La loi poche du plus fort la poche

Simon Boudreault, Je suis un produit, 2021, couverture

Soit la phrase suivante, tirée de la Presse+ d’hier, au sujet de l’homme politique Éric Duhaime :

Ce qui m’inquiète du personnage en politique, c’est que c’est un dogmatique. C’est quelqu’un qui estime que le plus fort doit gagner, note Myriam Ségal. On est dans une société où il y a beaucoup de solidarité. Je ne suis pas tout à fait sûre qu’au plus fort la poche, ce soit la bonne politique.

Au plus fort la poche, donc : cela manquait à la collection (de poches) de l’Oreille tendue.

Usito, le dictionnaire numérique, offre la définition suivante de l’expression : «le plus fort l’emporte sur le plus faible».

D’autres exemples ?

Toujours dans la Presse+, mais en titre, le 29 mai 2021 : «Au plus fort la poche ? Pas toujours !»

Au théâtre, dans Je suis un produit (2021), de Simon Boudreault :

Y a toujours eu du monde tassé. À partir du moment où y a quelqu’un qui a quelque chose, y a quelqu’un qui l’a pas. Appelle ça de l’équilibre ou ben de l’injustice ou ben le revers la médaille ou ben la loi poche du plus fort la poche (p. 87).

À votre service.

 

Référence

Boudreault, Simon, Je suis un produit, Montréal, Dramaturges éditeurs, 2021, 157 p.

Voltaire, gros naze animé

Voltaire dans la série animée Archer

Un ancien étudiant de l’Oreille tendue, désœuvré, se tourne vers Netflix, plus précisément vers la série d’animation Archer. Il y entend parler de Voltaire. Il prévient donc l’Oreille, qu’il sait friande de ce genre de manifestation du siècle des Lumières dans la culture populaire. (Merci.)

De quoi s’agit-il ? Au début du quatrième épisode de la douzième saison, «Photo Op» (en français «Coup de com’»), diffusé originellement sur FXX le 8 septembre 2021, on peut entendre l’échange suivant :

Archer : Who ever said acting was hard ?
— No one.
— Nobody ?
— Nobody.
Archer : Really ? I’m sure it was someone. Voltaire maybe ? That sounds right. Well, he was an idiot.

Traduction de l’audio :

Archer : Qui a dit que c’était dur d’être acteur ?
— Personne.
— Non, personne.
— Personne.
Archer : Sérieux ? J’suis pourtant sûr que quelqu’un l’a dit. Voltaire, peut-être ? Eh, j’crois qu’c’était Voltaire. Putain, quel gros naze.

Traduction en sous-titres :

Archer : Qui a dit que le ciné, c’était dur ?
— Personne.
— Personne.
— Personne.
Archer : Ah bon ? Ça m’étonne. Voltaire, peut-être ? Ça doit être ça. Il était trop con.

Voltaire a-t-il bel et bien dit que jouer était difficile ? La citation — si tant est que ce soit une citation — est bien imprécise.

Les concepteurs renvoient-ils à la préface des Scythes (1766) : «La pièce qu’on soumet ici aux lumières des connaisseurs est simple, mais très-difficile à bien jouer» ? Au Commentaire sur Corneille (1761) : «Cette scène est beaucoup plus difficile à jouer qu’aucune autre» ? (Merci à Tout Voltaire.) On ne le sait.

Une chose est sûre, cependant : Voltaire, lui qui aimait tant jouer au théâtre, que ce soit difficile ou pas, n’a pas que des amis, hier comme aujourd’hui.

 

Référence

Melançon, Benoît, Nos Lumières. Les classiques au jour le jour, Montréal, Del Busso éditeur, 2020, 194 p.

Ellipse syntaxique

François Grisé, Tout inclus. Tome 2, 2022, couverture

L’autre jour, l’Oreille tendue rendait compte du roman Morel (2021) de Maxime Raymond Bock. Elle en citait une phrase — «Faudrait je m’assise» (p. 313) — et disait que sa construction ne l’étonnait pas.

Un lecteur fidèle de l’Oreille, appelons-le L’Hispanique Bibliothécaire Le Bibliothécaire Hispanophone, s’interrogea privément : «Vraiment ?» (paraphrase)

Lisant le deuxième tome de l’excellent Tout inclus (2022) de François Grisé, l’Oreille tombe sur plusieurs phrases témoignant de pareille élision de la conjonction de subordination :

«Une chance tu viens me voir, c’est plate ici» (p. 39);

«Veux-tu j’te mette d’la crème dans le visage ?» (p. 40);

«Lui ’ssi pense j’t’une mentale» (p. 59);

«Essaye de changer ça, faut tu te lèves de bonne heure, t’sais» (p. 87).

Gardons l’œil ouvert.

 

Références

Grisé, François, Tout inclus. Tome 2, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 29, 2022, 120 p. Ill. Précédé d’un «Mot de l’auteur» et suivi de «Contrepoint. Susciter la réflexion» par Gilles Duceppe.

Raymond Bock, Maxime, Morel. Roman, Montréal, Le Cheval d’août, 2021, 325 p.

Scènes de la vie pédagogique

Véronique Côté, la Paix des femmes, 2021, couverture

Première scène

«Alice. — Pourquoi, quand [Nelly Arcan] était vivante, personne parlait de sa souffrance ? De toute la souffrance terrifiante qu’y a dans ses livres ? Pourquoi tout le monde parlait de toute sauf de ça ? Toi, tes étudiantes, tu leur parles-tu de sa souffrance ?
Isabelle. — Un peu. Je parle de son apport à la forme autofictionnelle dans une perspective de réappropriation de l’intime en tant que terrain politique.
Alice. — OK. Fait que tu parles pas de ça pantoute» (p. 61).

Deuxième scène

«Isabelle. — Moi je pense [que les prostituées / travailleuses du sexe] méritent d’être écoutées dans leur connaissance intime du milieu. Pis respectées dans leur agentivité.
Alice. — C’est quoi c’t’estie de mot là ? Tout le monde dit ça, ça me gosse» (p. 77).

 

Référence

Côté, Véronique, la Paix des femmes, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 28, 2021, 129 p. Ill. «Contrepoint» par Francine Pelletier, «Le corps d’une femme».