Youpi, en bien mieux

Soit le tweet suivant :

«CAVALCADE EN CYCLORAMA meilleur vendeur 2013 au Port de tête, booya !» (@K_Phaneuf)

Booya, donc.

Jusqu’alors, l’Oreille tendue n’avait entendu cette expression marquant une très grande (auto) satisfaction que dans son cercle familial élargi (n = 2).

Elle avait tout faux. Booya (en ses diverses graphies) est bien connu en anglais, ainsi que le révèle cette entrée du Urban Dictionary.

L’Oreille stands corrected.

 

[Complément du 10 janvier 2014]

Aveu de @K_Phaneuf : «J’ai adopté le “booya” en lisant les aventures parodiques de Chuck Norris

 

[Complément du 22 octobre 2019]

Variation graphique chez le Guillaume Corbeil du Meilleur des mondes (2019) : «Bouh-ya !» (p. 143)

 

Référence

Corbeil, Guillaume, le Meilleur des mondes. D’après Aldous Huxley. Théâtre, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 139, 2019, 238 p.

Fromage plâtreux

L’Oreille tendue est père. Une de ses activités paternelles du temps des Fêtes fut d’assister, avec son cadet, au spectacle Geronimo Stilton dans le royaume de la fantaisie. L’Oreille a beau être père, elle n’en est pas moins tendue pour autant.

I.

Vous le savez : l’Oreille n’est pas du genre à s’effaroucher parce que, sur scène, le passé simple côtoie le slam. En revanche, elle se demande toujours pourquoi des concepteurs de spectacle se croient drôles parce qu’ils jouent du décrochage, chez le même personnage, des accents, de l’accent le plus neutre au gros accent québécois. Ils ne savent pas que nous sommes en 2013 et que cela a été fait mille fois ? Croient-ils vraiment nécessaire d’éduquer nos chères têtes blondes à cette alternance codique parfaitement éculée ?

II.

Si ses oreilles ne l’ont pas trompée, l’Oreille a entendu un homard chanter «Nous devons se sauver». Elles saignent encore.

III.

Au-dessus de la scène, des images étaient projetées, dont celle-ci :

Geronimo Stilton dans le royaume de la fantaisie

Personne ne s’est aperçu qu’il fallait «leurs» au lieu de «ses» ?

Geronimo Stilton dans le royaume de la fantaisie n’était probablement pas un spectacle éducatif.

Longue citation chorale du samedi matin

Hommage à la langue française (Chœur parlé), 1937, couverture

En 1937, le père Laurent Tremblay, o.m.i., fait paraître à Hull (Québec), à l’enseigne du Comité central des Ligues de retraitants, une brochure de vingt pages, suivies de plusieurs pages de publicité, Hommage à la langue française (Chœur parlé). Du XVIe au XXe siècle, l’auteur brosse à grands traits l’histoire du peuple né de la «semence immortelle» jetée par la France en Amérique.

Les dernières pages (p. 18-20) mettent en scène la langue française.

«LE DISEUR :—Que voulez-vous donc ?

LES MUSES :—Que voulez-vous donc ?

TOUS :—Nous voulons NOTRE LANGUE ! (Archi-terrible)

(La Langue Française apparaît en Reine richement parée.
Pages. Décors. Féeries. Rien d’efféminé. Sur elle, l’inscrip-
tion “JE ME SOUVIENS”.)

LA LANGUE FRANÇAISE :—Me voici.

(Coup de théâtre, déplacement général. L’orchestre ac-
compagne bruyamment comme pour une présentation d’armes.)

TOUS :—Vive la Langue Française !

LE DISEUR :—Elle règne depuis cinq cents ans sur un trône de gloire et de fierté.

LES MUSES :—Toujours jeune, depuis le temps des Troubadours et des Trouvères.

TOUS :—Toujours au service des grandes causes.

LE DISEUR :—Illustrée par des grands génies.

