’ai le souvenir de m’étendre sous le ciel de mon lit dans le soir et d’attendre le sommeil comme une feuille que le vent pousse. Il arrive enfin, je tombe, pas longtemps, je sais pas, une petite secousse, la maison se balance au souffle des orphelins endormis, j’ai raté quelque chose, je me lève, je vais vers eux dans le noir, je vois rien, ce sont des morts qui respirent, ce sont des empilés qui bougent (p. 64).

Qu’y désigne le mot secousse ? On peut l’entendre doublement.

D’une part, il évoque un «mouvement brusque qui ébranle un corps» (le Petit Robert, édition numérique de 2014). C’est bien à cela que renvoient les mots «la maison se balance» : «une petite secousse, la maison se balance».

D’autre part, secousse est aussi, au Québec, une unité de temps, fort imprécise : Je reviendrai dans une petite secousse. (@TigrouMalin le faisait remarquer un jour sur Twitter.) La grand-mère de l’Oreille tendue disait plutôt escousse. (C’est la même chose et ce n’est pas plus précis.) Ce mot peut avoir le sens, comme ici, de «pas longtemps» : «pas longtemps, […] une petite secousse».

On est ébranlé et on attend (peu), chez Bouchard.

 

[Complément du 20 août 2018]

Occurrence romanesque, non grand-maternelle, chez Christophe Bernard, dans la Bête creuse (2017) : «Il s’était pas mis riche en vendant, mais ça faisait rien, il allait quand même pouvoir se laisser vivre une escousse des fruits de la transaction, largement à son tour que c’était d’offrir à boire aux lurons» (p. 79).

 

[Complément du 26 mars 2019]

En 1937, la brochure le Bon Parler français considérait «Une bonne secousse», mis pour «Assez longtemps», comme une «locution vicieuse» (p. 13).

 

[Complément du 2 janvier 2020]

Le pluriel est plus rare, mais on le trouve dans Expo habitat de Marie-Hélène Voyer (2018) : «Il faut fuir retrouver les chemins cahoteux les chemins de débarques et de débâcles oublier les heures revenir aux escousses […]» (p. 135).

 

Références

Bernard, Christophe, la Bête creuse. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 14, 2017, 716 p.

Le Bon Parler français, La Mennais (Laprairie), Procure des Frères de l’Instruction chrétienne, 1937, 24 p.

Bouchard, Hervé, Parents et amis sont invités à y assister. Drame en quatre tableaux avec six récits au centre, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 14, 2014, 238 p.

Voyer, Marie-Hélène, Expo habitat, Chicoutimi, La Peuplade, 2018, 157 p.

Accouplements 22

La Presse+, 15 avril 2015

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux textes d’horizons éloignés.)

Pour les Canadiens de Montréal — c’est du hockey —, les séries éliminatoires commencent ce soir.

Cela devrait réveiller la passion du chroniqueur Patrick Lagacé :

«Je suis un fan de hockey à l’image des fumeurs sociaux. Je prends une poffe de temps en temps, ne devenant accro que lorsque le CH s’illustre en séries» (la Presse+).

Et l’intérêt d’un des personnages de la pièce Faire l’amour d’Anne-Marie Olivier (2014) :

«Homme. J’écoute le hockey.
Femmes. Moi, juste les séries» (p. 25).

Ce sera leur vraie saison.

 

Référence

Olivier, Anne-Marie, Faire l’amour, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 01, 2014, 110 p. Ill.

Accouplements 20

Chloé Savoie-Bernard, Royaume scotch tape, 2015, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux textes d’horizons éloignés.)

En 2009, Anne-Marie Olivier présente à Québec un solo théâtral, Annette. Une fin du monde en une nanoseconde. Il y est question de tricot et d’aiguilles à tricoter : avec de la laine, sur une patinoire de hockey, dans les mains des avorteurs.

En 2015, Chloé Savoie-Bernard publie à Montréal un recueil de poésie, Royaume scotch tape. On y lit ces deux vers :

des aiguilles à tricoter qui rentrent dedans
comme dans une open house (p. 68)

Le poème «camping de pauvre» (p. 27-29) s’ouvre sur le vers «je ne suis pas tricotée serrée» (p. 27) et il est scandé par le mot «maille».

Puis, dans «boogie nights au protoxide d’azote», on lit :

ta chair en lambeaux
j’en ai fait
un tricot (p. 42)

Voilà deux très fortes mises en discours de la violence faite aux femmes.

 

Références

Olivier, Anne-Marie, Annette. Une fin du monde en une nanoseconde, Montréal, Dramaturges éditeurs, 2012, 53 p.

Savoie-Bernard, Chloé, Royaume scotch tape, Montréal, L’Hexagone, 2015, 74 p.