Le char, en quelques-unes de ses incarnations québécoises

Charlton Heston, en char, dans Ben-Hur (1959)

Il y a le véhicule automobile : «Sous le char, je n’ai pu m’accrocher à rien, mais je suis allé m’étendre au milieu, épuisement entier du corps, ils ne pouvaient pas m’atteindre. J’ai fait le mort. J’ai fait le mort et puis ç’a cessé d’être un jeu, c’était trop long. Le père Mailloux m’a poussé du dessous du char à l’aide d’une pelle, la mère Mailloux m’a cueilli de l’autre côté. Elle a secoué la neige de mon habit, elle ne riait pas, le père Mailloux non plus ne riait pas, on a regagné le traîneau, j’ai dormi le reste du trajet» (Mailloux, p. 10).

Ptits, les chars sont des tramways. Gros, des trains, par opposition.

Ils peuvent servir d’unité de mesure (imprécise) : c’est pas les gros chars.

Bis : «Vite, qu’on appelle Amazon et qu’on commande un char et une barge d’amis à expédier illico au Québec !» (la Presse+, 22 mars 2017)

Ter : Il lui a envoyé un char de bêtises.

Qui a vu passer les gros chars en aurait vu d’autres.

Allégorique, il (dé)pare les défilés.

Fussent-ils olympiques, certains, enfin, sont odoriférants.

 

Référence

Mailloux, histoires de novembre et de juin racontées par Hervé Bouchard citoyen de Jonquière, Montréal, L’effet pourpre, 2002, 190 p.

Accouplements 56

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Le service des vélos en libre-service de Montréal s’appelle Bixi. (Très tôt dans sa vie, l’Oreille tendue en a parlé.) Dans sa plus récente campagne de publicité, ce service joue sur une expression québécoise : qui y modère ses transports doit se calmer, se restreindre; en revanche, les usagers de Bixi doivent libérer les leurs.

Bixi, publicité, 2016

En Finlande (merci à @jeanphipayette pour la photo), dans le métro, le transport est encore plus libre : il est affaire de caresse.

Finlande, publicité dans le métro, 2016Ce transport-là est (potentiellement) amoureux. Plus que l’autre.

Le dilemme de l’autobus

François Blais, la Nuit des morts-vivants, 2011, couverture

Parmi les plus graves problèmes québécois, il y a le genre du mot autobus.

Les dictionnaires sont pourtant formels : autobus est masculin.

Dans la vie de tous les jours, on entend fréquemment une autobus. L’Oreille tendue a déjà proposé une hypothèse à ce sujet, qui a entraîné quelques réactions de lecteurs (c’est ici).

Si l’on en croit le François Blais de la Nuit des morts-vivants (2011), il y aurait même des endroits au Québec, en l’occurrence en Mauricie, où l’on dirait «une bus» : «jusqu’en troisième année on est obligé de prendre la bus» (p. 39); «Grouille, tu vas rater la bus de sept heures et vingt» (p. 47); «attendre la bus de 7 h 35» (p. 67). On notera que c’est la même chose au style indirect libre (premier exemple), dans les dialogues (deuxième) et chez le narrateur (troisième).

Cette bizarre féminisation — que l’Oreille tendue n’a jamais entendue, ce qui vaut ce que ça vaut — avait (pourtant) déjà été repérée par Wim Remysen en 2003 :

L’originalité de la variété québécoise au niveau morphologique se situe surtout au niveau du genre et du nombre de certaines unités lexicales. Ainsi, il est fréquent au Québec qu’on parle d’une autobus, d’un affaire et d’un heure. […] Il faut noter toutefois que ces traits ne sont pas toujours généralisés dans la variété québécoise : ainsi, parler de la bus est typique des situations de communication informelles et du parler populaire (p. 33).

Cela ne règle pas le mystère pour autant : d’où cela vient-il ?

P.-S. — On se souviendra qu’à Québec, pour simplifier encore les choses, on a essayé de faire de bus un verbe.

 

[Complément du 20 mai 2014]

Autre exemple littéraire, du Saguenay, tiré de la Déesse des mouches à feu de Geneviève Pettersen (2014) : «Ma mère voulait jamais venir me porter chez Pascal, ça fait que j’y allais en bus de ville. Fallait que je prenne la bus pis que je transfère dans une autre rendue au terminus de la rue Racine» (p. 46).

