Mea culpa

Denis Coderre, Montréal, 13 août 2015

Le 15 juillet 2009, l’Oreille tendue décrivait un personnage de la faune québécoise, la germaine (celle qui gère et qui mène). Elle insistait sur les deux verbes favoris de celle-ci, opérer et regarder. Elle postulait l’inexistence d’un équivalent masculin, le germain. Peut-être l’Oreille se trompait-elle.

En effet, on a pu le voir hier, il semble y avoir un germain à Montréal, son omnimaire, Denis Coderre.

Insatisfait d’une décision de Postes Canada, celui qu’on appelle aussi l’hypermaire a décidé, marteau-piqueur à la main, de s’en prendre à une dalle de béton : il opérait.

Comment expliquait-il son geste ? En conférence de presse, s’adressant à un groupe de journalistes, il a utilisé plusieurs fois le même verbe, toujours à la deuxième personne du singulier : «ergarde», le geste de Postes Canada était inacceptable.

Un nouveau personnage (linguistique) serait-il né ?

P.-S. — On se souviendra que l’usage de la deuxième personne du singulier pour parler à plusieurs personnes à la fois est un des traits de la langue de garderie au Québec.

Urbain en ville

Il y a quelques années, @PimpetteDunoyer a lancé le site Vivez la vie urbaine. L’Oreille tendue s’amuse à y collaborer à l’occasion.

Cela n’atténue pourtant pas sa surprise quand elle lit la phrase suivante dans le quotidien le Devoir : «Montréal va de l’avant avec son projet de Promenade urbaine au centre-ville» (21-22 février 2015, p. A10). Une promenade «urbaine» au «centre-ville» de la ville de Montréal ?

Pareille promenade pourrait-elle être autre chose ? L’Oreille s’interroge.

P.-S. — Pour d’autres usages étonnants du mot urbain, on clique ici.

Conte de saison

 

Avenue Marlowe, 25 décembre 2014

 

C’était le matin de Noël. Le vent avait soufflé fort sur Notre-Dame-de-Grâce. Une avenue de ce quartier montréalais était devenue impraticable : de nombreuses branches arrachées recouvraient la chaussée.

Dans un de ces élans de générosité que l’on dit si rares dans les grandes villes, des voisins se sont alors rassemblés, venus de quatre maisons, pour nettoyer la rue et les trottoirs.

En quelques minutes, on pouvait de nouveau circuler librement. Les branches de toutes tailles avaient été regroupées en un tas bien impressionnant. Les quatre voisins se congratulèrent avant de rentrer chez eux.

Ce tas bouchait complètement une allée et empêchait un cinquième voisin de prendre sa voiture. Voilà de quoi rendre grâce et chanter l’esprit de Noël.

Prolégomènes à un essai de toponymie montréalaise

Carte du Québec adjacent, Dictionnaire québécois instantané, 2004

Une ville, c’est bien. Plusieurs villes dans la ville, c’est mieux. Ébauche de visite guidée de Montréal.

Adjacent

Terme de géographie urbaine montréalaise. Qui veut habiter un quartier à la mode et ne le peut pas émigre vers l’adjacent. «Westmount adjacent !» (la Presse, 7 mars 2002) «Toutes sirènes dehors, j’ai donc mis d’urgence le cap sur Rosemont, aussi connu sous le nom de “Plateau adjacent”» (le Devoir, 8 novembre 2002). «J’ai donc quitté le Plateau, quitté le nombril de l’île, pour le Mile-End, mon nombril adjacent préféré» (la Presse, 13 novembre 2002). «C.D.N. [Côte-des-Neiges], adj. Sanctuaire» (le Devoir, 12 juin 2003).

Griffintown : quartier célèbre pour ses chevaux (grâce notamment à Marie-Hélène Poitras et à son roman éponyme), en cours de remplacement par des condos.

HoMa ou Ho-Ma : Hochelaga-Maisonneuve

«Selon ta façon de nommer le quartier on peut savoir quelle sorte de personne tu es : Ho-Ma, Hochelag’, Hochelagai ou Hochelaga. #DLCL» (@DansLeChampL)

Mont Royal ou Montagne

Un Montréalais qui dit «À moi la montagne !» ne compte pas quitter sa ville. Il prépare plutôt une visite au centre de celle-ci, sur le mont Royal (environ 230 mètres au-dessus du niveau de la mer). On a les massifs centraux qu’on peut. (La montagne est appréciée des communautés culturelles, qui s’y rassemblent pour y savourer des mets ethniques et pour y pratiquer le soccer, qu’ils appellent le football, ou vice versa.)

