Pascal et le P. Noël

L’Oreille tendue a eu l’occasion de montrer que le fait de mettre une majuscule là où il faut une minuscule, ou l’inverse, risque de troubler les lecteurs.

Exemple récent, découvert sur Gallica.

On y trouve les Pensées, fragments et lettres de Blaise Pascal, publiés pour la première fois conformément aux manuscrits originaux en grande partie inédits, par M. Prosper Faugère (Paris, Andrieux, 1844, 2 vol.). En appendice, le «Catalogue des ouvrages de M. Pascal, tant imprimés que manuscrits, dont j’ai (le P. Guerrier) connaissance» contient une «Lettre de M. Pascal au R. P. Noël, jésuite, touchant le vide» (XXII). Celle-ci est suivie d’une «Lettre de M. Pascal à M. Lepailleur, au sujet de sa dispute avec le père Noël» (XXIII).

Une majuscule à «Père Noël» aurait fait désordre.

P.-S. — Le moment est venu : une catégorie «Typographie» existe désormais, là, en bas, à droite.

 

[Complément du 19 décembre 2012]

«Arrive un âge où les enfants, vaguement dubitatifs quant à l’existence du Père Noël, semblent se raccrocher au pari de Pascal», écrit Éric Chevillard dans le blogue l’Autofictif le 17 décembre 2012. (Merci à @david_turgeon.)

Défense et illustration de la minuscule, bis

Il y a quelque temps, on a vu, citation de Christian Gailly à l’appui, qu’une Américaine n’est pas une américaine. Rebelote, en quelque sorte.

Nicolas Ancion : «Quittant en un mouvement le bord du trottoir, il se glisse entre deux petites japonaises, une rouge et une bleue.» Une Japonaise rouge (ou bleue), cela (d)étonnerait.

Sébastien Bailly : «Le français ne supporte pas la faute de grammaire» (p. 35). La situation est plus trouble dans ce cas : s’il n’est pas sûr que le français «ne supporte pas la faute de grammaire», il est avéré, en revanche, que beaucoup de Français affirment ne pas la souffrir.

Sur Twitter : «Je vais enfin “avoir” mon grand danois !» (@Mlle_V). Un grand Danois, ce ne serait pas tout à fait pareil.

Entre majuscule et minuscule, et vice versa, il y a un monde.

 

Références

Ancion, Nicolas, Les ours n’ont pas de problème de parking, Saint-Cyr sur Loire, publie.net, coll. «Fiction 17», 2011. Édition numérique. Édition originale : 2001.

Bailly, Sébastien, les Zeugmes au plat. Éloge d’une tournure humoristique, Paris, Mille et une nuits, coll. «Mille et une nuits», 585, 2011, 107 p. Avant-propos de Hervé Le Tellier.

Défense et illustration de la minuscule

Christian Gailly, les Évadés, 2010, couverture

Soit la phrase suivante de Christian Gailly : «c’était assez beau de voir cette grosse américaine s’engouffrer comme une folle chez ces gens» (p. 12).

Avec la minuscule, entendons : «la grosse voiture américaine».

Avec la majuscule, c’aurait été plus délicat : une «Américaine» peut préférer que l’on ne parle pas de son poids.

 

Référence

Gailly, Christian, les Évadés, Paris, Éditions de Minuit, coll. «Double», 65, 2010, 234 p. Édition originale : 1997.

Citation typographique du jour

Jean Bernard-Maugiron, Du plomb dans le cassetin, 2010, couverture

«Les fonctions du correcteur sont très complexes. Reproduire fidèlement le manuscrit de l’écrivain, souvent défiguré dans le premier travail de la composition typographique; ramener à l’orthographe de l’Académie la manière d’écrire particulière à chaque auteur; donner de la clarté au discours par l’emploi d’une ponctuation sobre et logique; rectifier des faits erronés, des dates inexactes, des citations fautives; veiller à l’observation scrupuleuse des règles de l’art; se livrer pendant de longues heures à la double opération de la lecture par l’esprit et de la lecture par le regard, sur les sujets les plus divers, et toujours sur un texte nouveau où chaque mot peut cacher un piège, parce que l’auteur, emporté par sa pensée, a lu, non pas ce qui est imprimé, mais ce qui aurait dû l’être : telles sont les principales attributions d’une profession que les écrivains de tout temps ont regardée comme la plus importante de l’art typographique.»