 

[Complément du 13 novembre 2014]

Dans la Presse+ d’hier, la chroniqueur Patrick Lagacé, s’agissant d’autobus, écrit ceci : «La 25A est repartie.» Dans celle d’aujourd’hui, il doit s’expliquer : «Je sais qu’on dit UN autobus. Merci à tous ceux qui me l’ont souligné, après ma chronique d’hier. […] C’est con, je sais, mais quand je désigne un autobus par le trajet numéroté qu’il emprunte, c’est plus fort que moi, c’est trop profondément ancré : c’est “la”. C’était “la” 70 qui me transportait jusqu’au Carrefour Laval, ti-cul, “la” 40 qui me déposait au cégep. […] LA route avale LE bus; qui ne font un quand on choisit l’article…» Une nouvelle victime du dilemme de l’autobus. Espérons qu’il s’en remette.

 

[Complément du 16 novembre 2014]

Il est encore une autre façon de désigner les circuits d’autobus (numéro + rue), que l’Oreille découvre en lisant le Titre de transport (2014) d’Alice Michaud-Lapointe :

Il est trois heures et quart au moment où les quatre filles se dirigent vers le métro Villa-Maria. Evelyn prend habituellement la 24/Sherbrooke pour retourner dans Westmount, mais elle se dit qu’aujourd’hui elle peut bien faire une exception, ce n’est pas tous les jours qu’elle a la chance d’être vue en compagnie de Nicky. Comme tous les vendredis, des élèves en provenance de divers collèges bloquent l’entrée du métro. Ceux qu’on voit arriver par la 103/Monkland étudient au Royal Vale High School, mais ils ne sont pas très nombreux, la plupart habitant dans les environs de Somerled (p. 78).

 

[Complément du 1er décembre 2014]

 

[Complément du 24 août 2015]

Vue, ce matin, une publicité pour l’édition 2016 du Petit Larousse, sur un autobus de la Société de transport de Montréal : «Un ou une autobus ?» Ça s’appelle une publicité bien ciblée (pour le Québec).

 

[Complément du 23 septembre 2016]

En deux tweets parfaitement symétriques, Sylvain Carle a résumé un usage québecquois (à l’aller) et un usage montréalais (au retour).

Deux tweets de Sylvain Carle le 23 septembre 2016

 

[Complément du 5 novembre 2017]

La preuve que l’écrivaine Amélie Panneton est née à Québec ? La quatrième de ses «Quatre promesses pour une capitale tendre» est la suivante : «Féminiser définitivement, dans tous les documents de l’administration municipale, le mot “autobus”» (le Devoir, 4-5 novembre 2017, p. F1).

 

[Complément du 28 octobre 2020]

Sur le site Français de nos régions, le 22 octobre 2018, André Thibault publiait le texte «La “bus” ou le “bosse” ? Une autre rivalité Québec-Montréal…» Cartes à l’appuie, il y présente les «quatre formes possibles» du même mot au Québec : «1) la bus; 2) le bosse; 3) le bus; 4) la bosse».

 

[Complément du 1er octobre 2021]

Il y a aura bientôt des élections à Québec. Les responsables du parti Transition Québec ne cachent pas leur choix lexical : «LA bus». (La taupe québecquoise de l’Oreille, qui lui fait découvrir ce choix, parle de populisme linguistique. Cela se défend.)

« LA bus gratuite pour tout le monde», publicité électorale du parti Transition Québec, mai 2021

 

Références

Blais, François, la Nuit des morts-vivants. Roman, Québec, L’instant même, 2011, 171 p.

Michaud-Lapointe, Alice, Titre de transport, Montréal, Héliotrope, série «K», 2014, 206 p.

Pettersen, Geneviève, la Déesse des mouches à feu. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 2014, 203 p.

Remysen, Wim, «Le français au Québec : au-delà des mythes», article numérique, Romaneske, 1, 2003, p. 28-41. http://www.vlrom.be/pdf/031quebec.pdf

La bosse de la publicité

Le Réseau de transport de la Capitale — il s’agit évidemment de Québec — est en campagne publicitaire.

Publicité pour les transports en commun, Ville de Québec, 2010

Celle-ci permet de rappeler une fois de plus la forte présence du tutoiement dans la publicité québécoise : «ton quotidien», «essaie-le».

Elle donne l’occasion d’indiquer au non-autochtone que le mot bus au Québec rime parfois avec prépuce (le busse), mais aussi avec crosse (le bosse). Par ailleurs, le verbe bosser désigne moins le travail («T’as intérêt à bosser») que le fait de donner des ordres («Arrête de me bosser»).

Cette campagne publicitaire oblige surtout à se poser une question : que fait là le mot «bus» ? Est-il simplement juxtaposé à «ton quotidien» ? Faut-il plutôt l’entendre comme un verbe, ce qui nécessiterait la prononciation en –osse ? Busse ton quotidien n’aurait, en effet, aucun sens. Bosse ton quotidien, guère plus, objectera-t-on, mais ce ne serait pas la première fois qu’un publicitaire sacrifierait le sens à un effet de manche.