Question de graphie

On voit kossé : «L’évaluation des chargés de cours : “kossé que ça donne ?”» (Cité éducative, avril 2001).

On voit quossé, notamment dans le Dictionnaire québécois instantané cosigné par l’Oreille tendue en 2004.

On voit quecé, parfois précédé de de : «Haïti en folie. Pawol chouchoun ? De quecé ?» (la Presse, 22 juillet 2011, cahier Arts et spectacles, p. 6).

On voit quessé : «Quesséçâ ?» (publicité du Syndicat des fonctionnaires municipaux de Montréal, 2010); «Si j’fais pas ça, stie d’tabarnak, quessé m’as faire, crisse ?» (Simon Boudreault, Sauce brune, p. 81).

On voit kessé : «Kessé tu veux répondre à ça ?» (sur Twitter, hier soir).

Bref, cette forme, mise pour ce que ou qu’est-ce que, n’a pas de graphie fixe.

Ça fait désordre.

 

[Complément du 24 janvier 2015

Histoire de simplifier la vie de ses lecteurs, le Devoir des 24-25 janvier 2015 propose une traduction instantanée du terme (p. C2).

 

Le Devoir, 24-25 janvier 2015, p. C2

 

Références

Boudreault, Simon, Sauce brune, Montréal, Dramaturges éditeurs, 2010, 137 p.

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2004, couverture

Un mot peut en cacher un autre

«Posons des gestes», dit la Ville de Montréal

Dans sa vie professionnelle, l’Oreille tendue fréquente nombre de collègues hexagonaux. Ce sont eux qui lui ont appris — ô étonnement ! — ne pas connaître l’expression poser un geste. Pourtant, pour elle, rien de plus banal : dans les médias comme dans la conversation, au Québec, le geste appelle poser, comme Abbott, Costello (les lecteurs peuvent remplacer ce duo par celui de leur choix).

Son Petit Robert (édition numérique de 2010) considère lui aussi l’expression comme un régionalisme : «(Canada) Poser un geste : entreprendre une action. Poser un geste pour la planète

Voilà pourquoi telle manchette de la Presse attire l’œil de l’Oreille : «Les sauveteurs n’ont pas fait les bons gestes, dit la coroner» (23 juin 2011, p. A16). Sous ce «fait», il y a un «posé» qui gît.

P.-S. — L’expression n’est pas particulièrement récente. On la trouve dans la bouche d’un des personnages de Gratien Gélinas en 1950 : «Le geste irréparable que tu vas poser là, ma fille, tu sais qu’il n’est pas beau […]» (p. 186).

 

[Complément du 28 octobre 2015]

Ce matin, ce tweet :

 

Référence

Gélinas, Gratien, Tit-Coq. Pièce en trois actes, Montréal, Beauchemin, 1950, 196 p. Ill.

Divergences transatlantiques 016

En manchette, dans la Presse du 25 avril 2011 : «La réforme du cabaret» (p. A2-A3).

Souhaite-t-on réformer un «Établissement où l’on sert des boissons» ou encore un «Établissement où l’on présente un spectacle et où les clients peuvent consommer des boissons, souper, danser» (le Petit Robert, édition numérique de 2010) ? Que nenni. Il s’agit en fait de rappeler que plusieurs cafétérias scolaires québécoises essaient de chasser la malbouffe de leur menu.

Que vient faire le «cabaret» dans cette histoire ? Il désigne, au Québec, le plateau sur lequel on dépose sa nourriture. Pour le Grand dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française, ce terme «est un héritage de France; il découle de celui de “petite table ou plateau pour tasses à café, à thé, etc.” aujourd’hui considéré comme vieilli dans les quelques dictionnaires qui le consignent».

Des sources amicobelges assurent l’Oreille tendue que le mot est aussi usité dans les Ardennes.

Le «vieillissement» est affaire bien délicate en matière de langue.

P.-S. — Qu’est-ce alors que le «Cabaret de la Pègre» ?

 

[Complément du 22 février 2016]

Trois compléments littéraires.

L’un du XXIe siècle, dans la Nageuse au milieu du lac (2015) de Patrick Nicol :

J’ai pris le roast-beef; elle, le poulet. Ma mère prend toujours le poulet, croyant que cela lui revient moins cher. Mais hier, elle a pris deux desserts, cachant le deuxième dans son cabaret, derrière deux verres de jus de pêche, s’imaginant que personne ne la voyait. Deux carrés de gâteau des anges au crémage blanc, et la voilà convaincue que c’est vraiment la fête. La fille derrière le comptoir m’a fait un clin d’œil (p. 117).

Les deux autres du XVIIIe, dans les didascalies de la pièce Eugénie (1767) de Beaumarchais :

Dans un des coins est une table chargée d’un cabaret à thé (éd. de 1957, p. 25).

Après avoir rangé les sièges qui sont autour de la table à thé, il en emporte le cabaret et vient remettre la table à sa place auprès du mur de côté (éd. de 1957, p. 36).