N’Didji : Notre-Dame-de-Grâce

Petit Laurier : appellation d’origine récente (la Presse, 28 juin 2014, cahier Petites annonces, p. 3). Désigne une enclave au nord du Plateau. Il est probable que le nom est calqué sur celui de Petite patrie.

Plateau

Tous les Québécois le connaissent : le Plateau Mont-Royal — plus simplement : le Plateau —, ce quartier montréalais autour duquel tournerait l’univers connu. Les Québecquois — les habitants de la ville de Québec — ne l’aimeraient pas, dit-on, car l’univers connu tournerait autour. Pour le dire dans les mots du Devoir : «Montréal est constitué du Plateau Mont-Royal, centre, noyau et point d’ancrage de l’univers, et de quelques dizaines de Plateaux adjacents» (22-23 mai 2004).

A tendance à essaimer sur l’île de Montréal, voire à l’extérieur, jusque dans le 450 : «Saint-Henri, nouveau plateau ?» (la Presse, 6 janvier 2004, cahier Arts et spectacles, p. 3); «Un Plateau à Longueuil ?» (la Presse, 3 octobre 2005, p. A15); «Le prochain “Plateau”. Hochelaga-Maisonneuve ou le Sud-Ouest ?» (la Presse, 19 septembre 2009, cahier Mon toit, p. 2); «Employée#1 : Tu cherches toujours un appart ? Employée#2 : Oui et tannée des annonces qui repoussent les limites du Plateau au métro Frontenac» (@AscenseurRC).

Existe en version élargie : Regroupement des cuisines collectives du grand Plateau; Action Solidarité Grand Plateau.

Voit sa valeur patrimoniale s’affirmer : «Plateau Mont-Royal. Un quartier mythique au musée» (le Devoir, 19-20 octobre 2013, p. D4).

Habitant : le monarcoplatal (selon Pierre Popovic), le plateaunien (selon le matricule 728) ou le plateausard (la Presse, 13 mars 2010, p. A10).

Pointe Sainte-Charles : Bronx

S’étant égaré, un jour, en chemin vers la décharge municipale, l’Oreille tendue s’est retrouvée dans ce quartier de Montréal. Le policier auquel elle demandait son chemin lui a répondu : «C’est le Bronx ici.»

RPP ou RoPePa : Rosemont-Petite-Patrie

«RoPePa : l’acronyme trendy pour Rosemont/Petite Patrie. Quand ton quartier a un p’tit nom, ton hypothèque flambe !» (@mfbazzo)

Saint-Henri : quartier où l’on rit malgré tout, suivant le titre du recueil de nouvelles de Daniel Grenier.

Saint-Léonard : selon le jardinier de l’Oreille tendue, on y utiliserait du paillis rouge, ce qui ne se ferait jamais à N’Didji, où seul le paillis noir serait acceptable.

Village ou Village gai : situé à l’est du centre de la ville, quartier rose, sans homme rose, cette version locale de l’anti-macho.

Village Monkland : voir N’Didji

Vilmont ou Vilmo : Ville Mont-Royal. En anglais : ti-èm-âre (Town of Mount-Royal).

 

[Complément du 1er mars 2021]

Soir ces vers, tirés du poème «Pitou» de Jean-Christophe Réhel, paru dans le Devoir des 27-28 février 2021 :

À l’épisode huit
Je me demande où je serai rendu dans la vie
Je serai peut-être un bouddhiste
Un bouddhiste qui prie
Sur le coin du Couche-Tard à Pointo

«Pointo» ? Pointe-aux-Trembles.

 

P.-S. — Wikipédia propose une liste des quartiers montréalais.

P.-P.-S. — Ce texte s’inspire de plusieurs entrées du blogue et de ces deux publications de L’Oreille tendue :

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p. La «Carte du Québec adjacent» reproduite ci-dessus se trouve p. 13.

