Portrait de professeur en tombe

Russell Banks, Lost Memory of Skin, 2011, couverture

«It sounds like the Professor will do most of the talking anyhow. He’s a professor, after all. It’s possible the guy can help the Kid find a job at the university on the grounds crew or something and a more or less permanent place to live. You never know. The Kid has never met a real professor before but they’re supposed to be smart and people respect them and they don’t work for the cops or the state. Besides they’re like priests and shrinks, right ? Everything you tell them is strictly confidential.»

Russell Banks, Lost Memory of Skin. A Novel, Toronto, Alfred A. Knopf Canada, 2011, 416 p., p. 80.

Cartographie estivale

Au cours des dernières semaines, tout en étant (surtout) à la campagne, l’Oreille tendue a visité, concrètement ou pas, des villages, des villages, des régions.

Cannes : comme tout le monde, l’Oreille tendue a joué le jeu.

 

Chicago : ville croisée dans deux lectures de vacances, le bavard The Dean’s December de Saul Bellow («It was like the Chicago winter, which shrank your face and tightened your sphincters», p. 231), le long Promised Land de Barack Obama («America’s most segregated big city», p. 16).

Joliette (I) : l’Oreille aurait du mal à expliquer pourquoi, mais elle fréquente souvent le Musée d’art de Joliette. Histoire de mettre fin à sa «disette muséale», elle vient d’y retourner. En plus de la collection habituelle (art médiéval, art religieux, art québécois, etc.), elle y a vu une fort belle installation de Chloé Desjardins, un dialogue autour de quelques œuvres du fonds du musée.

Joliette (II) : s’y faire dire «Cheers !» par un serveur manifestement de souche peut étonner — moins, il est vrai, quand on sait qu’il travaille dans un estaminet appelé Albion.

Lanaudière : dans sa jeunesse, l’Oreille tendue a vitupéré la motomarine; villégiatrice dans Lanaudière, elle déplore plutôt l’existence du VTT («Va-T-en, Tabarnak !»).

L’Assomption (mrc, municipalité, collège, rivière, lac, secteur) : l’Oreille a déjà raconté qu’il se trouve, dans les branches basses de son arbre généalogique, un parent éloigné surnommé Mononc’ la patate; elle a aussi un Cousin la poutine, apprécié du premier ministre du Québec. Il œuvre, façon de parler, à L’Assomption.

Montréal (I) : la fondation Lionel-Groulx a mis en ligne un segment de la conférence sur Maurice Richard qu’a donnée l’Oreille à son invitation. C’est ici et ça gesticule.

Montréal (II) : la fondation Lionel-Groulx a aussi mis en ligne un texte rédigé à l’occasion de cette conférence. C’est et ça ne gesticule pas.

Saint-Côme (I) : sans risque de se tromper, l’Oreille peut affirmer que repeindre ce balcon aura été sa principale contribution scientifique de l’été, en tous cas sa plus longue.

Maison de campagne, Québec, été 2021

Saint-Côme (II) :

D’ici
L’ostie
De colibri
Est sorti

Merci

Saint-Côme (III) : la jeune personne qui distribuait les pagaies a bien pris le temps de «seizer» l’Oreille.

Saint-Donat : on y a tenu, cet été, une vente «dentiquités». Ouverte aux dentistes probablement.

Tokyo : pour les mêmes raisons qu’en 2016, l’Oreille ne s’est pas tendue vers la diffusion des Olympiques.

 

Références

Bellow, Saul, The Dean’s December, New York, Pocket Books, 1982, 346 p.

Obama, Barack, A Promised Land, New York, Crown, 2020, 751 p. Ill.

Spenser et Sade

Ace Atkins, Robert B. Parker’s Someone to Watch Over Me, 2020, couverture

L’auteur de romans policiers Robert B. Parker est mort en 2010. Ses héritiers ont confié à Ace Atkins la suite des aventures du héros fétiche de Parker, le détective privé Spenser. Cela donne des titres de romans comme Robert B. Parker’s Someone to Watch Over Me. A Spenser Novel. By Ace Atkins.

Pour ajouter à la confusion identitaire, les vilains de ce roman de 2020 s’appellent Peter Steiner et Poppy Palmer, mais ils renvoient directement à Jeffrey Epstein et Ghislaine Maxwell, de sinistre réputation. Dans ce texte à clés, il est donc question de pédophilie : pour se rendre à «Pedo Island» (p. 263), on monte dans le «Lolita Express» (p. 138).

Une enquête ayant été ouverte en France sur les crimes d’Epstein — malgré ceci : «If we were in France, no one would say a word or lift an eyebrow» (p. 216) —, on ne s’étonnera pas de la comparaison suivante : «He’s this city’s version of Marquis de Sade» (p. 106).

