Idée reçue du jour

L’Oreille tendue, il y a quelques semaines, a publié un petit livre intitulé Le niveau baisse ! Elle y aborde 14 idées reçues sur la langue.

À la lecture d’un article du démographe Victor Piché paru en 2011, elle vient d’ajouter une nouvelle idée reçue à sa liste : «On parle de moins en moins français à Montréal.» Piché montre en effet comment la mesure de la place du français à Montréal dépend des indicateurs choisis : langue maternelle ou langue du foyer, d’une part; langue publique, de l’autre. Conclusion ?

Ainsi, les catégories linguistiques proches de la notion de groupe ethnique nourrissent le nationalisme ethnique et, en se focalisant sur l’île de Montréal, celui-ci insiste sur la menace du fait français. Au contraire, les indicateurs de langue publique montrent une situation moins menaçante, y compris dans la grande région de Montréal, et confortent l’approche civique issue de la politique d’immigration et d’intégration québécoise ainsi que la perspective inclusive issue quant à elle de la diversité croissante de la population québécoise (p. 149).

Tout l’article est passionnant. À lire.

 

[Complément du 6 mars 2017]

L’écrivain Marco Micone, d’origine italienne, signe une tribune dans le Devoir du 3 mars dernier sous le titre «La colère d’un immigrant» (p. A9). On y lit ceci, qui rejoint les propos de Victor Piché :

La hiérarchie entre français langue maternelle et français langue seconde n’est pas défendable. L’objectif de la loi 101 était de faire du français langue maternelle une langue fraternelle. Dans une société pluriethnique comme la nôtre, l’utilisation du critère de la langue maternelle, dans les enquêtes sur l’état du français, fait le jeu des alarmistes et perpétue l’image de l’immigrant comme menace. C’est éthiquement inacceptable. Cette recherche obsessionnelle du nombre de francophones ayant le français comme langue maternelle relève de l’eugénisme linguistique. Selon les comptables de la langue, actuellement, à Montréal, seulement 48 % de la population sont de vrais francophones, ce qui m’exclut avec beaucoup d’autres. Si, par contre, on utilise la PLOP (première langue officielle parlée), on se rendra compte, selon Jean-Claude Corbeil, que les deux tiers des Montréalais sont plus à l’aise en français qu’en anglais, et que ce niveau se maintiendra pendant encore des décennies. Le français ne s’est jamais si bien porté au Québec si on tient compte de son évolution depuis 40 ans. Il n’y a jamais eu une telle proportion d’immigrants francophones. Au-delà de 90 % des Québécois connaissent le français. Et la très grande majorité des jeunes allophones fréquente les écoles françaises, souvent sans côtoyer un seul francophone de vieil établissement. Et quand ils se côtoient, ils le font entre pauvres, car la classe moyenne francophone envoie ses héritiers à l’école privée. Voilà des problèmes sociaux qu’il ne faudrait pas dénaturer en problèmes culturels.

Dis-moi quel est ton indicateur démolinguistique, je te dirai qui tu es.

 

[Complément du 17 août 2022]

Autre utile contribution au débat, où l’on cite d’ailleurs le texte de Victor Piché :

Remysen, Wim et Geneviève Bernard Barbeau, «Les discours médiatiques entourant le recensement de 2016 sur les langues officielles du Canada», dans Émilie Urbain et Laurence Arrighi (édit.), Retour en Acadie : penser les langues et la sociolinguistique à partir des marges. Textes en hommage à Annette Boudreau, Québec, Presses de l’Université Laval, coll. «Langues officielles et sociétés», 2021, p. 157-181. https://www.usherbrooke.ca/crifuq/fileadmin/sites/crifuq/uploads/Remysen_et_Bernard_Barbeau_2021.pdf

Citation choisie :

Or, en mettant exclusivement l’accent sur les données relatives à la langue maternelle, les journaux véhiculent indirectement l’idée que le français est le seul apanage des locutrices et des locuteurs natifs de cette langue, souscrivant ainsi à une interprétation plutôt étriquée de l’étiquette de «francophone», qui exclut par exemple les personnes d’origine immigrante qui s’expriment quotidiennement en français, mais qui n’ont pas grandi dans cette langue. Cette interprétation permet d’accentuer l’opposition entre les trois catégories linguistiques, c’est-à-dire les francophones, les anglophones et les allophones, de les mettre en quelque sorte en concurrence et, surtout, d’imputer le recul du français à certains groupes, stratégie éminemment idéologique (p. 175).

 

Références

Melançon, Benoît, Le niveau baisse ! (et autres idées reçues sur la langue), Montréal, Del Busso éditeur, 2015, 118 p. Ill.