Melançon, Benoît, «La glande grammaticale suivi d’un Petit lexique (surtout) montréalais», Cités. Philosophie. Politique. Histoire, 23, 2005, p. 233-241. https://doi.org/10.3917/cite.023.0233; https://doi.org/10.3917/cite.023.0238

 

Références

Grenier, Daniel, Malgré tout on rit à Saint-Henri. Nouvelles, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 07, 2012, 253 p.

Poitras, Marie-Hélène, Griffintown, Québec, Alto, coll. «Coda», 2013, 209 p. Édition originale : 2012.

Popovic, Pierre, Liberté, 280 (50, 2), avril 2008, dossier «Dictionnaire culturel & politique du Québec», p. 21-24. https://id.erudit.org/iderudit/34680ac

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2004, couverture

Géographie périurbaine

Carte du Québec adjacent, Dictionnaire québécois instantané, 2004

Mea maxima culpa. Il est arrivé à quelques reprises à l’Oreille tendue de parler du 450 comme si cela allait de soi pour tous ses lecteurs. Corrigeons la situation.

Qu’est-ce que le 450 ? Reprenons pour commencer la définition du Dictionnaire québécois instantané (2004).

Code téléphonique de la grande région montréalaise, mais à l’extérieur de l’île de Montréal (le code de Montréal est le 514). «514 et 450 : les deux solitudes» (la Presse, 20 décembre 2002).

1. Unité de mesure politique. Les élections se jouent ce soir dans le 450. «Les libéraux raflent presque tout dans le 450» (la Presse, 15 avril 2003). «Le “450” au pouvoir !» (la Presse, 20 mai 2003)

2. Terme générique désignant la source de tous les maux affectant le plateau Mont-Royal la fin de semaine. Les 450 vont manger sur la rue Duluth le samedi soir. Les 450 envahissent la rue Mont-Royal le dimanche après-midi. «[Le] 450 a colonisé l’ensemble du Québec» (le Devoir, 27-28 octobre 2001).

Se prononce toujours quatre-cinq-zéro, jamais quatre cent cinquante (p. 178).

Qu’ajouter à cela ? Cinq choses.

Que Montréal dispose toujours du 514, mais qu’on lui a aussi adjoint le 438. Le 438 est moins infamant que le 450, mais ce n’est quand même pas le 514.

Que le 450 est toujours aussi éloigné du 514. La preuve ? Quitter le second au profit du premier est un «exode» (la Presse, 24 mars 2014, p. A9).

Que le 514 est toujours, malgré les prétentions du 450, plus urbain que lui : «Urbain ou 450 ?» (la Presse, 9 juin 2012, cahier Maison, p. 8) Le blogue Vivez la vie urbaine est consacré à ces questions.

Que le 450 est devenu matière artistique. Il a son roman : Ô 450 ! Scènes de la vie de banlieue de Chantal Gevrey. Il a eu son émission de télévision, au réseau TQS : 450, chemin du golf. Il a sa chanson, «(450)», du défunt groupe folk pop André, plus téléphoniquement spécifique, sur le même thème, que «Banlieue» (Les Cowboys fringants) et «Rive-Sud» (Beau Dommage).

Que Céline Dion, chanteuse et mère de famille, est née native de la région aujourd’hui désignée par le 450.

Attention : il ne faut pas confondre le 450 et l’adjacent.

P.-S. — Pour les chansons, merci à @OursMathieu, @AmelieGaudreau, @riclaude et @andredesorel.

 

[Complément du 16 juin 2018]

Le Devoir du jour consacre un article au vingtième anniversaire du 450. L’Oreille y est citée. Merci.

 

[Complément du 2 janvier 2024]

Le 450 peut même être objet poétique, par exemple chez Ian Lauda, dans le Mécanisme intérieur (2023) :

Si loin si proche

tu es la porte du nord que tous recherchent

sans toi pas d’accès à ces choses merveilleuses
comme la fleur du luxe
ou les trésors du joyeux festin

sans toi

on demeure dans la périphérie des choses
dans le quatre-cinq-zéro (p. 42)

 

Références

Gevrey, Chantal, Ô 450 ! Scènes de la vie de banlieue, Montréal, Éditions Marchand de feuilles, 2005, 190 p.

Lauda, Ian, le Mécanisme intérieur. Poésie, Montréal, Del Busso éditeur, 2023, 57 p.

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p. La «Carte du Québec adjacent» reproduite ci-dessus se trouve p. 13.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2004, couverture