Curiosité voltairienne (et périphrastique)

Cannette de bière Voltaire

«What has happened to my beloved France, the country where I spent my childhood summers, studied and worked in my 20s ? Once the embodiment of European confidence and cultural supremacy, the land of Voltaire, Bastiat and de Tocqueville is now trapped in an accelerating spiral of decline.»

(«Qu’est-il arrivé à ma chère France, le pays où j’ai passé les étés de mon enfance, étudié et travaillé pendant ma vingtaine ? Autrefois symbole de la confiance et de la suprématie culturelle européennes, le pays de Voltaire, Bastiat et Tocqueville est aujourd’hui pris dans une spirale de déclin accélérée.»)

Annabel Denham, «Letters. The France I love is dying. Britain could be next», The Daily Telegraph, 27 août 2025.

 

La périphrase «le pays de Voltaire» est banale. On peut sans trop de mal imaginer «le pays de Tocqueville». «Le pays de Bastiat», voilà, en revanche, qui a de quoi étonner.

 

Voltaire est toujours bien vivant.

 

P.-S.—D’autres périphrases voltairiennes ? À votre service.

L’oreille tendue de… Hector Fabre

Hector Fabre, Chroniques, éd. de 2007, couverture

«Vous me faites l’honneur de me rendre visite et, tout naturellement, vous me demandez comment va l’abonnement. Je me dispose à vous répondre lorsque, tout à coup, je songe à un abonné qui se plaint de ne pas recevoir son journal régulièrement et que l’on va peut-être oublier encore. Je pars comme un trait et vous laisse la bouche béante, l’oreille tendue.»

Hector Fabre, «Journal et élections», 31 mai 1867, dans Chroniques, Montréal, Boréal, coll. «Boréal compact classique», 189, 2007, p. 143-149, p. 143. Postface, chronologie et bibliographie de Gilles Marcotte.

Les zeugmes du dimanche matin et de Balzac

Balzac, Une fille d’Ève, éd. de 1965, couverture

«Les deux amis montèrent dans un cabriolet pour aller racoler les convives, les plumes, les idées et les intérêts» (p. 102).

«Le journal fut baptisé chez elle dans des flots de vin et de plaisanteries, de serments de fidélité, de bon compagnonnage et de camaraderie sérieuse» (p. 103).

«Ce trait fit porter l’actrice en triomphe et en déshabillé dans la salle à manger par les quelques amis qui restaient» (p. 104).

«Quant à la comtesse de Granville, elle vivait retirée en Normandie dans une de ses terres, économisant et priant, achevant ses jours entre des prêtres et des sacs d’écus, froide jusqu’au dernier moment» (p. 154).

Honoré de Balzac, Une fille d’Ève, Paris, Garnier-Flammarion, coll. «GF», 48, 1965, 189 p. Édition originale : 1839. Chronologie et préface par Pierre Citron.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Accouplements 220

Bondrée et Tangente vers l’est, couvertures, collage

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Michaud, Andrée A., Bondrée, Montréal, Québec Amérique, coll. «qa», 2020. Édition numérique. Édition originale : 2014.

«Certains croyaient que Larue avait nommé sa fille Emma à cause de l’admiration qu’il portait à Flaubert et à Emma Bovary, mais ce n’était pas le cas. S’il appréciait Flaubert, il fuyait les Bovary comme la peste. C’était sa femme qui avait choisi ce prénom, y voyant une parenté avec le verbe “aimer”. Larue était trop stupide, à cette époque, trop amoureux pour la contredire et lui indiquer qu’Emma mettait le verbe au passé, j’aimai, tu aimas, il aima. Il le regrettait aujourd’hui, quand il songeait que sa fille portait le nom d’une héroïne dont l’amour dérivait dans le souvenir.»

Kerangal, Maylis de, Tangente vers l’est, Paris, Verticales, coll. «Minimales / Verticales», 2012, 136 p. Édition numérique.

«Ils se sont donné leurs prénoms, se sont donné du feu, se sont donné des clopes. Elle lui a précisé qu’elle était française, frantsouzkaïa et toujours ce geste de poser la paume sur le sternum en appuyant la seconde syllabe, frantsouzkaïa, et en face d’elle, Aliocha a hoché la tête. Une Française, il est déçu — ne sait pourtant rien des femmes françaises, rien, ne connaît d’elles que des Fantine, des Eugénie ou des Emma, femmes obligatoires dont il avait entrevu des fragments de psyché dans des manuels scolaires et reléguées loin de celles qui l’éblouissent, Lady Gaga en tête.»

 

P.-S.—En effet : ce n’est pas la première Emma que nous croisons chez Maylis de Kerangal (voir ici).

Accouplements 219

Naissance d'un pont et Madame Bovary, couvertures, collage

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Flaubert, Gustave, Madame Bovary, Paris, Garnier-Flammarion, coll. «GF», 86, 1966, 441 p. Chronologie et préface par Jacques Suffel. Édition originale : 1857.

«Une fois, au milieu du jour, en pleine campagne, au moment où le soleil dardait le plus fort contre les vieilles lanternes argentées, une main nue passa sous les petits rideaux de toile jaune et jeta des déchirures de papier, qui se dispersèrent au vent et s’abattirent plus loin, comme des papillons blancs, sur un champ de trèfles rouges tout en fleur» (p. 270).

Kerangal, Mailys de, Naissance d’un pont, Paris, Gallimard, coll. «Folio», 5339, 2020, 336 p. Édition numérique. Édition originale : 2010.

«Avant de redémarrer la voiture, Shakira avait pris soin d’essuyer le sable collé sur ses pieds à l’aide de mouchoirs en papier glissés entre ses doigts de pied, puis froissés d’une pression sèche et jetés par la vitre, un par un, la boîte entière bientôt dilapidée. Sanche avait suivi du regard les kleenex blancs qui flottaient en l’air, voletaient doucement, déformés au moindre souffle, se redéposaient enfin au sol, maculant peu à peu tout le paysage.»

 

P.-S.—Toujours dans Naissance d’un pont : «un mouflon blanc aux grosses cornes ambrées recourbées en arceaux comme la coiffure à rouleaux de Mme Bovary».

P.-P.-S.—En sa jeunesse, l’Oreille tendue a consacré quelques lignes à la scène flaubertienne dite «du fiacre» : Melançon, Benoît, «Faire catleya au XVIIIe siècle», Études françaises, 32, 2, automne 1996, p. 65-81. https://doi.org/1866/28660