Piché, Victor, «Catégories ethniques et linguistiques au Québec : quand compter est une question de survie», Cahiers québécois de démographie, 40, 1, printemps 2011, p. 139-154. https://doi.org/10.7202/1006635ar

Benoît Melançon, Le niveau baisse !, 2015, couverture

Mea culpa

Denis Coderre, Montréal, 13 août 2015

Le 15 juillet 2009, l’Oreille tendue décrivait un personnage de la faune québécoise, la germaine (celle qui gère et qui mène). Elle insistait sur les deux verbes favoris de celle-ci, opérer et regarder. Elle postulait l’inexistence d’un équivalent masculin, le germain. Peut-être l’Oreille se trompait-elle.

En effet, on a pu le voir hier, il semble y avoir un germain à Montréal, son omnimaire, Denis Coderre.

Insatisfait d’une décision de Postes Canada, celui qu’on appelle aussi l’hypermaire a décidé, marteau-piqueur à la main, de s’en prendre à une dalle de béton : il opérait.

Comment expliquait-il son geste ? En conférence de presse, s’adressant à un groupe de journalistes, il a utilisé plusieurs fois le même verbe, toujours à la deuxième personne du singulier : «ergarde», le geste de Postes Canada était inacceptable.

Un nouveau personnage (linguistique) serait-il né ?

P.-S. — On se souviendra que l’usage de la deuxième personne du singulier pour parler à plusieurs personnes à la fois est un des traits de la langue de garderie au Québec.

Urbain en ville

Il y a quelques années, @PimpetteDunoyer a lancé le site Vivez la vie urbaine. L’Oreille tendue s’amuse à y collaborer à l’occasion.

Cela n’atténue pourtant pas sa surprise quand elle lit la phrase suivante dans le quotidien le Devoir : «Montréal va de l’avant avec son projet de Promenade urbaine au centre-ville» (21-22 février 2015, p. A10). Une promenade «urbaine» au «centre-ville» de la ville de Montréal ?

Pareille promenade pourrait-elle être autre chose ? L’Oreille s’interroge.

P.-S. — Pour d’autres usages étonnants du mot urbain, on clique ici.

Conte de saison

 

Avenue Marlowe, 25 décembre 2014

 

C’était le matin de Noël. Le vent avait soufflé fort sur Notre-Dame-de-Grâce. Une avenue de ce quartier montréalais était devenue impraticable : de nombreuses branches arrachées recouvraient la chaussée.

Dans un de ces élans de générosité que l’on dit si rares dans les grandes villes, des voisins se sont alors rassemblés, venus de quatre maisons, pour nettoyer la rue et les trottoirs.

En quelques minutes, on pouvait de nouveau circuler librement. Les branches de toutes tailles avaient été regroupées en un tas bien impressionnant. Les quatre voisins se congratulèrent avant de rentrer chez eux.

Ce tas bouchait complètement une allée et empêchait un cinquième voisin de prendre sa voiture. Voilà de quoi rendre grâce et chanter l’esprit de Noël.

Prolégomènes à un essai de toponymie montréalaise

Carte du Québec adjacent, Dictionnaire québécois instantané, 2004

Une ville, c’est bien. Plusieurs villes dans la ville, c’est mieux. Ébauche de visite guidée de Montréal.

Adjacent

Terme de géographie urbaine montréalaise. Qui veut habiter un quartier à la mode et ne le peut pas émigre vers l’adjacent. «Westmount adjacent !» (la Presse, 7 mars 2002) «Toutes sirènes dehors, j’ai donc mis d’urgence le cap sur Rosemont, aussi connu sous le nom de “Plateau adjacent”» (le Devoir, 8 novembre 2002). «J’ai donc quitté le Plateau, quitté le nombril de l’île, pour le Mile-End, mon nombril adjacent préféré» (la Presse, 13 novembre 2002). «C.D.N. [Côte-des-Neiges], adj. Sanctuaire» (le Devoir, 12 juin 2003).

Griffintown : quartier célèbre pour ses chevaux (grâce notamment à Marie-Hélène Poitras et à son roman éponyme), en cours de remplacement par des condos.

HoMa ou Ho-Ma : Hochelaga-Maisonneuve

«Selon ta façon de nommer le quartier on peut savoir quelle sorte de personne tu es : Ho-Ma, Hochelag’, Hochelagai ou Hochelaga. #DLCL» (@DansLeChampL)

Mont Royal ou Montagne

Un Montréalais qui dit «À moi la montagne !» ne compte pas quitter sa ville. Il prépare plutôt une visite au centre de celle-ci, sur le mont Royal (environ 230 mètres au-dessus du niveau de la mer). On a les massifs centraux qu’on peut. (La montagne est appréciée des communautés culturelles, qui s’y rassemblent pour y savourer des mets ethniques et pour y pratiquer le soccer, qu’ils appellent le football, ou vice versa.)