LA LANGUE :—(Posément et fermement, avec beaucoup de noblesse) Ma gloire principale est d’avoir servi la Foi.

LES MUSES :—La vérité.

LE PRÊTRE :—L’Église.

TOUS :—La civilisation.

LA LANGUE :—Dieu m’avait beaucoup donné. Je suis née sur les lèvres de la Fille Aînée de l’Église. J’ai beaucoup reçu.

LE DISEUR :—Et beaucoup rendu.

LA LANGUE :—Je veux donner encore ! c’est pourquoi je suis restée jeune.

LES MUSES :—Féconde.

LE DISEUR :—Vénérée.

TOUS :—Bien-aimée.

LA LANGUE :—(Autoritaire) Et respectée !… Ce tribut est mon droit. Cet hommage, je le revendique, je l’impose, je le prescris, je l’ordonne.

LES MUSES :—En Reine ?

LA LANGUE :—En Mère.

TOUS :—Tu l’auras. (En crescendo, comme plus haut pour le “non”)

LA LANGUE :—Je veux ma vraie place dans les cœurs.

TOUS :—Tu l’auras.

LA LANGUE :—À l’école.

LES ENFANTS :—Tu l’auras.

LA LANGUE :—Au foyer.

LES FEMMES :—Tu l’auras.

LA LANGUE :—À l’église.

LE PRÊTRE :—Tu l’auras.

LA LANGUE :—Au comptoir.

LES HOMMES :—Tu l’auras.

LA LANGUE :—Dans la rue.

TOUS :—Tu l’auras.

LA LANGUE :—À la radio.

LES MUSES :—Tu l’auras.

LA LANGUE :—Au téléphone.

LES FILLES :—Tu l’auras.

LA LANGUE :—Au Parlement.

LE DISEUR :—Tu l’auras.

LA LANGUE :—Au théâtre.

LES MUSES :—Tu l’auras.

LA LANGUE :—Sur les enseignes, sur les monnaies, sur les timbres et les imprimés officiels.

TOUS :—Tu l’auras.

LA LANGUE :—Partout.

TOUS :—Tu l’auras.

LA LANGUE :—Je veux que l’on me parle parfaitement.

TOUS :—Nous le ferons.

LA LANGUE :—Que l’on m’écrive correctement.

TOUS :—Nous le jurons.

LA LANGUE :—Souvenez-vous que je suis claire et qu’entre mille mots je choisis le terme propre.

TOUS :—Nous nous corrigerons.

LA LANGUE :—Il suffit d’un mot louche et rustaud, d’un anglicisme vilain pour me défigurer.

TOUS :—Nous nous surveillerons.

LA LANGUE :—Gardez-vous de bannir votre parlure ancienne, et de mépriser les vieux mots apportés de France. J’y tiens comme une grand’mère tient à ses gages de fiançailles, comme une reine tient à ses premiers bijoux.

TOUS :—Nous garderons notre ancienne parlure. Nous conserverons et ressusciterons nos vieux mots.

LA LANGUE :—Chérissez, aimez, défendez, et gardez votre langue française, c’est elle qui vous gardera.

(Enveloppée de nuages, la Langue Française s’élève, et
disparaît comme le Sauveur au jour de l’Ascension. Tous, les
yeux fixés sur elle, lui envoient de la main un amoureux baiser.
La mélodie monte, puis s’éteint. Un temps de religieux silence.)

TOUS :—(Bien scandé avec émotion et résolution) Aimons, chérissons, défendons, gardons notre Langue Française, c’est elle qui nous gardera.

(L’orchestre reprend triomphalement les cinq dernières mesures
du refrain de “JADIS LA FRANCE SUR NOS BORDS”. En-
suite, les figurants et toute l’assistance chantent un vibrant “Ô
CANADA”.

—RIDEAU—»

 

[Complément du 16 septembre 2014]

L’Oreille tendue vient de faire paraître une courte analyse de la place de Voltaire dans ce texte. Voir dans les références ci-dessous.