Tous les chemins mènent au XVIIIe siècle.

P.-S.—Comment comparer l’original au travail de son continuateur ? Son style est un peu moins «sec» que celui de Parker; il fait plus d’allusions que lui aux goûts musicaux de Spenser; il essaie de pratiquer le même art de la formule («I hear that man has parties that would make Caligula’s goat puke», p. 130; «He looked like a riddle wrapped in an enigma inside an empenada», p. 138).

P.-P.-S.—L’Oreille tendue a déjà reconnu qu’elle a un faible pour Parker.

 

Référence

Atkins, Ace, Robert B. Parker’s Someone to Watch Over Me. A Spenser Novel, New York, G.P. Putnam’s Sons, 2020, 306 p. Ill.

Le zeugme du dimanche matin, de Poe et de Baudelaire

Edgar Allan Poe, Histoires extraordinaires, éd. de 1965, couverture

«At Paris, just after dark one gusty evening in the autumn of 18–, I was enjoying the twofold luxury of meditation and a meerschaum, in company with my friend, C. Auguste Dupin, in his little back library, or book-closet, au troisième, No. 33 Rue Dunôt, Faubourg St. Germain

Edgar Allan Poe, «The Purloined Letter», dans The Collected Tales and Poems of Edgar Allan Poe, New York, Modern Library, 1992, p. 208. Édition originale : 1844.

 

Traduction de Baudelaire : «J’étais à Paris en 18… Après une sombre et orageuse soirée d’automne, je jouissais de la double volupté de la méditation et d’une pipe d’écume de mer, en compagnie de mon ami Dupin, dans sa petite bibliothèque ou cabinet d’étude, rue Dunot, no 33, au troisième, faubourg Saint-Germain.»

Edgar Allan Poe, «La lettre volée», dans Histoires extraordinaires, Paris, Garnier-Flammarion, coll. «GF», 39, 1965, 306 p., p. 89-108, p. 89. Ttraduction de Charles Baudelaire. Chronologie et introduction par Roger Asselineau. Édition originale : 1856.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Voltaire et Donald Trump

Rick Frausto, «Don the Con», caricature de Donald Trump, 2019

Les États-Unis ont récemment, non sans mal, changé de président.

Il peut paraître étonnant de lier le nom de l’ancien président à une période dont on dit souvent qu’elle est définie par le culte de la raison et par la valorisation de la tolérance. Il y a pourtant des liens entre Donald J. Trump et le Siècle des lumières.

Prenons deux exemples.

Le premier est une caricature parue dans le Wall Street Journal du 20 octobre 2016. Jovial, Trump est assis dans le Bureau ovale, lunettes et stylo à la main. Devant lui et à sa gauche, des feuilles de papier. À sa droite, trois livres : un sur les relations internationales (Foreign Relations), un sur (ou de) Lincoln, un dernier sur (ou de) Voltaire. Pourquoi ces livres ? Il s’agirait d’imaginer un Trump «sain d’esprit» («Imagine a Sane Donald Trump. You know he’s a nut. What if he weren’t ?»). À chacun ses défis.

Le second exemple est une phrase entendue durant le second procès en destitution du 45e président et attribuée à Voltaire : «Anyone who can make you believe absurdities can make you commit atrocities» (Jamie Raskin).

Jusqu’à maintenant, devant les nombreuses occurrences de cette citation, l’Oreille tendue renvoyait à l’interprétation d’un biographe de Voltaire (Gallimard, 2015), François Jacob, dans le journal le Temps (Genève) : il s’agirait d’«un hoax assez récent qui semble faire, depuis une dizaine d’années, le bonheur des internautes».

Sur le blogue de la Voltaire Foundation, Nicholas Cronk montrait hier que la phrase attribuée à Voltaire («Ceux qui peuvent vous faire croire à des absurdités peuvent vous faire commettre des atrocités») n’est pas de lui, mais qu’il a bel et bien écrit quelque chose d’assez proche : «Certainement qui est en droit de vous rendre absurde, est en droit de vous rendre injuste.» C’est par le biais de sa traduction en anglais, par Norman Torrey, que la citation est devenue populaire.

Cronk cite, pour résumer l’affaire, un passage de l’entrée «Voltaire» d’un ouvrage édité par Susan Ratcliffe, Oxford Essential Quotations (Oxford University Press, 2017, cinquième édition) : «“Truly, whoever is able to make you absurd is able to make you unjust”, commonly quoted as “Those who can make you believe in absurdities can make you commit atrocities” (Questions sur les miracles, 1765).»

Nous pouvons maintenant passer à autre chose.

P.-S.—Vous préférez Trump en lecteur de l’Encyclopédie ? C’est par là.