 

[Complément du 27 mars 2020]

La pandémie du coronavirus frappe évidemment au Québec. Les personnages âgées sont, ici comme ailleurs, à risque. Réaction de certains centres d’hébergement ? «Plusieurs résidences privées du Québec facturaient jusqu’à 7 $ pour apporter un repas à l’appartement de leurs clients, a révélé La Presse lundi. Or, ces clients de plus de 70 ans devaient rester confinés dans leur chambre selon des directives du gouvernement.» Comment désigner cette somme de 7 $ ? Les «frais cabaret», dixit la Presse+ du jour.

 

Références

Beaumarchais, Eugénie, dans Théâtre. Lettres relatives à son théâtre, Paris, Gallimard, coll. «Bibliothèque de la Pléiade», 22, 1957, xvi/855 p. Texte établi et annoté par Maurice Allem et Paul-Courant. Édition originale : 1767.

Nicol, Patrick, la Nageuse au milieu du lac. Album, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 85, 2015, 154 p.

Divergences transatlantiques 015

Tout un chacun le sait : les mômes des uns sont les couilles des autres. En matière de reproduction humaine, les gosses français sont les fruits de la génération, alors que les gosses québécoises en sont un des agents actifs. Rien là de neuf.

Histoire d’être grivois à peu de frais, on s’est souvent amusé à inventer des phrases à double sens, du genre J’ai embrassé ses gosses. On peut pourtant se demander si les risques de confusion sont réels. Quand le père courroucé de la pièce Un reel ben beau, ben triste de Jeanne-Mance Delisle (1980) déclare «L’hostie d’cochon, m’as y arracher les gosses avec mes dents !» (p. 94), peut-on vraiment croire qu’il souhaite s’en prendre à la progéniture de cet «hostie d’cochon» ? Contexte, tout est contexte.

Pourquoi rappeler aujourd’hui cette évidence lexicale universellement (re)connue ? Parce que le titre d’un texte récent d’Annick Farina est un peu trop vague. Quel est l’exemple principal étudié dans «L’utilisation des marques lexicographiques au Québec : un choix politique» (2010) ? Le mot gosse, précisément, ce «mot “tabou”» dans les dictionnaires jusque dans les années 1980 (p. 77), qui n’est pourtant qu’un «petit mot assez inoffensif» (p. 84). Un conseil de l’auteure mérite d’être cité : «De même qu’on ne rédige pas un essai médical sur les “inflammations de la gosse”, une personne qui recevra un coup de pieds dans les testicules ne dira pas “aïe, j’ai mal aux gonades”» (p. 79). En effet.

Deux remarques linguistiques, pour conclure. On ne confondra pas gosses et gosser. En France, gosse est épicène, pas au Québec, où en son sens sexué, il n’existe qu’au féminin.

P.-S. — Dans le même ouvrage collectif, signalons l’étude de Mirella Conenna, «Le québécois dans la valise : les dictionnaires à usage touristique», consacrée à six «mini-dictionnaires» (p. 139), malheureusement rédigée avant la sortie du Parler québécois pour les nuls (2009), le joyau de Marie-Pierre Gazaille et Marie-Lou Guévin.

 

[Complément du 26 août 2018]

Qui part (rien que) sur une gosse ne se dirige vers l’entrejambe de personne. L’expression désigne une mise en action (trop ?) rapide, un démarrage vif. Exemple dramatique tiré de J’aime Hydro, de Christine Beaulieu (2017) : «Le 11 octobre 2016, je suis partie rien que sur une gosse, pas trop préparée» (p. 159). Oui, vous avez bien lu : une femme peut partir rien que sur une gosse.

 

Références

Beaulieu, Christine, J’aime Hydro, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 13, 2017, 253 p. Illustrations de Mathilde Corbeil.

Conenna, Mirella, «Le québécois dans la valise : les dictionnaires à usage touristique», dans Sergio Cappello et Mirella Conenna (édit.), Dizionari. Dictionnaires. Dictionaries. Percorsi di lessicografia canadese, Udine, Forum, coll. «Collana di studi del Centro di Cultura Canadese», 2, 2010, p. 127-140.

Delisle, Jeanne-Mance, Un reel ben beau, ben triste, Montréal, Éditions de la pleine lune, coll. «Théâtre», 1980, 179 p.

Farina, Annick, «L’utilisation des marques lexicographiques au Québec : un choix politique», dans Sergio Cappello et Mirella Conenna (édit.), Dizionari. Dictionnaires. Dictionaries. Percorsi di lessicografia canadese, Udine, Forum, coll. «Collana di studi del Centro di Cultura Canadese», 2, 2010, p. 75-96.

Gazaille, Marie-Pierre et Marie-Lou Guévin, le Parler québécois pour les nuls, Paris, Éditions First, 2009, xiv/221 p. Préface de Yannick Resch

Le (triple) zeugme du dimanche matin

• «Douze muffins remplis d’espoir et de noisettes» (Joël da Silva, le Temps des muffins, Montréal, Maison théâtre, février 2011).

• «Nous reprîmes nos armes, nos sacs et nos vies de fugitifs» (Jean-François Vaillancourt, Cégep de Sainte-Foy, Québec).

• «N’oublie pas les tomates en dés et en boîte» (des sources conjugales proches de l’Oreille tendue).

 

(Une définition du zeugme ? Par .)