Portraits criminels en regard

Mémoires de madame de Genlis, éd. de 2004, couverture

«Ma mère loua une petite maison dans la rue d’Aguesseau : elle recevait quelques gens de lettres, entre autres Sainte-Foix, auteur des Essais sur Paris, de la jolie comédie de l’Oracle et de celle des Grâces, et de quelques autres petites pièces de théâtre : sa tournure et ses manières contrastaient étrangement avec la grâce de ces agréables productions; il avait un ton brusque et grossier, un visage affreux et la physionomie la plus rude et la plus sinistre. Une comédienne très spirituelle, mademoiselle Bryant, disait de lui et de M. Bertin le poète, qui avait un visage long et pâle, les joues pendantes, les yeux éteints et le regard sombre, que le premier (Sainte-Foix) ressemblait au crime et le second au remords.»

Mémoires de madame de Genlis, édition présentée et annotée par Didier Masseau, Paris, Mercure de France, coll. «Le temps retrouvé», 2004, 390 p., p. 96. Édition originale : 1825.

Marat à Bangkok

The Bangkok Asset (2015), de John Burdett, est un bien étrange livre — à la fois polar, roman de science-fiction, texte gore et délire transhumaniste —, à la fin spectaculairement bâclée.

Comme il se doit, il est difficile d’y dénombrer précisément les cadavres. Celui de Lord Sakagon, richissime avocat véreux, est l’objet d’une mise en scène élaborée, fondée sur le tableau «La mort de Marat» de Jacques-Louis David (1793).

Jacques-Louis David, «La mort de Marat», tableau, 1793

Quand il arrive sur les lieux du crime, le «héros» de Burdett, le détective Sonchai Jitpleecheep, trouve la victime nue dans sa baignoire.

I stare and stare.
The tableau is very famous, so famous I have come across it often in my endless travels through time and space on the Net. […] I open my smart phone, key in French Revolution, David, Marat, death of, and there they are : the picture on the phone and the still life, so to speak, in the bathroom.
[…]
[Krom] glances at me. «Murder as art ? The final farang decadence ?»
She is referring to the way the cadaver has been arranged to perfectly imitate the painting of the revolutionary Marat, with a few differences. For example, instead of a letter, Sakagorn is holding a barrister’s brief in his left hand. Instead of a cloth around his head the perp has wrapped his long hair up into a bun. Instead of an ink pot on a side stool, my half brother has wittily replaced it with an Apple laptop. But, as in the painting, one arm hangs out over the side of the bath, there is a light-colored towel with bloodstains under the armpit and a green towel also draped over the bath, and he is lurched to one side with his head almost resting on his right shoulder, his mouth slightly open and the fatal wound in his upper chest. As in the painting, the body has been dead just long enough to acquire a greenish tinge.

Reprises : la posture du corps de Marat, sa couleur funèbre, des tissus, dont certains tachés de sang.

Divergences : un document juridique au lieu d’une lettre, un chignon pour un turban, un ordinateur à la place d’un pot d’encre.

On n’arrête pas le progrès.

 

Illustration : Jacques-Louis David, «La mort de Marat», 1793, tableau déposé sur Wikimedia commons

 

Référence

Burdett, John, The Bangkok Asset. A Royal Thai Detective Novel, New York, Alfred A. Knopf, 2015. Édition numérique.

John Burdett, The Bangkok Asset, couverture