N’Didji : Notre-Dame-de-Grâce

Petit Laurier : appellation d’origine récente (la Presse, 28 juin 2014, cahier Petites annonces, p. 3). Désigne une enclave au nord du Plateau. Il est probable que le nom est calqué sur celui de Petite patrie.

Plateau

Tous les Québécois le connaissent : le Plateau Mont-Royal — plus simplement : le Plateau —, ce quartier montréalais autour duquel tournerait l’univers connu. Les Québecquois — les habitants de la ville de Québec — ne l’aimeraient pas, dit-on, car l’univers connu tournerait autour. Pour le dire dans les mots du Devoir : «Montréal est constitué du Plateau Mont-Royal, centre, noyau et point d’ancrage de l’univers, et de quelques dizaines de Plateaux adjacents» (22-23 mai 2004).

A tendance à essaimer sur l’île de Montréal, voire à l’extérieur, jusque dans le 450 : «Saint-Henri, nouveau plateau ?» (la Presse, 6 janvier 2004, cahier Arts et spectacles, p. 3); «Un Plateau à Longueuil ?» (la Presse, 3 octobre 2005, p. A15); «Le prochain “Plateau”. Hochelaga-Maisonneuve ou le Sud-Ouest ?» (la Presse, 19 septembre 2009, cahier Mon toit, p. 2); «Employée#1 : Tu cherches toujours un appart ? Employée#2 : Oui et tannée des annonces qui repoussent les limites du Plateau au métro Frontenac» (@AscenseurRC).

Existe en version élargie : Regroupement des cuisines collectives du grand Plateau; Action Solidarité Grand Plateau.

Voit sa valeur patrimoniale s’affirmer : «Plateau Mont-Royal. Un quartier mythique au musée» (le Devoir, 19-20 octobre 2013, p. D4).

Habitant : le monarcoplatal (selon Pierre Popovic), le plateaunien (selon le matricule 728) ou le plateausard (la Presse, 13 mars 2010, p. A10).

Pointe Sainte-Charles : Bronx

S’étant égaré, un jour, en chemin vers la décharge municipale, l’Oreille tendue s’est retrouvée dans ce quartier de Montréal. Le policier auquel elle demandait son chemin lui a répondu : «C’est le Bronx ici.»

RPP ou RoPePa : Rosemont-Petite-Patrie

«RoPePa : l’acronyme trendy pour Rosemont/Petite Patrie. Quand ton quartier a un p’tit nom, ton hypothèque flambe !» (@mfbazzo)

Saint-Henri : quartier où l’on rit malgré tout, suivant le titre du recueil de nouvelles de Daniel Grenier.

Saint-Léonard : selon le jardinier de l’Oreille tendue, on y utiliserait du paillis rouge, ce qui ne se ferait jamais à N’Didji, où seul le paillis noir serait acceptable.

Village ou Village gai : situé à l’est du centre de la ville, quartier rose, sans homme rose, cette version locale de l’anti-macho.

Village Monkland : voir N’Didji

Vilmont ou Vilmo : Ville Mont-Royal. En anglais : ti-èm-âre (Town of Mount-Royal).

 

[Complément du 1er mars 2021]

Soir ces vers, tirés du poème «Pitou» de Jean-Christophe Réhel, paru dans le Devoir des 27-28 février 2021 :

À l’épisode huit
Je me demande où je serai rendu dans la vie
Je serai peut-être un bouddhiste
Un bouddhiste qui prie
Sur le coin du Couche-Tard à Pointo

«Pointo» ? Pointe-aux-Trembles.

 

P.-S. — Wikipédia propose une liste des quartiers montréalais.

P.-P.-S. — Ce texte s’inspire de plusieurs entrées du blogue et de ces deux publications de L’Oreille tendue :

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p. La «Carte du Québec adjacent» reproduite ci-dessus se trouve p. 13.

Melançon, Benoît, «La glande grammaticale suivi d’un Petit lexique (surtout) montréalais», Cités. Philosophie. Politique. Histoire, 23, 2005, p. 233-241. https://doi.org/10.3917/cite.023.0233; https://doi.org/10.3917/cite.023.0238

 

Références

Grenier, Daniel, Malgré tout on rit à Saint-Henri. Nouvelles, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 07, 2012, 253 p.

Poitras, Marie-Hélène, Griffintown, Québec, Alto, coll. «Coda», 2013, 209 p. Édition originale : 2012.

Popovic, Pierre, Liberté, 280 (50, 2), avril 2008, dossier «Dictionnaire culturel & politique du Québec», p. 21-24. https://id.erudit.org/iderudit/34680ac

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2004, couverture