Lettre adressée à l’Académie française par la Société des correcteurs des imprimeries de Paris, juillet 1868, citée dans Jean Bernard-Maugiron, Du plomb dans le cassetin. Roman, Paris, Buchet/Chastel, 2010, 106 p., p. 44-45.

Sic

L’Oreille tendue a déjà été jeune. Elle était alors soucieuse, peut-être exagérément, de philologie. Il lui est donc arrivé plus d’une fois d’avoir recours à des sic (presque) rageurs en recopiant des textes.

Sic ?

C’est, entre autres usages, la convention par laquelle on indique que, dans un texte cité ou recopié, il y a une faute, mais que cette faute n’est pas la responsabilité de celui qui transcrit, mais de l’auteur de la citation ou du texte original. Exemples : «Céline a alors dit qu’elle quittait [sic]»; «René a fait une couille [sic] en retranscrivant le texte.»

(Il ne t’aura pas échappé, Lecteur, que le mot est toujours en italique, dans un texte en romain, et entre crochets.)

L’Oreille s’est assagie depuis sa jeunesse et elle est désormais beaucoup plus parcimonieuse en matière de sic. (Elle n’est cependant pas complètement guérie de ce travers.)

Ce n’est pas le cas au Devoir, du moins pas dans l’édition du 16 septembre. Un article y est consacré au supposé complot fédéraliste au sein de l’équipe de hockey des Canadiens de Montréal : c’est par choix idéologique que cette équipe ne prendrait pas (plus) la peine d’engager des joueurs francophones.

Pauline Marois, la chef du Parti québécois, s’est prononcée là-dessus : «“L’équipe a pris une certaine tendance et j’aimerais qu’elle se redresse un peu. D’ailleurs, il y a beaucoup de chroniqueurs et d’analystes du monde du sport qui partagent le même point de vue que moi [sic]”, a-t-elle dit.»

Pourquoi ce sic ? Ce n’est de toute évidence pas pour des raisons grammaticales : la phrase est correctement écrite. Faut-il comprendre que Pauline Marois, les chroniqueurs et les analyses sont d’accord, mais qu’ils se tromperaient tous ? Ou qu’ils ne diraient pas tous la même chose ? S’agirait-il plutôt de souligner un vice de perspective ? Dans cette optique, si l’Oreille comprend bien, on reprocherait à Pauline Marois de dire que son point de vue a été endossé par les chroniqueurs et les analyses, alors que, dans les faits, c’est elle qui se serait ralliée au leur.

Voilà beaucoup d’interrogations pour trois lettres, et une conception du sic comme forme ramassée du commentaire, voire de l’éditorial.

P.-S. — En revanche, utilisation justifiée dans une «Libre opinion» du Devoir du 30 septembre, p. A8, sous le titre «Parlons cuisine». L’«animatrice» Anne-Marie Withenshaw déplore qu’un article du journal ait écorché son patronyme. Elle cite l’article : «Faut-il comprendre que Mme Whitenshaw [sic] s’est fait payer une cuisinière, voire une cuisine, par GE, dont elle devient en quelque sorte la porte-parole ?»

 

[Complément du 15 avril 2014]

Un collègue de l’Oreille a longtemps utilisé le mot sic entre crochets mais sans l’italique. Il lui écrit : «Si je vous ai bien compris, vous citeriez, à la rigueur, mes nombreux [sic] comme suit : [sic] [sic].» Zactement.

 

[Complément du 29 janvier 2018]

Que dit Umberto Eco de cela dans son Comment écrire sa thèse (Paris, Flammarion, 2016 [1977], 338 p. Ill. «Postface du traducteur», Laurent Cantagrel) ?

«Si l’auteur que vous citez, tout en étant fort intéressant, commet une erreur évidente, de style ou d’information, il vous faut respecter son erreur mais la signaler au lecteur entre crochets, de cette manière : [sic]. Vous direz donc que Savoy affirme qu’“en 1820 [sic], après la mort de Bonaparte, l’Europe était dans une situation assez sombre, avec quelques lumières”. Cela dit, si j’étais vous, ce Savoy, je le laisserais tomber» (p. 253-254).