 

Références

Melançon, Benoît, contribution au dossier «Enquête sur la réception de Candide (XII). Coordonnée par Stéphanie Géhanne Gavoty et André Magnan», Cahiers Voltaire, 13, 2014, p. 239-242.

Tremblay, Laurent, Hommage à la langue française (Chœur parlé), Hull, Comité central des Ligues de retraitants, 1937, 20 p.

Antidote littéraire

Réjean Ducharme, HA ha !…, 1982, couverture

Hier, à Ottawa, le gouverneur général du Canada, David Johnston, a fait lecture du discours du Trône du gouvernement fédéral.

Article du Devoir :

Le septième discours du Trône de Stephen Harper lu mercredi par le gouverneur général se veut [sic] le plan de match des troupes pour le dernier sprint d’ici la prochaine élection générale. Et pour ce faire, il table sur des valeurs conservatrices sûres : la gestion financière serrée de l’appareil étatique, le resserrement de la justice criminelle et la glorification des exploits militaires.

À ce genre de texte, l’Oreille tendue préfère Réjean Ducharme :

Des déclics de magnétophone, des cris de bande rembobinée. Lumières. Roger qui recommence l’enregistrement de son «Bedit Discours». Il le lit sur un bout de papier froissé en se bouchant le nez.

Roger : Bedit Discours du trône à quatre pattes dont deux molles : «La nouvelle pissance bio-dégradante du Danemark amélioré aux enzymes ravive les gouleurs foncées du Saint-Relent, le fleuve qui l’arrose, comme une mouffette. (Il fait jouer le nouvel enregistrement. Il se félicite en s’écoutant : ) Infect !… Abject !… Ignoble !… Répugnant !… Ah stextra ! stexcellent ! (HA ha !…, p. 15)

Cet incipit théâtral change de la prose de Stephen Harper.

 

Référence

Ducharme, Réjean, HA ha !…, Montréal, Lacombe, 1982, 108 p. Préface de Jean-Pierre Ronfard.

Jurons mou

Duchateau et Denayer, les Casseurs, 1988

On a eu maintes fois l’occasion de le constater : au Québec, plusieurs jurons (tabarnak) ont une forme euphémisée (tabarnan[ne]).

Il en va de même avec crisse dont on connaît une variante en crime, voire en crimepoff(e).

Exemple publicitaire. La brasserie Sleeman, à la télévision, aime bien mettre en scène son passé trouble, voire criminel. Son slogan ? Sa bière est «bonne en crime.»

P.-S. — L’illustration ci-dessus est tirée de la bande dessinée les Casseurs (éd. de 1988, p. 17).

 

[Complément du 29 août 2016]

Crimepoff(e) a vraisemblablement transité par l’anglais (cream puffs, choux à la crème).

 

[Complément du 25 août 2019]

Un personnage de la pièce Lignes de fuite (2019) de Catherine Chabot lance ceci : «Je suis peut-être vieux jeu, mais crime-pof !» (p. 31) Dire «crime-pof» est la preuve que l’on est «vieux jeu».

 

[Complément du 11 décembre 2021]

Dans la Presse+ du jour, une pub jouant de l’homophonie crime / crème.

«Crème qu’on aime les Fêtes», publicité, la Presse+, 11 décembre 2021

 

Références

Chabot, Catherine, Lignes de fuite, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 20, 2019, 130 p. Ill. Suivi d’Aurélie Lanctôt, «Une génération dans le miroir».

Duchateau, André-Paul et Christian Denayer, les Casseurs. Match-poursuite. Une histoire du journal Tintin, Bruxelles et Paris, Éditions du Lombard, coll. «Les casseurs», 15, 1988, 48 p. Repris dans Denayer & Dûchateau, les Casseurs. L’intégrale, Bruxelles, Le Lombard, 2010, vol. 5.